Entre automatisation et IA, la Daf au milieu du gué
"La guerre des comptables et des robots aura-t-elle lieu?", s'interrogeait Le Monde. De fait, en tant que gardienne de la donnée, la fonction finance est en première ligne face à la révolution technologique en cours. Comment la Daf doit-elle se transformer?
Transformation digitale, big data, machine learning, automatisation... autant de termes qui s'imposent de plus en plus dans le vocabulaire de la finance d'entreprise. "L'évolution du métier de Daf est liée majoritairement à la digitalisation des processus et aux évolutions de la structure des entreprises, souligne Siham Ben Salem, directrice de l'ICS Bégué, école spécialisée dans les métiers de l'audit et de l'expertise comptable. Le numérique conduit la finance à imposer un nouveau modèle opérationnel, basé sur l'analyse tous azimuts des données." Mais, alors que les outils se revendiquant de l'intelligence artificielle (IA) se multiplient à vitesse grand V, difficile pour le Daf de mesurer le potentiel de ces nouvelles technologies et, surtout, leur impact sur son service.
Depuis plusieurs années, les solutions d'automatisation dédiées à la fonction finance se développent. Qu'il s'agisse de la gestion de la paie, du recouvrement ou de processus de justification des comptes, leur point commun est de limiter, voire supprimer la saisie manuelle des données.
Les tâches de saisie sont de plus en plus souvent remplacées par des algorithmes
Firmin Zocchetto, cofondateur de la start-up PayFit, une solution d'automatisation des process RH des entreprises, estime que des tâches chronophages telles que la production du solde de tout compte, du certificat de travail ou encore de l'attestation employeur, qui "prenaient énormément de temps aux DRH et gestionnaires de paie avant", sont désormais "de plus en plus automatisées. D'ici cinq ans, il suffira de cliquer sur un bouton pour générer ces documents".
Côté comptabilité, l'éditeur Esker, par exemple, propose un CRM qui supprime la gestion manuelle du recouvrement, tandis que BlackLine a développé la plateforme Finance Controls and Automation, notamment adoptée par Saint-Gobain, qui a servi au groupe à standardiser ses processus comptables en passant à l'électronique, et ainsi à accélérer la clôture mensuelle.
"Les tâches de saisie sont de plus en plus souvent remplacées par des algorithmes", estime le cabinet la Compagnie fiduciaire.
Comptables: 100% de chômeurs en 2030?
Mais, à l'heure où ces nouveautés bouleversent les missions au sein des services financiers, la prochaine étape de cette révolution est déjà enclenchée: le déploiement de l'intelligence artificielle, notamment via l'approche du machine learning. Avec ce processus, les ordinateurs exploitent, à l'aide d'algorithmes, le big data pour "apprendre" et optimiser des actions sur la base des analyses ainsi obtenues.
Prévisions de comportements de paiement, reportings intelligents, optimisation de la gestion des stocks, analyse des besoins de trésorerie... Les possibilités semblent infinies. La robotisation, premier pas dans le machine learning, attire les Daf: selon l'étude PwC "Les priorités 2017 du directeur financier", 48% des Daf nourrissent des ambitions concernant la robotisation à l'horizon 2017/2020. Pouvez-vous, dès lors, envisager de remplacer votre comptable par un robot? Au vu des solutions existantes, il est encore un peu tôt pour mettre à la casse les humains.
Les premiers bots dédiés à la finance d'entreprise ont déjà fait leur apparition. Ils s'appellent Wanda ou Pegg, et se présentent plutôt comme des superassistants sous forme d'appli prenant en charge les tâches chronophages et répétitives, tout en offrant un accès immédiat aux données. Pegg, créé par Sage, est un assistant virtuel avec lequel on peut discuter de toutes les informations financières (factures en cours, dépenses...) et qui est capable de fournir des rapports financiers intégrés au logiciel de comptabilité. Wanda, l'assistante digitale d'Unit4, interagit avec l'ERP. Elle apprend progressivement les habitudes individuelles pour être davantage pertinente dans ses recommandations et peut fournir des tableaux d'analyse complets. On est encore loin, donc, du droïde en costard cravate qui éclipserait les membres de votre équipe.
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IA: vers l'analyse prédictive
Mais au-delà du domaine purement comptable, des programmes d'intelligence artificielle tels qu'Einstein, de Salesforce, ou encore Watson, chez IBM, réalisent des analyses statistiques poussées appliquées au big data, tout en intégrant des éléments extérieurs pour proposer des analyses prédictives. Si l'automatisation a déjà modifié les tâches quotidiennes de la Daf, cette fonction d'analyse prédictive de l'IA devrait, quant à elle, amener à redéfinir vraiment les missions au sein des équipes. "L'IA augmentera le nombre de tâches à valeur ajoutée et la fiabilité des données, estime Frédéric Durand, product manager big marketing chez Canon. Elle automatise les contrôles pour n'aiguiller vers l'humain que les données complexes."
"l'IA pourra proposer des écritures comptables pour validation par un humain"
Thierry Mathoulin, Workday
En fonction des événements de gestion, "l'IA pourra proposer des écritures comptables pour validation par un humain ou aller jusqu'à la comptabilisation", illustre Thierry Mathoulin, directeur général France de Workday, éditeur d'une solution financière cloud, qui cite un autre exemple d'application: "Le suivi des nouvelles normes fiscales et comptables pourra être fait avec l'IA comme expert, qui recommandera des actions pour optimiser la fiscalité ou respecter les normes." Au final, "l'IA offre une anticipation et une meilleure visibilité sur les flux financiers. Au global, elle rééquilibre la donne avec plus de stratégie et moins d'opérationnel", résume Frédéric Durand (Canon).
