Prix de transfert ou aides d'État? Les tax rulings en danger
Risque de récupération des aides
L'enquête sur Apple et l'Irlande semble être un sujet fiscal de plusieurs milliards d'euros. L'objectif est-il vraiment de récupérer ces milliards d'euros, ou d'émettre un signal vis-à-vis des États pour que ces pratiques se réduisent, pour le futur?
Au plan juridique, un risque existe, celui du remboursement intégral de l'aide et du paiement d'intérêts de retard courant depuis la mise à disposition de l'aide. Or, la récupération des aides est soumise à un délai de prescription relativement long, à savoir de dix ans. Le risque qui pèse sur l'entreprise concerne les aides dont elle aura bénéficié directement, mais aussi celles qui auront profité à un autre opérateur qu'elle aura acquis en tout ou partie, par la suite, et dont elle aura poursuivi l'activité, puisque la jurisprudence communautaire considère que, lorsqu'une entreprise est cédée en tout ou partie, qu'il s'agisse d'une simple cession d'actions ou d'une cession d'actifs, la restitution de l'aide est exigée de l'entreprise cédée (cession d'actions) ou de son repreneur (cession d'actifs) lorsqu'il y a continuité économique entre l'activité aidée et l'activité postcession.
La récupération des aides illégales (non notifiées à la Commission) et incompatibles (qui emportent une distorsion de concurrence au sein du marché commun), qui vise à remettre les opérateurs dans la situation concurrentielle qui existait avant l'octroi de la mesure (CJCE, 17 juin 1999, Belgique c/Commission, aff. C-75/97, pt 65), est obligatoire (sauf dans deux situations, cf. encadré focus). D'ailleurs, les États peuvent faire l'objet d'un recours en manquement s'ils ne prennent pas toutes les mesures nécessaires à la récupération des aides illégalement versées, et encourir une amende et une astreinte journalière. Cette sanction n'est pas lettre morte, l'Espagne et l'Italie peuvent en témoigner.
Les juridictions européennes au secours des entreprises?
En passant par le principe de concurrence, la Commission aurait-elle trouvé la parade pour lutter à la fois contre le tax planning des entreprises et le dumping fiscal, beaucoup plus agressif, entre États?
Cela les pousse à faire évoluer leurs pratiques en matière de rescrits fiscaux, mais il n'est pas sûr que les actions de la Commission aboutissent. Le 7 novembre 2014, le Tribunal de l'UE a annulé ses décisions déclarant incompatible avec le marché intérieur le régime fiscal espagnol de déduction des prises de participation dans des sociétés étrangères au motif que la Commission n'a pas établi le caractère sélectif de ce régime (aff. T-219/10 Autogrill España SA/Commission et T-399/11 Banco Santander SA et Santusa Holding SL/Commission). Cette affaire, défendue avec succès pendant plus de dix ans par nos collègues espagnols du cabinet Garrigues, montre que le temps politique de la Communauté et celui de la justice ne sont pas les mêmes.
L'entrée dans l'aire de la transparence fiscale
À la suite des enquêtes ouvertes en 2014 et de l'affaire Luxleaks, la détermination politique est, néanmoins, désormais forte. Cela se concrétise par des actions visant, dans un premier temps, à prendre connaissance de la "situation". En décembre 2014, la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, a demandé à tous les États membres de transmettre à ses services le détail de leur législation et des accords fiscaux passés avec les entreprises. Par ailleurs, le commissaire aux Affaires économiques et à la Fiscalité, Pierre Moscovici, prépare un projet de directive dans le cadre du "paquet sur la transparence fiscale", qui a pour objectif d'améliorer l'échange d'informations entre États concernant les mesures qui peuvent être avantageuses pour les entreprises.
Quand l'État est exonéré de son devoir de récupération
Si un État qui a accordé une aide est généralement peu enclin à procéder à la récupération, compte tenu des répercussions négatives au niveau des entreprises bénéficiaires en interne, deux situations peuvent l'exonérer de son devoir en la matière:
- la première, lorsque la récupération s'effectue à l'encontre d'un principe communautaire, notamment celui de confiance légitime. Tel est le cas quand le comportement de la Commission peut laisser présumer à l'État, d'une part, qu'elle avait connaissance de l'aide et, d'autre part, qu'il avait octroyé cette aide dans la légalité) ;
- la seconde, lorsqu'il existe une impossibilité absolue de restitution (l'entreprise n'existe plus - liquidation).