Digitalisation : place à la sobriété !
La transformation digitale est au coeur des préoccupations des Daf. Si cette dernière est essentielle, elle ne doit pas se faire au détriment de l'environnement. Car la consommation énergétique du digital augmente de façon exponentielle, ce qui ne sera pas tenable sur le long terme.
Même le rapport Villani sur l'intelligence artificielle, qu'on ne peut clairement pas taxer de technophobe, s'en émeut : la consommation énergétique du numérique représente, selon ce rapport, 8,5 % de la consommation mondiale d'électricité et devrait augmenter jusqu'à atteindre une proportion de 20 à 50 % en 2030. Un document consacré aux technologies de l'information et de la communication (TIC) du think tank The Shift Project, qui oeuvre pour une économie libérée de la contrainte carbone, parle d'une augmentation de 9 % par an de la consommation énergétique des technologies numériques.
"Les outils sont de plus en plus efficaces énergétiquement, mais parallèlement, les usages sont de plus en plus gourmands et la consommation énergétique est donc en augmentation. De plus, les projets digitaux actuels sont gourmands en énergie, comme la blockchain, les objets connectés ou les voitures autonomes qui produisent beaucoup de données ", analyse Alexandre Monnin, directeur de la recherche d'Origens Medialab et enseignant-chercheur à l'ESC Clermont. C'est "l'effet rebond", une théorie selon laquelle l'efficience énergétique aboutit à un accroissement global des dépenses énergétiques.
Côté émissions de gaz à effet de serre, le think tank The Shift Project observe également une augmentation de 9 % par an. Ainsi, la part du digital dans les émissions mondiales est passée de 2,5 % à 3,7 % depuis mi 2013 : dans les pays de l'OCDE, les émissions des TIC ont augmenté de 450 millions de tonnes depuis 2013, alors que dans la même période les émissions globales ont diminué de 250 millions de tonnes !
À ce train-là, il faudra construire des centrales électriques uniquement pour nourrir le digital. Et, surtout, le numérique finira par causer notre perte, aggravant les problèmes liés à la pollution atmosphérique tels que le réchauffement climatique. Veut-on vraiment sacrifier notre planète sur l'autel de la transformation digitale ? Non ! C'est pourquoi il ne faut pas se lancer dans une course effrénée vers le numérique, mais réfléchir à l'utilité réelle d'un projet avant de le lancer.
Faire du numérique utile
Pour aider les entreprises à continuer leur transformation digitale sans faire exploser leur empreinte carbone, The Shift Project a réfléchi à un scénario de "sobriété". "Notre scénario permet de limiter la croissance de la consommation énergétique du numérique à 1,5 % par an. Les émissions continuent donc à augmenter, mais elles restent gérables", explique Maxime Efoui-Hess, chargé du projet "Lean ICT" au sein de The Shift Project. Ce scénario "sobriété" ne va pas pour autant à l'encontre des principes fondamentaux de la transformation digitale : le volume de données circulant dans les data centers et dans les réseaux mobiles continuera d'augmenter (respectivement de 17 % et 24 %) et la production de smartphones se stabilisera autour de son niveau de 2017.
Concrètement, une transformation digitale "sobre" consiste à acheter les équipements numériques les moins énergivores, à les changer le moins souvent possible et à réduire les usages inutiles du numérique. "Le digital est utile, mais son usage devient incontrôlable. Par exemple, 80 % des flux de données sont de la vidéo : est-ce vraiment utile ? C'est la question qu'il faut se poser pour chaque innovation", recommande Maxime Efoui-Hess qui invite à identifier les transformations inutiles. Il donne l'exemple de restaurants qui ont fait passer leur menu papier sur tablettes : qu'est-ce qu'une telle innovation apporte concrètement ?
"Jusqu'à présent, on mettait en place des innovations numériques parce qu'on le pouvait. Désormais, il faudra mettre en place des innovations numériques parce qu'elles sont utiles", résume Maxime Efoui-Hess. Une nouvelle façon de penser qui va exiger un véritable changement au sein des organisations. "Dans les entreprises, on sait innover, mener des projets, mais on ne sait pas ne pas faire de choses. Il va falloir voir encore à plus long terme alors que les enjeux sont souvent courts termes", constate Alexandre Monnin. En plus de n'investir que dans des projets utiles, il propose aux entreprises de "désinvestir" les projets inutiles et qui consomment beaucoup d'énergie. Il parle de l'existence de "désincubateurs" qui permettent de se questionner sur le sens de projets au regard du futur de la planète. "Certains projets n'ont pas d'avenir : faut-il continuer à fabriquer des skis avec le réchauffement climatique, par exemple ? ", se questionne Alexandre Monnin, soulignant que ces questions dépassent l'univers du digital.
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Concernant le remplacement des outils numériques, les entreprises ont en effet tendance à remplacer trop souvent leurs devices, ne serait-ce que les smartphones de leurs employés. Maxime Efoui-Hess rapporte que conserver un smartphone deux ans de plus permet de diminuer de 33 % son bilan carbone. Autre piste pour réduire l'impact énergétique et environnementale du digital : l'éco-conception. Quentin Jaud, chef de projet au sein du Lab Centre France (Groupe Centre France qui édite notamment plusieurs quotidiens et hebdomadaires régionaux), est en train de réfléchir à une esthétique plus simplifiée des sites web du groupe, à mettre moins de vidéo. Pour que ces derniers consomment moins.
Données environnementales
Pour aider les entreprises dans leur approche "sobre" du digital, The Shift Project a développé le Digital Environmental Registry (DER) qui fournit des données chiffrées sur la quantité d'énergie, mais aussi de matières premières consommées pour la production et l'utilisation de technologies numériques. De quoi chiffrer ses projets numériques non plus uniquement en termes de coûts financiers et humains, mais aussi en termes de consommation énergétique.
Cette approche "sobriété" du numérique permet non seulement de réduire sa consommation énergétique et son empreinte carbone - ce qui est de plus en plus valorisé auprès des clients - mais aussi de réduire ses coûts : en effet, en ne menant que des projets utiles, on réduit les dépenses financières et humaines dans des projets inutiles. Intéressant ! Et se désinvestir de projets inutiles se rapproche de ce que font les entreprises lorsqu'elles veulent améliorer leur EBITDA, avec un regard supplémentaire sur la dimension environnementale. Finalement, il s'agit juste d'intégrer une nouvelle donnée dans ses réflexions. Une nouvelle donnée qu'il est désormais difficile d'ignorer.
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