[Avis d'expert] Reportings réglementaires : pas de désescalade
L'Autorité Bancaire Européenne (EBA) vient de finaliser le cadre général du reporting applicable à partir de la fin d'année 2019 et, comme il fallait s'y attendre, de nouvelles exigences viennent alourdir une charge déjà conséquente.
On appelle ça un marronnier : il est de bon ton de critiquer cette propension franco-européenne à renforcer son arsenal réglementaire, en illustrant ce fardeau par quelques chiffres effrayants. L'actualité en regorge et les dirigeants d'entreprises ne sont pas les derniers à réclamer un choc de simplification, a minima sur le plan administratif. Et pourtant ce n'est pas le sens de l'histoire, qui semble irrémédiablement orientée vers un encadrement toujours plus marqué des activités économiques, et ce à plus forte raison lorsque celles-ci touchent à la sphère financière.
Après plusieurs itérations avec les associations professionnelles de la place, ce qui a induit une prolongation des négociations jusqu'à début décembre 2018, l'EBA a diffusé en ce début d'année 2019 les évolutions détaillées des exigences applicables aux banques en matière de reporting règlementaire, reporting qui est au coeur de la supervision bancaire telle qu'annoncée intrusive et intransigeante par son gouverneur lors des voeux annuels. Pour l'EBA, une supervision intransigeante passe nécessairement par une analyse détaillée de la situation financière des établissements bancaires. Et, en toute logique, lorsque les règles prudentielles ou les standards comptables évoluent, cela doit se refléter dans les états réglementaires publiés chaque trimestre.
Donc, lorsque la norme IFRS16 relative à la comptabilisation des opérations de location et de crédit-bail entre en vigueur, les états doivent évoluer (FINREP). Lorsque la BCE promeut un nouveau label STS pour soutenir la relance de la titrisation (qui doit permettre d'alléger les bilans bancaires et donc relancer la machine à crédit pour l'investissement et la consommation, principaux moteurs de croissance de nos économies), les états doivent évoluer (COREP). Lorsque les règles de pilotage de la liquidité d'une banque sont complétées, les états doivent évoluer (LIQREP). Lorsque les audits (la BCE mène actuellement une vaste campagne appelée Target Review of Internal Models - TRIM) des modèles internes pour la détermination du capital réglementaire dénichent de nouvelles pistes de contrôles, les états doivent évoluer (Benchmark IRB).
Un casse-tête opérationnel
Une démarche tout à fait naturelle pour assurer le contrôle de l'industrie, mais qui ne va pas sans poser quelques difficultés opérationnelles. Car certaines exigences interpellent de plus en plus et posent à nouveau la question du poids réglementaire qui pèse sur les activités bancaires traditionnelles.
A titre d'exemple, le bien nommé FINREP détaille sur une soixantaine d'états la structure du bilan (et même du hors-bilan) et du compte de résultat d'une banque : les dernières évolutions proposées intègrent désormais un niveau de détail extrêmement fin, qui impose par exemple de détailler ses soldes comptables par jour d'impayé pour les activités de crédit. Une anecdote qui pourrait prêter à sourire, sauf quand elle finit par se matérialiser par l'accroissement de près de 20% de la charge de reporting trimestriel, une activité assez peu porteuse de valeur pour le client final qui cristallise l'attention des investissements actuels.
Cette finesse d'analyse est probablement justifiée par l'angoisse bien dans l'ère du temps qui porte sur le niveau de la dette dite " non-performing " (quand les débiteurs se retrouvent en difficulté pour honorer leurs créances) au sein de l'Union Européenne, mais dont la matérialité sort du cadre strictement comptable, et qui impose aux organismes de revoir toute leur mécanique de production.
Et c'est bien là que le bât blesse : malgré certains investissements et certaines communications vantant de vastes projets de modernisation mettant l'Intelligence Artificielle au coeur de son excellence opérationnelle, la banque demeure le plus souvent pénalisée par l'héritage pré-industriel d'un Système d'Informations composé de couches applicatives rendues innombrables par l'histoire (acquisitions, priorisation d'urgences plutôt que de solutions pérennes, etc.), compliquant l'accès à la donnée et à la qualité de la donnée, surtout lorsque celle-ci doit combiner des domaines aussi différents (comptabilité, gestion, risque, finance, liquidité, back-office, etc.).
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La modernisation des banques à la peine
Parce qu'en 2019, la réalité est que les banques n'ont pas toutes osé repartir de zéro pour créer un nouveau SI comme ont pu le faire certains de leurs nouveaux concurrents et se trouvent encore empêtrées dans la mise en oeuvre de " Target Operating Model ", une organisation cible qui doit permettre de limiter l'effet silo des entités précédemment rigides.
En cela, elles sont doublement pénalisées : répondre à une demande réglementaire à laquelle un concurrent n'est pas éligible et donc créer une structure de coût au moment où son concurrent est agressif sur les frais & commissions. Sans chercher à remettre en cause l'équitabilité de la supervision bancaire, il faut ici voir dans les réponses formulées par la Fédération Bancaire Française, lors des phases de consultations, une forme de protestation contre cette charge qui détourne les institutions de leurs urgences, à commencer précisément par leur modernisation. Une dépense d'énergie pas tout à fait neutre, et qui vire même au cercle vicieux puisque, in fine, cela revient à ne plus traiter que les urgences (réglementaires) au détriment des tâches de fond, qui permettraient de traiter plus efficacement l'ensemble des problématiques aussi bien réglementaires qu'économiques.
Il n'en reste pas moins paradoxal qu'à l'heure du trading algorithmique, de la banque ouverte partageant ses données sous l'impulsion des dernières normes (DSP2) et de la robotisation du conseil financier, les institutions financières puissent être mises en difficulté opérationnelle pour produire un tableau de données décrivant leur organisation et leur marché. N'est pas Google qui veut.
Adrien Aubert, est partenaire associé du cabinet Square Management, spécialisé dans le conseil stratégique et opérationnel dans les secteurs de la finance, de la banque et de l'assurance.
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