Financement des start-up : le rapport Midy au secours des entreprises innovantes
« Il n'y a pas de secret sur le fait que le marché du financement des start-up n'est pas à la fête. On observe un ralentissement assez significatif depuis septembre 2022 et des exigences plus lourdes des investisseurs qui réclament un horizon de rentabilité », explique Thomas Dupont-Sentilles, avocat associé en corporate au sein du pôle technologies & life sciences du cabinet Goodwin. Auparavant, les levées étaient faciles, mais avec le ralentissement, « le mur du cash de certaines start-up s'approche », selon l'avocat.
Renforcer le financement early stage
Pour cela, il veut s'inspirer des mesures du gouvernement britannique baptisées EIS (pour enterprise investment scheme) et SEIS (pour seed enterprise investment scheme) qui visent à soutenir l'innovation. Dans son rapport intitulé Soutenir l'investissement dans les start-up, PME innovantes et PME de croissance de juin 2023, le député Paul Midy propose de créer un nouveau dispositif unifié, appelé Jeunes Entreprises, avec les JEIC (pour jeunes entreprises innovantes de croissance) et JEIR (pour jeunes entreprises innovantes de rupture) et ainsi permettre de lever un milliard d'euros supplémentaires par an. L'idée est de les aider dans la levée de fonds, l'embauche ou la gestion de leur trésorerie avec, par exemple, le fait de toucher le CIR avec un an d'avance grâce au « CIR à la source ». Pour Thomas Dupont-Sentilles : « Le rapport Paul Midy avait l'avantage de proposer d'étendre les avantages attachés au statut des JEI à d'autres entreprises en croissance à un stade de développement plus avancé que les JEI ou évoluant dans la deeptech, en leur permettant de bénéficier des avances de CIR et ainsi de disposer de la trésorerie à investir en R&D, alors même qu'elles n'ont pas de résultat fiscal. C'était d'autant plus intéressant que ces avances de CIR constituent un avantage concurrentiel des start-up fondées en France par rapport à l'étranger et les propositions faites auraient participé à l'attractivité de la France. »
La mort du dispositif des jeunes entreprises innovantes ?
Mais sur cette initiative de nouvelle classification des JEI, les mesures du rapport Midy semblent en passe d'être enterrées. Une des raisons invoquées : le coût trop important d'un tel dispositif. Selon un avis de la commission des finances du Sénat daté du 16 novembre 2023 : « L'élargissement du dispositif des JEI, avec un abaissement de 15 % à 10 % du seuil des dépenses de recherche permettant d'en bénéficier, se traduirait par une hausse du coût du dispositif de l'ordre de 190 millions d'euros, sans aucun élément circonstancié permettant d'apprécier l'utilité d'un tel élargissement... » Le sénateur (LR) de la Meurthe-et-Moselle, Jean-François Husson, souhaite même supprimer l'article créant les catégories de JEIC et JEIR.
Solliciter l'épargne dormante des Français
Parmi les autres mesures du rapport Midy figurent un mécanisme simplifié d'accès à la commande publique jusqu'à 200 000 euros et le fait d'inciter les grands groupes à développer des fonds de corporate VC et à accroître leurs commandes auprès des start-up et PME innovantes. Ce qui est une mesure judicieuse, pour Bertrand Dufour, expert-comptable spécialisé dans l'économie du numérique et associé au sein du cabinet d'audit, d'expertise et de conseil RSM, car si « souvent, les grands groupes ont des fonds dédiés corporate VC pour investir dans les start-up, il existe toujours un problème de l'accès à la commande publique des start-up ». Enfin, le rapport dresse une troisième voie, après les entreprises et les institutionnels, pour le financement des start-up : celle de l'épargne des Français, estimée à 5 000 milliards d'euros. Ces mesures doivent permettre d'orienter plus d'un milliard d'euros par an vers les start-up et PME innovantes. Il s'agit de flécher une partie de l'épargne placée dans l'assurance vie, dans l'épargne salariale et dans les caisses de retraite vers les start-up et les PME innovantes. « Ces mesures peuvent être intéressantes pour continuer de promouvoir le financement des start-up early stage et l'investissement des épargnants français dans ces sociétés. Certes, les fonds français et étrangers sont présents sur ce segment, mais l'investissement des particuliers est réservé à un cercle de business angels "connaisseurs" restreint », selon maître Thomas Dupont-Sentilles.
L'intérêt des BSPCE
Un autre sujet est celui de la fiscalité des BSPCE. Pour rappel, les bons de souscription de parts de créateur d'entreprise (BSPCE) sont des bons d'achat accordés à des salariés (ou à des dirigeants d'entreprise) afin de leur permettre d'acheter des titres de la société durant une période fixée et à un prix déterminé peu élevé. Les bons sont alors convertis en actions lorsque le salarié verse le prix et que toutes les conditions au contrat sont remplies. « Le caractère très encadré et limitant des BSPCE crée un désavantage concurrentiel par rapport aux autres tech nations », souligne Thomas Dupont-Sentilles. Ce désavantage tient essentiellement aux contraintes relatives à la fixation de leur prix d'exercice qui empêchaient jusqu'à présent d'appliquer des décotes comparables à celles vues aux États-Unis, par exemple. » Ainsi, pour continuer l'investissement au capital des salariés, le régime des BSPCE devrait s'assouplir. « Le sujet des BSPCE est intéressant, mais la limite du système se trouve dans la valorisation », estime Bertrand Dufour de RSM. Pour les dix ans du label French Tech, Jean-Noël Barrot, ministre délégué au Numérique, avait émis l'idée d'avantages fiscaux, notamment dans la distribution de stock-options. Il s'agirait d'une décote d'illiquidité sur les BSPCE. Dans les faits, les entreprises pourraient offrir des BSPCE à un prix très inférieur à la valeur de l'action, ce qui constitue pour les bénéficiaires un gain potentiel bien plus élevé. « Ce qui existe déjà dans d'autres pays, mais le texte d'application n'est pas encore paru », souligne Bertrand Dufour. Cependant, en fin de compte, au regard des pays champions de la tech comme les USA : « C'est le jeu de la concurrence. Rien ne sert de soutenir l'ensemble des start-up et de continuer à injecter de l'argent dans un marché où une consolidation se profile. » En résumé, seuls les plus solides resteront.
Propos de Michel de Lempdes, président de l'association France Deeptech créée le 29 novembre 2023 et managing partner d'Omnes Capital
« Les phases d'early stage et de série A sont bien couvertes, ce qui a permis un réel essor de la deeptech en France, au cours des dernières années, avec plus de 4,4 Mds d'euros levés par 263 start-up deeptech en 2022. En 2023, sur les neuf premiers mois de l'année, ce chiffre atteint 3,8 Mds d'euros à comparer à 1 Md d'euros en Allemagne sur la même période. Mais la deeptech nécessite un financement conséquent et les besoins de financement pour les séries B et au-delà peuvent être estimés à 12 Mds pour la période 2024-2026. Compte tenu des montants disponibles levés par les fonds français actuellement, ce montant peut être ramené à 10 Mds d'euros... qu'il reste à financer. Les mesures proposées par le rapport Midy sont toutes intéressantes, car elles visent globalement à mieux financer les start-up en général et les start-up deeptech en particulier. Concernant ces dernières, le versement accéléré du CIR et la création du statut JEIR nous semblent des mesures déterminantes. »
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