" L'explosion des commandes a été une grosse tempête à gérer pour les équipes ! "
Contrairement à beaucoup d'entreprises qui ont vu leur activité brutalement freinée voire totalement arrêtée, le groupe Paredes a dû au contraire faire face à un pic historique d'activité. Eric Palanque, son CFO, revient sur cette période mouvementée.
> Quelle était la situation du groupe juste avant le début de la crise sanitaire en France ?
Nous étions dans la troisième année d'un plan de transformation d'envergure débuté en 2017. Les deux premières années avaient été dédiées à revoir le fonctionnement et l'organisation du groupe pour l'optimiser. Nous attaquions la deuxième phase, davantage axée sur le développement commercial, avec la création d'un e-shop notamment. La crise arrive juste après cette grosse période de transformation alors que nous sommes encore en phase de consolidation de tous ces changements. Un peu tôt vis-à-vis de certains process, mais fort heureusement nous avions finalisé la mise en place d'un stock central regroupant notamment nos produits d'importation, ce qui est une spécificité dans notre secteur d'activité. L'an dernier nous avions constitué un stock assez conséquent. Or, dans le contexte actuel, plutôt très pénurique, le timing s'est avéré très bon.
> Quand est-ce que l'impact de la crise s'est fait sentir pour le groupe ?
En février cela a commencé à frissonner au niveau des commandes mais c'est en mars qu'on a connu une explosion de la demande. On s'est retrouvé face à une vague historique de commandes, très focalisées sur certaines familles de produits, créant rapidement sur le marché une situation de manque accentuée par l'arrêt de l'industrie en Chine.
> Comment gère-t-on une période comme celle-là ? Quelles ont été les priorités ?
La première chose qu'il a fallu gérer a été la mise en sécurité des personnes, tout en assurant une continuité de service. Il nous a également fallu sécuriser le cash, s'assurer de continuer à contrôler l'encours client sans bloquer le business. On a aussi très vite basculé en pilotage opérationnel.
Au niveau du contrôle de gestion, on a arrêté les projets structurels et on a rapidement créé et implémenté un tableau de bord quotidien à destination du COMEX avec les principaux indicateurs clés : état des carnets de commandes, niveau des ruptures, niveau des commandes bloquées, la facturation du jour, les entrées de commandes, la production quotidienne de notre usine de transformation de ouate. On a également développé un outil de calcul de couverture de stocks permettant d'intégrer les différents scénarii de chiffre d'affaires dans ce contexte très fluctuant.
On a traité les aspects juridiques bien sûr, pour évaluer les impacts de la crise sur les contrats en cours. Bref, nous sommes revenus à de l'opérationnel pur pendant les premières semaines.
> De façon pratique comment avez-vous assuré la continuité d'activité ?
Le secteur de la Santé représente aujourd'hui environ 60% de notre portefeuille d'activité, et le secteur hospitalier public y est prépondérant. On était en première ligne pour livrer les hôpitaux sur des produits comme des masques, blouses, gants et bien sûr toute la partie ouate, savon, etc. Il n'était donc pas envisageable qu'on ferme des sites. On a commencé à s'organiser dès le début de la crise pour mettre un maximum de collaborateurs en télétravail. Dès l'annonce du confinement nous avons accéléré et pu basculer tous les effectifs administratifs en télétravail dans la semaine qui a suivi. Cela représentait environ 75 % de l'effectif global. La DSI a réussi à équiper les personnes qui n'avaient pas d'ordinateur portable en leur donnant des accès sécurisés au réseau.
On a en parallèle " sanctuarisé " la partie distribution, les entrepôts et le site de fabrication en mettant en place des process pour limiter au maximum les contacts dans le cadre des livraisons et des réceptions de produits. En plus de ces protocoles, nous avons équipé nos salariés avec des protections individuelles pour que l'activité puisse continuer. Et de fait sur les 10 plateformes et l'usine françaises nous avons eu très peu de cas.
> Comment gérer l'afflux de commandes ?
Grâce à ce plan d'actions, tout a pu tourner. Nous avons ainsi pu faire face à l'afflux de commandes, mais selon la disponibilité des produits. Dès le mois de mars, le volume de commandes a doublé, mais la demande s'est en partie concentrée sur des produits en pénurie, gel hydroalcoolique, masques, blouses, gants. On approvisionne autant que possible mais ce n'est pas suffisant pour répondre pleinement à la demande. Nous avons dû faire le choix de privilégier notre carnet de clients. La satisfaction client est au coeur de notre stratégie et du plan de transformation donc cela doit nécessairement se ressentir dans une période comme celle-là.
> Un pic d'activité dans un contexte pénurique n'est pas simple à gérer. Quelles ont-été les contraintes auxquelles vous avez dû faire face ?
L'afflux de commandes crée un bfr énorme. Il est en partie couvert parce que nous avons une partie de notre activité en affacturage, mécaniquement une partie s'autofinance bien sûr, mais pas la totalité. D'autant qu'il faut anticiper un certains nombres de risques. Le fait qu'on ait des niveaux de retards clients qui augmentent. Il faut donc rester vigilants et surtout être bien organisé sur la gestion du cash.
