Réforme européenne des délais de paiement : qui seront les gagnants et les perdants ?
S'il devait être adopté, le projet de règlement européen visant à généraliser les délais de paiement à 30 jours dans l'UE aurait des effets positifs sur les ETI et Ies moyennes entreprises, mais des résultats plus mitigés pour les plus petites.
Le projet de règlement européen qui prévoit de ramener les délais de paiement de 60 à 30 jours maximum pour toutes les entreprises, quel que soit le secteur d'activité, poursuit son parcours législatif. Il a été voté en première lecture au Parlement Européen le 23 avril 2024 et fortement amendé suite au tollé presque général, notamment en France, qu'il a suscité. Ainsi, le Sénat a invité la Commission européenne à "retravailler en profondeur le règlement concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions afin de prévoir notamment une flexibilité sur les délais de paiement et la prise en en compte des spécificités sectorielles et territoriales" dans une résolution adoptée le 14 mai dernier.
« Le texte se rapproche de la loi française et notamment de l'ordonnance du 24 avril 2019 qui a introduit l'article L441-10 du code de commerce et pose comme principe que le règlement de la facture doit avoir lieu 30 jours après la réception de la marchandise ou de l'exécution de la prestation demandée », explique Muriel Féraud-Courtin, avocate associée chez Deloitte Société d'Avocats. Comme en droit français où il est prévu que le délai convenu entre les parties (par contrat) ne peut dépasser 60 jours après la date d'émission de la facture, le projet de texte européen actuel stipule que dans le cadre de transactions B to B, les délais de paiement peuvent faire l'objet d'un accord entre l'entreprise cliente et le prestataire ou le vendeur. En cas de contrat, le délai ne pourrait alors pas dépasser 60 jours à compter de la date d'émission de la facture à la condition que ce délai soit avantageux à la fois pour le créancier et pour le débiteur. « Le projet actuel de règlement européen contient de nombreuses dérogations au délai initialement ferme de 30 jours. Il réintroduit la possibilité d'un délai de paiement de 120 jours dans certains secteurs, pour les produits saisonniers ou à rotation lente tels que les jouets, les livres, l'horlogerie et les équipements sportifs à la condition que cette pratique soit bénéfique pour les créanciers et les débiteurs. Par ailleurs, les produits alimentaires sont exclus du champ d'application de la réduction des délais de paiement à 30 jours», commente Muriel Féraud-Courtin.
Les PME gagnantes
Si ce texte pourrait ne pas tout révolutionner concernant les délais, il apporte cependant quelques nouveautés. « Il pourrait y avoir une évolution des comportements des entreprises, au niveau de l'application des pénalités, et de l'indemnité forfaitaire, qui passe de 40 à 150 euros selon le montant de la transaction », estime l'avocate. En cas de retard de paiement, l'application d'intérêt de retard, qui s'élève à au moins trois fois le taux d'intérêt légal, serait désormais automatique. Les entreprises victimes de retard de paiement ne pourront donc pas renoncer à leur indemnité forfaitaire et à l'application des délais de retard. « Les PME ne dénoncent pas ces contrats la plupart du temps pour ne pas se couper des marchés publics. Même une facture de petits montants va finir par embêter les grandes entreprises car les pénalités de retard vont devenir automatiques », ajoute Muriel Féraud-Courtin.
De nouvelles ressources de trésorerie pour les PME
Si les grandes entreprises, qui règlent le plus souvent leurs factures en retard, venaient à réduire ces délais de paiement, les conséquences pourraient être nombreuses et bénéfiques pour les PME et les ETI. C'est ce qui ressort d'une étude d'impact, menée conjointement par le groupe Altares, spécialisé dans l'information sur les entreprises, et le LaRGE, le laboratoire de recherche en finance de l'université de Strasbourg. Anaïs Hamelin, Professeur au laboratoire de recherche LaRrGE, de Sciences Po Strasbourg et l'EM Strasbourg, est co-auteure de cette étude publiée en mars 2024. Elle a analysé les bilans d'un million d'entreprises françaises sur l'année 2022, et s'est intéressée aux conséquences d'une réduction des délais de paiement pour les entreprises. A l'heure actuelle, en France, selon Altares, les délais clients avoisinent en moyenne 50 jours et les délais fournisseurs 60 jours. Dans le cas où la norme imposerait un délai unique de 30 jours,
Ainsi, 71 % des microentreprises, 86 % des PME, 92% des ETI et 94% des grandes entreprises seraient impactées, les délais de paiement de leurs clients et/ou les délais de règlement de leurs fournisseurs y étant aujourd'hui supérieurs à 30 jours. « Pour les entreprises qui ont déjà des délais fournisseurs inférieurs à 30 jours et des délais clients supérieurs à 30 jours, cette réduction des paiements va permettre de créer de nouvelles ressources de trésorerie car elles seront payées rapidement, en moins de 30 jours, tandis qu'elles paient déjà rapidement leurs fournisseurs », commente Anaïs Hamelin. On les trouve principalement dans les services aux entreprises où les achats sont souvent d'un montant faible par rapport aux ventes. A l'inverse, les sociétés, dont les clients payent en moins de 30 jours et qui disposent de délais fournisseurs supérieurs à 30 jours, vont être perdantes. Sont ici concernées les activités d'aval, où les clients payent souvent comptant et où les achats représentent une part importante des ventes, comme le commerce de détail ou l'hébergement-restauration. « Le fait de devoir payer plus rapidement leurs fournisseurs va entraîner une augmentation du solde commercial et de nouveaux besoins de trésorerie », ajoute Anaïs Hamelin.
Et de nouveaux besoins à financer pour les grandes entreprises
Tous secteurs confondus, le règlement européen aurait néanmoins le mérite d'améliorer considérablement la situation des petites et moyennes entreprises. Elles pourraient ainsi bénéficier de 14,4 milliards d'euros de ressources nouvelles nettes grâce au passage à 30 jours. Bien que moins élevés, les gains de trésorerie seraient aussi conséquents pour les micro-entreprises et les ETI, avec respectivement 5,9 et 6,9 milliards d'euros. À l'inverse, les grandes entreprises se retrouveraient à supporter quelque 12,5 milliards d'euros de nouveaux besoins à financer. « Ces chiffres masquent toutefois une grande hétérogénéité. Pour plus d'un tiers des micro-entreprises, cette réduction créerait de nouveaux besoins, car ce sont des entreprises qui bénéficiaient avant de liquidités, en raison de dettes fournisseurs élevées », note Anaïs Hamelin. Un effort de financement qui pourrait être lourd, voire impossible, à assumer pour les plus petites structures. Ces dernières se retrouveraient avec des besoins de financement non couverts équivalent à plus de trois mois (92 jours exactement) de chiffre d'affaires. Plus de deux mois (68 jours) pour les PME, contre seulement un mois (35 jours) pour les grandes entreprises.
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