[Tribune] Solvency II, les banques et les Daf : ce qui change
Au 1er janvier 2016, les banques et sociétés d'assurances devront prendre en compte les données de risque opérationnel associées à une contrepartie de risque. Ce qui bien évidemment est source de nouvelles obligations pour le Daf d'une contrepartie de risque. Focus.
Jusqu'ici vérifier la solvabilité d'une entreprise, c'était avant tout rechercher des données telles que le bilan, le compte de résultat, etc. Il conviendra au 1er janvier 2016 de mettre ces données en perspective pour s'assurer de sa bonne santé financière. Pourquoi ? Parce que Solvency (ou Solvabilité) II, c'est l'exigence d'articulation du capital réglementaire et du capital économique. Le capital économique (ou montant du capital que l'entreprise devrait avoir pour supporter les risques qu'elle prend), en même temps qu'il implique une plus grande efficacité des banques, contribue également à garantir la santé financière de l'établissement et de facto la stabilité du système financier. Il s'agit là d'un bouleversement qui inverse les perspectives de solvabilité. Or, si les données historiques sont des éléments importants de solvabilité, elles n'ont de portée dynamique dans l'anticipation et la couverture des risques que lorsqu'elles sont considérées dans une approche de Gestion Prévisionnelle de la Création de Valeur (GPCV) axée sur les Pertes attendues ou seuil de tolérance des pertes.
L'équation de mise en perspective permettant d'évaluer le montant du capital économique est la suivante :
Pertes attendues (EL) ou seuil de tolérance des pertes (Risk Appetite)
=
VaR (Pertes inattendues/UL + Ecarts cumulés des comptes de résultat des 5 dernières années) - PPR (Pertes Potentiellement Recouvrables).
1. Le capital économique, la solvabilité et le financement des entreprises
Dans le cadre de la directive Solvency II, qui exige la prise en compte des données de risque opérationnel associées à une contrepartie de risque dans l'évaluation du " Besoin global de solvabilité ", une compagnie d'assurance doit démontrer que le niveau de capital est suffisant pour couvrir le risque opérationnel à un niveau de probabilité de 99,5% sur un an. Or l'exigence de prise en compte des données de risque opérationnel associées à une contrepartie de risque a fait apparaître le fait incontestable que les assureurs constituent une source importante du financement des banques (Cf. Solvency II and Basel III, The reform of Europe's system of insurance and banking regulation and its effects upon corporate financing, Munich Financial Center Initiative, June 2011). Dès lors, une divergence d'approche entre Solvency II et Bâle III peut amener les assureurs à modifier leurs pratiques d'investissement, ce qui entraînerait une diminution du financement des entreprises, notamment les PME.
2 Le Daf, Solvency et l'ERM
Pour être au diapason des attentes des assureurs au regard des exigences de Solvency II, le Daf de toute entreprise, quel que soit son secteur d'activité, doit adopter, si ce n'est pas déjà fait, une démarche d'Entreprise Risk management (ERM), et s'équiper notamment d'applications Intranet de comptabilité analytique appropriées pour automatiser le processus et traiter comme requis par la clause 5 de la norme ISO 31000 : 2009, les données de risque opérationnel stockées dans la base de données internes.
Trois objectifs de performance d'ERM sont attendus du Daf :
- aligner le capital réglementaire et le capital économique,
- aligner le salaire variable des employés et les risques, et une surveillance efficace des rémunérations,
- aligner le seuil de l'appétit au risque sur celui de l'assureur.
3. Que vont exiger les banques ?
Les banques vont réclamer un reporting périodique de leurs contreparties de risque leur permettant de disposer des données requises pour la conformité de leur propre reporting. Or ce dernier doit être conforme à :
- la rubrique " Risque de crédit de contrepartie (CCR) " des " Exigences de communication financière au titre du troisième pilier ", version révisée par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire en janvier 2015.
- l'évaluation de la juste valeur. L'IASB et le FASB ont publié le 12 mai 2011 un guide d'évaluation de la juste valeur comprenant les informations à fournir en notes aux états financiers. Ce guide est développé dans la norme IFRS 13 " Evaluation de la juste valeur " dans le référentiel de l'IASB et se distingue de l'IAS 39 où la "juste valeur", ne tenait pas compte du risque de contrepartie (risque de défaut) de cette dernière. La correction introduite par la norme IFRS 13 permet de prendre en compte l'éventualité que le détenteur de l'instrument financier ne sera pas livré compte tenu des données de risque opérationnel associées à la contrepartie de risque.
4. Que doit fournir le Daf ?
Il revient au Daf, CFO, directeur financier, etc, de fournir à chacune des banques de l'entreprise un reporting intégré (IR) synthétique et périodique du risque opérationnel. Ce reporting est issu de l'exploitation des données des tableaux de bord de gestion intégrée des risques ou IT-IRM (Investor Relationship Management).
Partons de l'hypothèse que l'entreprise est dotée d'un tel système. Le dispositif de gestion intégrée repose sur l'interaction automatisée des fonctions de contrôle interne (Finance, GRH et Gestion des Opérations) en temps réel de la création de valeur. Il s'agit d'un outil analytique de reporting intégré pour améliorer la création de valeur et maintenir le même niveau d'appétit pour le risque dans une organisation, fixé par Solvency II à 4,5% des pertes de risque opérationnel. L'interaction de la fonction finance avec la gestion des opérations est assurée en temps réel par l'activité des Unités Génératrices de Trésorerie dont les responsables ou chefs d'équipes sont équipés de tableaux de bord dynamiques. Les données des rapports ci-après fournis par les tableaux de bord du système IT-IRM sont particulièrement utiles pour la mise à jour du profil de risque, la notation interne, les politiques de crédit et le calcul des taux des primes d'assurance, en particulier lorsque la qualité financière et sociale de la contrepartie de risque se détériore :
- le rapport financier sur les économies de coûts réalisées (base des paramètres économiques),
- le rapport social sur l'amélioration des conditions de travail (base des paramètres sociaux 1),
- le rapport social sur l'état des risques psychosociaux (base de paramètres sociaux 2).
Ces rapports sont transmis au CFO/DAF, voire au risk manager quand il existe, pour examen avec les auditeurs externes et l'équipe de conformité réglementaire. Les résultats sont ensuite communiqués à la direction générale et au conseil d'administration et aux parties prenantes pour la transparence du marché (Interactions de reporting requis par le pilier 3 de Bâle III et Solvabilité II -Divulgation et transparence).
L'auteur
Fort d'une formation pluridisciplinaire (deux doctorats des universités françaises René Descartes et Sorbonne et d'un doctorat Ph.D de l'université de Laval), Pascal Lélé travaille depuis plus de 10 ans les fondements comptables et psychosociologiques du modèle interne requis pour automatiser en temps réel les interactions des fonctions de contrôle interne de la performance financière d'ERM (Enterprise Risk Management) sur la base du " Direct costing ", (ou " Contributing costing " ou comptabilité par coûts variables), prenant en compte l'effet prépondérant des Ressources Humaines sur les pertes de risque opérationnel.
Il dirige depuis la crise des subprimes, les travaux du groupe de travail " EU-US task force on ERM " (Experts de 3 universités européennes et de 2 universités américaines) dont les publications dans ISACA Journal aux Etats-Unis depuis 2013 accompagnent la réglementation prudentielle Bâle III, Solvency II et NAIC (US solvency). Il a notamment publié l'ouvrage " Après la crise des subprimes, le nouveau partenariat social " (Editions Peterlang, Suisse, 2009). Il est le directeur Recherche, Développement et Partenariats de Riskosoft .
Sur le même thème
Voir tous les articles BI