Et puis côté bfr, la partie fournisseur stock est très importante. Dans la première phase de la crise on a destocké, par obligation, puisqu'on n'arrivait pas à approvisionner à hauteur des demandes. Désormais nous sommes dans un contexte où la Chine redémarre, on essaie de recharger le stock et de reconstituer nos stocks de sécurité. Donc nous avons une consommation de bfr importante.
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La Chine a redémarré mais cela reste très complexe. Il faut être capable de se positionner en 24h sur des montants assez importants, avec des prix très volatiles qui ont fortement monté. La consommation de cash est conséquente mais nécessaire pour pouvoir continuer à livrer sur les mois à venir. Sans quoi nous nous retrouverions dans une situation où on ne pourrait plus répondre à la demande dès juin-juillet. Notre consommation de cash est essentiellement sur la partie bfr.
> J'imagine que vous suivez de près les flux entrants. Avez-vous constaté des retards de paiement ou fait face à des demandes de reports ?
On suit tout cela à la semaine. On constate une petite dérive sur les retards client mais ce n'est pas encore énorme. Dans notre portefeuille nous avons 30 % de clients publics donc nous sommes déjà sur des paiements assez tardifs par rapport à un client privé. A contrario, le risque de défaut réel est moindre à terme. Les paiements de nos clients publics sont quasiment garantis à 100 %.
Sur la partie privée c'est plus compliqué parce que l'afflux de commandes s'est rapidement traduit par des en-cours dépassant les limites de notre assurance-crédit, donc là il faut gérer au cas par cas. C'est parfois un choix cornélien car les clients sont très demandeurs, nos commerciaux aussi et pourtant notre rôle à la direction financière est de veiller au grain en surveillant les alertes des assureurs crédits sur un taux de défaillance d'entreprises qui risque d'augmenter très significativement suite à la crise.
Mon équipe compta-client ne gère aujourd'hui quasiment que ça. Nous sommes en train de voir comment renforcer le service car nous avons été obligés pendant un temps de délaisser la relance pour ne traiter que les déblocages de commandes, soit en discutant avec les clients, soit en demandant des en-cours supplémentaires d'assurance-crédit. Ça a été une grosse tempête à gérer pour l'équipe.
> Justement comment avez-vous réorganisé le fonctionnement des équipes et des process pendant cette période inédite ?
On a déjà allégé les process de traitement sur cette partie blocage client par exemple. Nous avons complètement sorti du process les clients publics : concernant les hôpitaux, il n'était de toutes façons pas envisageable d' interrompre les livraisons en pleine crise sanitaire. On a ensuite regardé comment on pouvait aménager les process de traitement et on y a affecté des ressources prioritaires. On a aussi relevé les seuils minimums pour avoir moins de volumétrie à traiter. Nous avons beaucoup de petites commandes, de petits clients donc on a aussi accepté d'augmenter le risque de façon limitée sur plusieurs clients au cas par cas.
> Cette période particulière change nos façons de travailler, comment faites-vous avec vos équipes et avec les membres du comex ?
Cela met en effet l'organisation sous tension d'autant que le télétravail n'est pas complètement du télétravail. Chacun compose avec ses contraintes personnelles, les enfants, les difficultés de connexion. Le travail à distance impose un accent particulier sur la communication pour que les collaborateurs ne se sentent pas isolés. Il faut rester très à l'écoute.
On a mis le paquet sur l'aspect communication en interne. On a un point au niveau du comité exécutif tous les matins. Avec mes équipes, au-delà du travail quotidien, on fait un point d'information générale toutes les deux semaines avec l'ensemble des collaborateurs, et un point hebdomadaire avec mes collaborateurs directs J'ai également instauré des " coffee calls ", moments conviviaux d'échanges informels par visio, pour reproduire en quelque sorte les pauses café au bureau.
La DRH a mis en en place une lettre d'information, Paredes Vital, diffusée tous les soirs par mail à l'ensemble des collaborateurs et qui zoome sur l'actualité du groupe, les difficultés rencontrées et les succès, pour faire en sorte que chacun garde un fil info quotidien sur ce qui se passe dans le groupe.
> Cette communication fine vous a-t-elle permis d'embarquer tout le monde y compris les collaborateurs sur site ?
Dans un contexte comme celui-là on aurait pu avoir de l'absentéisme. Nous avons fait le choix de rapidement favoriser le télétravail, même en mode dégradé, pour garder tout le monde à bord et pour l'instant ça fonctionne plutôt bien.
Concernant les collaborateurs sur site, on s'est appuyé sur les mesures gouvernementales et on a rapidement mis en place le versement d'une prime pour les équipes présentes sur site en logistique et en production.
