Comment manager l'innovation
Quand on parle d'innovation, il est tentant d'imaginer des génies guidés par une vision. Difficile dans ce cas de "manager l'innovation", évaluer la rentabilité et de se prononcer sur la poursuite ou non de ces projets. Pourtant, pas question de piloter l'innovation au flair, bien au contraire !
L'innovation, faut-il le répéter, n'est pas l'apanage des start-up. Parmi les plus beaux exemples d'innovation, nous citons souvent de grandes entreprises : Renault et la Twingo, Amazon et le Kindle Fire, Sony et le Walkman ou encore 3M et le Post-it. Pourtant, on oppose régulièrement les projets innovants et la bureaucratie ou la "grosse machine" qui étoufferait les idées innovantes dans l'oeuf.
De cette perspective, une seule chose à retenir : oui, les idées innovantes peuvent être très vite étouffées. Par essence, une idée innovante est la volonté de faire quelque chose de nouveau, avec peu de certitudes, et peu ou pas d'expériences similaires pour comparaison. Avec si peu d'informations, difficile de convaincre de la viabilité de son projet. Et c'est là que le caractère innovant de l'organisation va être déterminant : une organisation qui est structurée pour manager l'innovation sera en mesure de laisser la place à cette innovation et de la mener plus loin. Une organisation qui demanderait un ROI trop rapide ou des garanties impossibles à fournir risquerait de passer à côté de quelque chose d'intéressant. Pourtant, il ne faut pas tomber dans l'excès inverse : accepter tout projet sous prétexte qu'il pourrait aboutir à une innovation n'a pas de sens non plus. Il s'agit donc d'adapter ses critères de décision pour qu'ils collent à la nature éminemment incertaine des projets d'innovation.
Adapter ses critères de valeur
Un critère souvent invoqué dans la décision de poursuivre ou non un projet est son retour sur investissement. C'est un bon indicateur, qu'il faut conserver, mais qu'il faut savoir adapter à un contexte plus large.
Prenons un exemple : quand Amazon sort la première version de son Kindle Fire, une tablette couleur permettant de commander des jeux vidéos, livres et films dans le catalogue Amazon, elle s'avère n'être absolument pas rentable et est même vendue à perte. Hérésie si on se concentre sur le périmètre du produit physique seul. Or, dès qu'on y ajoute la composante des biens numériques achetés par les possesseurs de ladite tablette, tout change. Un utilisateur de la Kindle Fire consomme suffisamment de biens numériques pour qu'Amazon rentre dans ses frais au bout de 5 mois. Les années suivantes ne font que générer du revenu pour Amazon selon l'étude Gafanomics. Et continue à rapporter à Amazon les années suivantes ! La métrique intéressante à suivre devient donc l'ARPU : Average Revenue Per User. En considérant le chiffre d'affaires généré par utilisateur, et non plus par produit ou par vente, on est capable de capturer cette idée d'investissement qui payera par la suite. Utiliser cette métrique est particulièrement adapté pour des innovations liées à des modifications de business model, comme passer du bien physique à une logique de "lot" : "bien + service" par exemple. Mais cela suppose de réellement repenser sa logique d'analyse, de voir au-delà de la vente seule et d'avoir une bonne connaissance du marché et des comportements utilisateurs. Attention toutefois à être raisonnable et ne pas anticiper des revenus irréalistes pour justifier une vente à perte.
Gagner en connaissance client
Au delà même de la notion d'ARPU, nous pourrions vouloir favoriser des projets qui ne rapportent pas ... du moins à première vue. C'est par exemple la notion d'"utilisateur gratuit" ou ce qu'on appelle le modèle freemium. Il parait contre-productif d'offrir un produit ou service gratuitement, or c'est tout l'inverse. En suivant ce modèle, il est possible d'acquérir une base de clients plus vaste, extrêmement précieuse car monétisable a posteriori avec des options avancées payantes. Mais au-delà de l'aspect monétisation, une large base utilisateurs apporte aussi une connaissance des utilisateurs bien plus approfondie, ce qui permet alors de penser des services encore plus pertinents. Pensez-vous que Snapchat aurait pu cerner aussi bien les envies de ses utilisateurs si l'entreprise s'était cantonnée aux quelques utilisateurs prêts à payer pour envoyer des photos éphémères ?
Cette phase peut aussi vous permettre de découvrir un segment dont vous ignoriez l'existence : que ce soit un usage précis, professionnel, ou sur un secteur bien particulier. Et ce positionnement peut s'avérer bien plus porteur.
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Définir un périmètre clair à l'expérimentation d'une innovation
Trouver son marché est clé. Ce qui caractérise également un projet innovant c'est son incertitude. S'il ne trouve pas son marché, il faut savoir l'arrêter à temps et ne pas s'entêter. On parle parfois de "mode pari", souvent utilisé par les équipes avec une forte orientation produit : on se donne une question à résoudre, des moyens et un temps précis. Si au bout du temps imparti, l'objectif n'est pas atteint, on arrête.
Néanmoins, ce n'est jamais un échec. La connaissance utilisateur, la donnée et même la réputation innovante acquise sont des assets structurants et éminemment différenciants pour les projets à venir. À titre d'exemple, Google est riche d'un très grand nombre d'échecs, on l'oublie trop souvent, que ce soit leurs multiples tentatives de messagerie, leur réseau social Google+ ou les Google Glass. Ces dernières avaient été présentées comme une révolution, quelques années plus tard, le projet était abandonné. Mais il a permis de préciser les usages et on voit aujourd'hui des lunettes connectées dans le divertissement et pour des usages professionnels précis (aide à la maintenance par exemple).
Finalement, la gestion des projets innovants s'appuie sur 3 piliers :
1) des indicateurs de valeur plus adaptés (comme l'ARPU),
2) un périmètre clair pour vos expérimentations (le mode pari) et
3) surtout la volonté d'accumuler de la connaissance, que votre innovation ait trouvé son marché ou non.
C'est cette dernière composante qui sera déterminante : en valorisant l'innovation mais aussi l'échec, vous serez en mesure de créer une culture d'entreprise propice à l'émergence de nouveaux projets et capable d'attirer les meilleurs talents. A moyen terme, cette nouvelle culture doit pouvoir se transmettre et s'incarner hors du périmètre de l'entreprise, et notamment chez vos investisseurs. En effet, ils sont indispensables dans le développement de ces nouveaux projets !
Pour en savoir plus
Claire Dufetrelle, directrice adjointe du pilotage projets chez Fabernovel. Claire pilote également l'amélioration continue des méthodologies internes liées à la gestion des projets de développement.
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