Quel rôle pour le directeur financier dans la RSE ?
Face aux difficultés rencontrées par les entreprises, un certain nombre d'entre elles semble avoir mis de côté le sujet de la RSE. N'est-ce pas au contraire le bon moment pour réorienter la stratégie de façon à faire le lien entre rentabilité et durabilité et ainsi retrouver de la croissance ?
Avec la crise, les démarches RSE sont plus ou moins mises de côté. " Ça passe ou ça casse, estime Caroline de la Marnierre, présidente de l'Institut du capitalisme responsable lors du dernier Daf Day organisé par Daf magazine. Il y a deux types d'entreprises : celles qui avaient véritablement engagées des démarches RSE au sein du business model et de la gouvernance et celles qui étaient plus dans la posture. Pour les premières, ça va passer, elles vont même accélérer le rythme de leurs engagements. Pour les autres, ça va casser parce qu'elles auront le réflexe inverse en accélérant vers le tout financier. "
Nous risquons donc d'assister à une séparation entre deux grandes tendances : la boussole du moyen-long terme, via la RSE, et le court terme, via des paramètres strictement financiers. Or, piloter avec uniquement des paramètres de court terme devient périlleux au regard de la réglementation qui change en permanence et d'une matrice géopolitique mouvante. " Ma conviction est qu'il va falloir apprendre à changer de mode de navigation, se fonder davantage sur du moyen-long terme tangible pour naviguer par tous les temps. En cela, le directeur financier a un rôle important à jouer, " prédit Caroline de la Marnierre.
Pour Claire Tutenuit, déléguée générale des Entreprises pour l'environnement (EpE), la crise actuelle est un révélateur. " La RSE ne se situe plus dans les seules directions RSE mais dans les comités exécutifs parce que la crise du coronavirus est une crise de la biodiversité. Elle matérialise pour l'ensemble de la communauté financière les risques environnementaux. "
Tous égaux en matière de RSE ?
Si les entreprises du CAC40 sont actives à ce niveau, ce n'est pas le cas de toutes les PME. Cela dit elles y viennent ne serait-ce que sous l'impulsion des grands donneurs d'ordres. " Les grands groupes travaillent avec l'ensemble de leur chaîne de valeur aujourd'hui, " souligne Claire Tutenuit. Le groupe Bel illustre bien cette dynamique, comme le relate Benoît Rousseau son trésorier : " La démarche RSE est vraiment placée au coeur de la stratégie d'entreprise et, en effet, la crise qu'on traverse va encore accélérer cet engagement. Aujourd'hui le groupe s'appuie sur 2 piliers que sont la croissance rentable et la croissance durable, chacun ayant exactement le même poids. Toutes les décisions sont prises avec une dimension de croissance durable. Capex, plan stratégique, plans marketing, investissements industriels, tous, sont pris avec un angle RSE. "
Même pour des entreprises moins avancées sur le sujet, la RSE est une réalité. " Chez InVivo Wine, le rôle sociétal à travers l'aspect coopératif a toujours été important mais géré au niveau de chaque métier de manière indépendante, et la volonté de structurer tout cela est encore récente, explique Frédéric Cossais, Daf de la coopérative viticole. Cela dit, ça devient un axe stratégique et la crise sanitaire a été un accélérateur du changement pour nous." Car si aujourd'hui les impacts financiers de la crise ne doivent pas être niés, la RSE permet d'assurer une pérennité dans la croissance. " Bien sûr avant de parler croissance rentable il faut d'abord survivre et pas mal de PME en sont là aujourd'hui. Mais à partir du moment où on veut agir, il faut mesurer cette action, mettre en place des indicateurs auditables. C'est pourquoi le directeur financier a un rôle à jouer ", assure Frédéric Cossais.
