De directeur financier à directeur des valeurs
La RSE prend de plus en plus d'importance dans notre société et dans les entreprises. Les enjeux qu'elle soulève doivent être comptabilisés. Cette évolution incite certaines entreprises à faire évoluer leur chief finance officer en chief value officer.
Après avoir été business partner, le Daf serait-il aujourd'hui directeur des valeurs ? Le directeur administratif et financier n'est en effet plus seulement garant de la performance financière de son entreprise, mais aussi de la performance environnementale et sociale. L'aspect financier seul ne suffit plus pour analyser la performance de l'entreprise et prendre des décisions stratégiques ; l'ensemble des valeurs, des impacts est désormais étudié. De chief finance officer, il évolue vers une fonction de chief value officer ou chief impact officer.
Ne pas se limiter à la performance financière
C'est en tout cas la décision qu'a prise, il y a un peu plus d'un an, Béatrice Fayolle, aujourd'hui directrice des valeurs de Sbt Humans Matter. « Je ne voulais pas brider ma fonction à la seule performance financière, mais être plus large que cela » raconte-t-elle. Cette évolution de titre lui permet de poser la question de la valeur derrière chaque projet d'investissement ou d'innovation, sans se restreindre uniquement à ce que cela va rapporter. « Les trois piliers que je suis sont la rentabilité, l'utilité et la durabilité » décrit-elle. Elle dit aujourd'hui consacrer 25 % de son temps à des sujets qui ne sont pas financiers, contre 5 % auparavant. « Et je gagne entre 5 et 7 % par an » précise-t-elle.
C'est aussi le souhait d'être plus qu'une directrice purement financière qui a incité Anne Larivière à suivre une formation dans le domaine de la RSE, à savoir celle du référentiel 26000 du label Lucie. « À titre personnel, je souffrais de ne regarder les choses que sous l'angle financier et de donner peu de place à l'humain » explique-t-elle. Elle est aujourd'hui directrice financière chez Agronutris, une entreprise à mission spécialisée dans l'élevage et la transformation d'insectes en protéines pour l'alimentation animale. Si elle n'a pas le poste de chief value officer ou chief impact officer, elle en a les attributions : « J'ai la double casquette finance et performance durable. Je ne me limite pas au prisme économique et financier, mais je m'intéresse aussi à des indicateurs environnementaux et sociaux » rapporte-t-elle.
Animer les sujets RSE
Cette évolution est-elle pertinente ? Pour Frédéric Médard, chief impact officer du groupe Bel, la réponse est assurément oui : selon lui, mêler financier et extra-financier permet de prendre de meilleures décisions. Il donne l'exemple des chaudières biomasses dans lesquelles le groupe a investi il y a plus de 15 ans, à une époque où l'on prédisait un retour sur investissement quasi nul. « Les critères financiers n'intègrent pas tout, comme dans cet exemple, la hausse du prix de l'énergie : nos chaudières ont eu un retour sur investissement au bout de 5/6 ans » défend-il. Pour Anne Larivière, mêler financier et extra-financier lui permet de ne pas voir l'activité sous l'angle financier, mais sous l'angle de l'impact. « Cela me permet de prendre les décisions en toute connaissance de cause aussi bien au niveau de l'impact financier que de l'impact environnemental et social » note-t-elle.
Au sein du groupe Bel, Frédéric Médard n'est pas seulement un directeur financier qui a intégré les dimensions extra-financières : il est la tête d'une direction qui chapeaute la finance et la RSE. L'objectif de cette direction hybride pour le moins peu conventionnelle est de piloter les dimensions financières et extra-financières au sein de la même direction. Mais est-ce au Daf d'animer la RSE au sein de son entreprise ? « Les directeurs financiers sont capables non seulement de solidifier les datas et de produire des reportings de qualité - aujourd'hui, nos reportings extra-financiers sont d'aussi bonne qualité que nos reportings financiers -, mais aussi de créer des moments de conversation autour de ces indicateurs afin de faire parler les chiffres et de générer des plans d'action » pense Frédéric Médard. Anne Larivière est du même avis : « Le directeur financier a un rôle à jouer dans le pilotage de l'entreprise en tant que pourvoyeur de données, mais aussi parce qu'il sait analyser ces données et challenger les équipes autour de ces données » avance-t-elle.
Apporter de nouveaux ingrédients
Mais le chemin de CFO vers CVO n'est pas toujours facile. « Quand nous avons commencé à parler de RSE aux financiers, ce ne fut pas évident tout de suite. Il a fallu sensibiliser, former... indique Frédéric Médard. Le choix a été fait de passer par la Fresque du climat afin que les équipes prennent conscience de l'urgence climatique, mais aussi qu'elles commencent à élaborer des plans d'action. » Béatrice Fayolle pense qu'il faut laisser un temps d'adaptation, qu'elle estime à environ un an, à condition que ce soit suivi. Par exemple, elle insiste sur le vocabulaire utilisé, notamment le terme « performance » qui est souvent réduit à la seule performance financière. « C'est aussi en apportant de nouveaux chiffres qu'on arrive à faire évoluer les mentalités : avec de nouveaux ingrédients, la cuisine a un nouveau goût » souligne-t-elle.
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Dans la même idée, le chief impact officer de Bel insiste sur la nécessité de mettre en place des démarches très concrètes, afin que les collaborateurs s'approprient le sujet. Ainsi, dès qu'il y a une demande d'investissement, une évaluation financière et extra-financière est automatiquement faite. « On établit une note qui permet de créer une conversation » ajoute Frédéric Médard. Cette notation existe désormais aussi pour les projets d'innovation. Le groupe a également développé un outil de pilotage du carbone afin de générer des plans d'action autour de l'empreinte carbone du groupe. Pour Anne Larivière, cette évolution va se faire naturellement avec la mise en oeuvre du CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). À partir de 2024, les sociétés cotées ainsi que les entreprises répondant à deux des trois critères suivants - plus de 250 salariés, plus de 40 M€ de chiffre d'affaires net, plus de 20 M€ au bilan - devront se soumettre à différentes obligations, et notamment la publication d'un rapport annuel faisant apparaître des informations sur les sujets de durabilité concernant au minimum les questions environnementales, sociales et de personnel. « Cela va être un grand chamboulement pour les directions financières, qui doivent être prêtes à avoir les bonnes données et la bonne remontée d'information grâce aux bons outils » juge-t-elle. Les directions financières vont donc devoir évoluer en directions des valeurs à marche forcée.
Audencia propose un executive master chief value officer
« Devenez chief value officer » : c'est ainsi qu'est titrée la présentation du nouvel Executive Master Chief Value Officer proposé par Audencia depuis la rentrée 2021. L'objectif est de former les professionnels du chiffre afin qu'ils répondent aux enjeux de développement durable, de plus en plus mis en avant par la réglementation et les investisseurs. « Les sujets de durabilité ne peuvent pas rester entre les mains de la seule direction RSE, mais les comptables et financiers doivent aussi agir » explicite Amélie Ruellan, directrice académique du programme. Il consiste à donner aux étudiants les bases en matière de RSE, mais aussi de s'intéresser à la mesure de l'impact, à l'évolution des business models et aux outils de comptabilité multicapitaux.
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