Blockchain is coming
Parallèlement aux évolutions induites par l'IA, une autre transformation majeure devrait impacter les services financiers des entreprises dans les années à venir: la blockchain. Cette technologie de stockage et de transmission d'informations, qui fonctionne sans organe de contrôle central, sert à tracer et à valider des transactions financières en contrôlant l'historique des opérations déjà effectuées. "Cette approche innovante devrait en particulier intéresser tous les professionnels servant d'intermédiaire entre deux parties, comme les avocats, les notaires, ou les courtiers immobiliers ou financiers, pointe Claude Cordier, directeur marketing produits et services chez Sage. Elle devrait également influer sur les méthodes de travail des comptables, car elle élimine une part importante de la charge de travail aujourd'hui impartie à cette profession, comme la vérification et l'enregistrement des transactions, les transferts de fonds ou le paiement des factures."
Les smart contracts, ou "contrats autoexécutants", présentent un potentiel particulièrement intéressant pour le monde de la finance d'entreprise. Il s'agit de programmes autonomes, reposant sur la blockchain Ethereum, qui s'exécutent automatiquement lorsque les conditions définies au préalable sont remplies. Les assureurs sont en première ligne face à cette nouveauté qui pourrait révolutionner la gestion des sinistres, voire des risques dans leur ensemble. En mars 2017, plusieurs grandes sociétés dont Microsoft, Intel, Accenture, Credit Suisse, JP Morgan et UBS se sont associées au sein d'un consortium visant à créer une version privée de la blockchain Ethereum. Signe de l'adoption prochaine des smart contracts dans un plus grand nombre d'entreprises?
Lexique
Blockchain privée: registre stockant et transmettant les informations de manière sécurisée et décentralisée, mais avec un système de permission d'accès, de lecture et de vérification plus strict, réservé à un réseau privé.
Machine learning: en français "apprentissage automatique". Il s'agit d'un processus par lequel les intelligences artificielles, à l'aide d'algorithmes, exploitent le big data pour "apprendre" et optimiser des actions sur la base des analyses ainsi obtenues.
Bot: logiciel robotisé qui parle en direct avec l'utilisateur à travers une appli ou une messagerie automatique.
Data scientist: expert du traitement et de la valorisation du big data, il effectue des analyses pointues à partir de données multiples et dispersées, pour élaborer des indicateurs stratégiques pertinents. Il dispose de compétences étendues: analyse statistique, machine learning, data mining, codage...
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Solution de finance cloud unifiée
Par ailleurs, la création de blockchains privées - c'est-à-dire qui ne sont pas ouvertes à tous, mais accessibles uniquement dans un réseau privé, sur autorisation - est également une approche déjà testée par de nombreux secteurs. La start-up Ripple, par exemple, a créé une blockchain privée destinée aux banques pour effectuer des transferts de fonds à l'international de manière instantanée, sans passer par un opérateur central. De quoi ouvrir des perspectives dans l'organisation de votre fonction finance!
À terme, ces différentes évolutions technologiques amèneront sans doute la plupart des Daf à transformer leur système d'information finance en une véritable plateforme numérique partagée avec les managers opérationnels de l'entreprise. Pour Frédéric Durand (Canon), "l'IA facilite la création de centres de services financiers partagés." Ce qu'ambitionne déjà l'éditeur Workday, par exemple, avec sa solution cloud Workday financial: une solution de finance cloud unifiée qui n'est plus réservée uniquement à la direction financière, donnant aux directions opérationnelles l'accès "aux informations détaillées pour les visualiser de façon très simple, identifier les problèmes et mettre en oeuvre des actions correctives, tout cela en seulement quelques clics", souligne Thierry Mathoulin. Des dispositifs qui devraient rapidement monter en puissance avec le renforcement du machine learning.
Le Daf, chef d'orchestre de la stratégie data driven
Face à ces multiples évolutions technologiques, quel sera le rôle du Daf et à quoi ressemblera son équipe d'ici quelques années? "Aujourd'hui, on anticipe une évolution des missions vers plus de supervision et de stratégie", indique Frédéric Durand, product manager big marketing chez Canon. Les services administratifs et financiers vont sans doute vivre un chamboulement comparable à celui provoqué par l'arrivée de l'informatique dans les entreprises: "De nouveaux métiers apparaîtront très probablement, d'autres seront automatisés", estime Thierry Mathoulin, directeur général France de Workday. D'autres, encore, tomberont dans l'oubli, à l'instar des sténodactylos, en leur temps... Pour l'expert, l'IA doit avant tout être envisagée comme "une aide additionnelle aux équipes comptables", pour "repositionner la direction financière dans un rôle de business partner, plus axé sur l'aide à la décision stratégique".
Concrètement, il s'agira pour le Daf de repositionner ses collaborateurs "sur des tâches d'analyse plus pointues et sur des relations plus avancées avec les métiers", ce qui nécessitera de mettre en oeuvre des dispositifs de formation afin qu'ils acquièrent "des compétences plus importantes d'analyse et des aptitudes interpersonnelles plus fortes pour la communication de ces analyses", juge Thierry Mathoulin. Mais aussi d'intégrer des collaborateurs capables d'aller au-delà de l'analyse des données fournies par l'IA pour en tirer des actions et des indicateurs concrets: des data scientists.
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