Mais il faut souligner que l'ensemble des collaborateurs s'est spontanément montré très investi. Et ce, même en Italie où les sites ont été très touchés, avec plus 50 % de l'effectif atteint à un moment ou un autre. Malgré cela, ils ont réussi à faire face, à assurer une bonne continuité de service et à répondre à une demande assez exceptionnelle.
> La culture d'entreprise fait-elle la différence dans ces cas-là ?
Assurément. Chez Paredes, la culture d'entreprise est assez forte. C'est une culture de groupe familial très orientée client. De plus, le fait d'être sollicité fortement par les hôpitaux, par tout le secteur de la santé, donne une certaine obligation morale, fortement ressentie par les collaborateurs. Il y a eu cette envie de vouloir participer à l'effort collectif. On est un groupe qui reste à dimension très humaine avec un nombre de niveaux hiérarchiques faible. Les informations terrain remontent très vite. On a une proximité assez directe de tous les collaborateurs avec les clients, donc lorsqu'il y a des situations un peu extrêmes comme ce qu'on vit depuis quelques mois, cela crée nécessairement de l'empathie.
> Le fait d'avoir un actionnariat 100 % familial a-t-il facilité les prises de décisions stratégiques ?
Cela nous permet d'être dans une logique plus long terme et d'appuyer une stratégie qui n'aurait pas forcément été soutenue par d'autres actionnaires. J'ai beaucoup travaillé dans le passé avec des fonds d'investissement, la dynamique est très différente.
Par exemple, la mise en place d'un stock central (qui s'est révélé décisif dans la gestion de la crise actuelle) n'aurait pas été envisageable ni même envisagée si on avait été sur du court terme, car trop consommatrice de cash.
Le fait d'avoir un actionnariat qui va raisonner moyen et long terme nous permet de construire des solutions comme celle-là qui permettra à terme d'améliorer la satisfaction client en ayant peu de ruptures et des délais de livraison de plus en plus courts.
Même aujourd'hui dans ce contexte particulier le long terme n'est pas mis de côté. Nous sommes moins contraints que d'autres par des obligations de résultat immédiat ce qui laisse une plus grande marge de manoeuvre en terme de prises de position stratégique et nous permet de projeter une vraie vision d'entreprise.
> Quelles conséquences cette crise aura sur le développement à venir ? Allez-vous revoir votre stratégie, à quel niveau ?
On revoit en effet notre stratégie notamment en matière d'approvisionnement. On a réactivé la Chine mais ce n'est que du court terme pour avoir des produits dans les semaines et mois qui viennent. Mais en parallèle nous sommes en train de regarder comment mettre en place des filières locales. Cette crise va évidemment nous amener à repenser notre organisation, que ce soit nos niveaux de stock mais aussi notre portefeuille fournisseurs.
Cela nous conduit plus vite que prévu à trouver du local, à élargir encore plus pour avoir des plans de repli si on était confronté à nouveau à des crises comme celle-là. En plus du point quotidien de notre comex, nous avons un point uniquement focalisé sur la recherche de nouvelles sources d'approvisionnement en Asie mais également en Europe. Dans la situation d'urgence, on doit être flexibles et explorer toutes les opportunités. Nous sommes par exemple en train d'approvisionner des blouses en plastique développées par notre fournisseur de sacs plastiques. Ce sera peut-être seulement ponctuel, ou ça répondra à un nouveau besoin de façon durable. Pour le moment la visibilité n'est pas suffisante pour savoir ce qui perdurera.
Cette crise aura eu le mérite de nous faire réfléchir à nouveau à nos sources d'approvisionnement pour ne pas être trop dépendant des pays asiatiques. Cela aura aussi des conséquences sur nos organisations internes. Le télétravail, qui était peu développé avant, a aussi ouvert des perspectives. La digitalisation qui était bien entamée s'en trouve encore accélérée.
> Comment voyez-vous la fin de l'année ? Êtes-vous serein ou inquiet ?
Dans mon métier on n'est jamais serein. (Rires) Mais il faut reconnaître que nous sommes sur des marchés structurellement porteurs. La crise actuelle ne fait qu'accentuer la prise de conscience sur l'importance de l'hygiène et de la santé.
A mon sens notre gestion de crise a été bonne. Maintenant il faut rester vigilant. Sur un éventuel effet ciseau notamment, sur la volatilité des coûts d'approvisionnements, sur les risques de défaillances clients,... On surveille nos indicateurs opérationnels et nos résultats mensuels de près.
Petit à petit on revient à notre programme initial, on reste sur les rails des sujets qui étaient à l'agenda avant la crise mais avec toujours une priorité donnée au quotidien. On reste sur le qui-vive.
Fiche d'identité
Raison sociale : Groupe Paredes
Forme juridique : SA à conseil d'administration
Actionnariat familial stable
Activité : distribution d' équipement d'hygiène professionnel
CA 2019 :180 M euros
Effectifs : 650 collaborateurs
Implantation : France et Italie
Organisation : 9 sites de distributions en France, 5 en Italie, 1 stock central, 2 usines de fabrication de bobine de ouate (1 en France, 1 en Italie)
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