Rendre l'extra financier, financièrement tangible
Pour beaucoup d'entreprises qui se lancent dans la RSE, le sujet des indicateurs est une première étape difficile. Il faut savoir de quoi on parle. "Un sujet facile et maintenant bien maîtrisé est celui des émissions carbone, indique Claire Tutenuit. On sait les mesurer sur une entreprise ou sur le cycle de vie d'un produit, annuellement. C'est un début et un véhicule très puissant de changement des décisions avec ce qu'on appel le prix interne du carbone qui consiste à dire : s'il y avait un prix du carbone combien ça coûterait ? ". Il est certes plus complexe de matérialiser des objectifs sur des indicateurs sociétaux, biodiversité ou ressources mais le carbone est facilement actionnable.
" Chez Bel nous travaillons sur 5 KPI que sont : promouvoir une agriculture responsable, la réduction des gaz à effet de serre, les programmes de nutrition, des produits accessibles pour tous et des emballages plus responsables, illustre Benoît Rousseau. Tous font l'objet d'un suivi sur toute la durée de vie d'un reporting annuel, ce qui évite de se réveiller un peu tard sans pouvoir prendre de mesures compensatoires. " Il suffit donc d'appliquer la même logique de suivi des indicateurs RSE que de suivi budgétaire. Peu à peu cela conduit à faire du reporting intégré. " A l'institut du capitalisme responsable nous considérons trois étages d'indicateurs : celui de la DPEF (déclaration de performance extra financière) qui s'applique à toutes les entreprises de façon légale et obligatoire. L'étage sectoriel pour une approche plus fine. Et l'étage individuel où l'entreprise, compte tenu de son adn, choisit des indicateurs financiers et extra-financiers, " note Caroline de la Marnierre qui considère que ces indicateurs doivent constituer la base de l'indexation de la rémunération variable des dirigeants.
Qui doit avoir la main sur tout cela ?
Aujourd'hui, au sein du SBF 120, 75 % des directeurs financiers sont impliqués dans la démarche d'intégration contre 25 % il y a 4 ans. La tendance est donc très claire. Elle va de la RSE vers le financier. Ce qui ne veut pas dire que les départements RSE sont dépossédés de leur champ d'action. Simplement le driver reste le chiffre. La logique naturelle est de faire évoluer cette démarche d'intégration vers la finance. " Cela ne peut pas être décorrélé du business ", assure Caroline de la Marnierre. D'ailleurs chez Bel, il y a eu un changement officiel. La direction RSE qui était rattachée à la direction communication est aujourd'hui rattaché à la finance. " C'est vrai qu'il y a une financiarisation de la RSE mais cela démontre la réalité de l'engagement " estime Benoît Rousseau. Pour Claire Tutenuit le conseil d'administration et les investisseurs doivent aussi être impliqués. " Les investisseurs jouent aussi un rôle essentiel. Mais ils fonctionnent avec des metrics, or c'est ce dont on manque cruellement aujourd'hui. "
On revient donc toujours à l'arbitrage entre engagement et profitabilité. " C'est là où les entreprises sont souvent soumises à des injonctions contradictoires fortes ", estime Caroline de la Marnierre. Cela demande un ajustement permanent que le Daf peut concrètement assurer.
Quand les investissements verdissent
Le directeur financier se retrouve aussi au coeur des sujets RSE à travers le développement des financements verts, EuroPP et autres green bonds. " La particularité du groupe Bel est qu'il n'a pas fait de financements verts mais dits de sustainable finance qui vont plus loin que le critère environnemental. A travers ces financements nous voulons montrer nos engagements à nos bailleurs de fonds, " indique benoît Rousseau, trésorier du groupe. Côté coûts de financement les gains restent marginaux. Cela permet d'élargir la base investisseurs. " Une entreprise capable de démontrer ses engagements RSE aura plus de facilités à se financer puisque cela permet d'aller chercher des financements alternatifs en plus des sources financières existantes ", appuie Frédéric Cossais, Daf d'InVivo Wine. Ce sont donc des portes supplémentaires ouvertes sur d'autres sources de financements.
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