Experts-comptables : l'appel d'air de la Daf externalisée
Changement de décor pour les experts-comptables. « Le temps où il suffisait d'obtenir son diplôme et poser sa plaque pour avoir des clients est révolu, souligne d'emblée Stéphanie Laporte, expert-comptable et fondatrice du cabinet Syla Audit & Conseil. Longtemps, la profession est restée centrée sur l'imputation des écritures. Sauf qu'elle est rattrapée par l'automatisation des process, aujourd'hui sur la saisie comptable, demain sur les déclarations de TVA, ou la liasse fiscale. Il y a un impératif pour les cabinets à se repositionner. » Interlocuteurs privilégiés des dirigeants de quelque 160 000 PME hexagonales, au plus près de la donnée, les experts-comptables n'en sont pas moins exposés à la transformation des métiers de la finance d'entreprise.
Et cherchent à s'adapter, travail qui passe par de nouvelles missions, comme la gestion de patrimoine, la fiscalité ou la RSE, mais aussi celle du Daf externalisé. Son principe : des contrats de service apportant, quelques jours maximum par semaine, la compétence Daf au client, sur des besoins très larges, allant du conseil en stratégie financière à la mise en place d'outils de contrôle budgétaire. Le marché ? Conséquent, et intéressant pour les experts-comptables, puisqu'il porte sur leur coeur de clientèle historique, les entreprises de 10 à 50 salariés. Et plus spécifiquement celles qui, en croissance, ne disposent pas pour autant des ressources pour staffer un Daf en interne : « C'est tout l'intérêt de ce type de mission, qui n'est pas en soi récent, puisqu'un cabinet sort parfois de son expertise strictement comptable pour accompagner un client sur un besoin ponctuel, poursuit Stéphanie Laporte, qui préside aussi le club Daf externalisé de l'Ordre de Paris Île-de-France. Par contre, que des experts-comptables se positionnent sur un "packaging" complet de Daf externalisé, ça oui, c'est nouveau. »
Contexte réglementaire assoupli
Il faut le dire, ils y sont aussi encouragés. D'abord par un contexte réglementaire qui s'est assoupli depuis 2017, les ordonnances Macron permettant aux cabinets d'assurer ce type de prestations sans disposer, comme auparavant, de la mission principale auprès de l'entreprise. Mais c'est aussi, du côté des entreprises, un marché qui s'ouvre aux Daf externalisés, sous l'impulsion notamment des start-up. Un écosystème très spécifique, cumulant croissances parfois exponentielles, besoins de financement et ouverture à de nouvelles organisations de travail, que Jessie Toulcanon connaît bien. Venue du marketing et du e-commerce, elle a cofondé en 2019 Pickme, spécialiste de la livraison collaborative, qui démultiplie, grâce à sa communauté de « voisins-relais », les possibilités de livraison et de collecte de colis sur le dernier kilomètre.
L'application est lancée fin 2020, et rapidement, la proposition de Pickme séduit. Particuliers (plus de 150 000 voisins-relais à date), entreprises de transport de colis et logisticiens (Colissimo, DHL, Geodis ou encore GLS en portefeuille) et investisseurs. « Nous avons d'abord fait porter nos efforts sur le développement du produit, sur sa commercialisation BtoB, avec des enjeux techniques, mais aussi RH, qui arrivent vite dans la vie d'une start-up, explique-t-elle. La gestion financière était traitée en interne, via une plateforme, nous n'avions même pas d'expert-comptable... À un moment, le sujet a fini par être insuffisamment adressé. »
Besoins de reporting
C'est lors de la troisième levée de fonds de la start-up, courant 2022, qu'il s'invite dans les discussions, les investisseurs ayant besoin de reporting et d'une démarche financière structurée. La levée - 3,5 millions d'euros en pré-Seed - est conclue auprès de Founders Future, son actionnaire historique, rejoint par OneRagtime, Frenchfounders, Kima Ventures et des business angels stratégiques. Avec une organisation revue côté finance, un office manager étant recruté sur la donnée, complété par un Daf externalisé et un expert-comptable. « Nous avions identifié, en plus des demandes de nos investisseurs, des besoins de conseil sur la gestion des marges, la constitution du board, ou notre stratégie qui, tous, supposaient de travailler avec un profil expérimenté, poursuit la directrice générale de Pickme. Un Daf externalisé correspond bien à ces besoins. Il voit passer d'autres dossiers, partageant son temps entre plusieurs entreprises et nous apporte son expérience. J'apprécie aussi le tandem formé avec notre expert-comptable, qui permet un reporting des deux côtés et une forme d'émulation vertueuse. »
Une configuration qu'Anthony Guez, aux rênes de Mindset Finance (10 collaborateurs), retrouve de plus en plus régulièrement chez ses clients, à 70 % des start-up. Son diplôme d'expert-comptable en poche, c'est d'ailleurs en observant la poussée de la French Tech qu'il décide, après un parcours en audit, puis en tant que Daf dans une société de conciergerie d'entreprise, d'ouvrir en 2019 son cabinet de conseil. Avec une spécialisation d'entrée sur les Daf externalisés, 85 % du chiffre d'affaires de Mindset Finance : « Le contexte de départ était porteur, avec beaucoup de levées de fonds et des obligations de reporting, rappelle Anthony Guez. Depuis, il a sensiblement évolué, sous l'effet de la Covid d'abord, puis après, par cette phase curative que connaît actuellement le marché, où les investisseurs sont là, mais plus attentifs aux fondamentaux des business où ils se déploient. La proposition de Daf externalisé est restée pertinente dans ces mouvements de conjoncture, et intéresse d'ailleurs au-delà de l'écosystème start-up. »
Un créneau concurrencé
Pour la porter, les experts-comptables se savent challengés par une concurrence qui se garnit rapidement. Sur un métier en tension sur ses profils, des Daf, souvent en seconde partie de carrière, se sont positionnés en freelance sur le créneau ou se regroupent en société de conseil pour apporter une offre plus structurée. Et, agiles, gagnent des positions : « Lorsque nous entrons en phase de discussion, il est rare que mes concurrents soient eux-mêmes experts-comptables, ajoute Anthony Guez. Quelque part, la profession évolue moins vite que son marché, et c'est vraiment dommage. Les experts-comptables ont la confiance du dirigeant, accès à toutes les données financières de l'entreprise, et disposent de la technicité requise, ce sont d'abord à eux que l'on devrait penser pour un Daf externalisé ! »
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