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« Il faut toujours favoriser la prise d'initiative », François-Gérard Bouy, Daf de Labrador

Depuis sa prise de poste, il y a deux ans, François-Gérard Bouy, Daf de Labrador, spécialisé dans la communication réglementée, enchaîne les projets. Structuration RH, digitalisation, build up, financement...

Publié par Camille George le - mis à jour à
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« Il faut toujours favoriser la prise d'initiative », François-Gérard Bouy, Daf de Labrador

>Comment en êtes-vous venu au poste de Daf chez Labrador ?

Je ne me destinais pas à une carrière dans la finance au départ, mais au détour d'un stage, et surtout d'une rencontre d'un mentor inspirant, j'ai bifurqué vers l'audit avec un premier poste au German Desk chez PwC. À 26 ans, j'ai eu l'oppor­tunité de devenir responsable du contrôle de gestion d'une entreprise de transport et logistique qui réalisait 1 Md€ de CA. Le poste avait une dimension entrepreneuriale qui me plaisait bien, mais au bout de trois ans, j'avais envie d'aller encore plus dans l'opérationnel. J'ai donc rejoint Furnotel, entreprise familiale sous LBO qui réalisait 50 M€ de chiffre d'affaires, et y ai évolué jus­qu'à prendre les fonctions de Daf en 2015.

A 32 ans, j'avais soif de nouveaux challenges et voulais me frotter au pilotage financier d'une entreprise en forte croissance. En 2018, j'ai donc sauté le pas et intégré les équipes de Wind en tant que finance manager. Je répondais à un CFO, mais j'avais toute la partie back-office de l'acti­vité, avec l'encadrement de l'administration des ventes et le contrôle de gestion dans un contexte de croissance et de levée de fonds. J'y suis resté deux ans et demi.

Après un passage dans l'industrie, j'ai eu la chance de rencontrer les dirigeants de Labrador, société spécialisée dans la communication réglementée des entreprises cotées, qui était la conjugaison de tout ce qui me plaisait, à savoir une société familiale (ou quasi puisque l'actionnariat est porté par Laurent Rouyrès, qui est le fondateur), à forte dimension entrepreneuriale, dont l'activité est en pleine mutation vers le digital, et portée par un jeune directeur général, Thibault Dewavrin, qui venait de rejoindre l'organisation. Un duo de direction aussi complémentaire qu'ambitieux, avec un profil porté sur les projets, l'innovation, la prise de risques au service d'une vision claire et affirmée et un autre tourné vers la saine gestion, la croissance rentable, l'organisation et la stratégie dans lesquels je me retrouve pleinement.

>Quels ont été vos premières actions et principaux chantiers depuis deux ans ?

Je suis arrivé en mars 2021, avec l'objectif simple, mais ambitieux, de mettre l'entreprise sur les rails pour maîtriser notre activité et nous permettre, à horizon deux ans, de pouvoir entrer en contact avec des investisseurs pour ouvrir le capital et lever des fonds. Tout en haut de la liste des priorités se trouvait la digitalisation de l'ensemble du back-office et de la fonction finance. Les investissements avaient été relativement faibles jusque-là et nécessitaient d'être revus. À titre d'exemple, nous avions un logiciel comptable « on premise » peu accessible, avec des exports complexes rendant l'analyse des données très lourde, un ERP pour la partie gestion commerciale peu abouti et donc peu satisfaisant pour les utilisateurs. De plus, aucun contrôle de gestion n'était mis en place. Partant de ce constat, la feuille de route était assez claire : il fallait revoir les outils mis à disposition en partant de l'expé­rience utilisateur, sécuriser et unifier le système d'information et mettre en place un contrôle de gestion structuré.

>Comment avez-vous amorcé tous ces changements ?

Sur toute la partie SI Finance, mon objectif principal était que les équipes se réapproprient notre ERP non pas en leur imposant l'ERP en direct, mais en leur proposant des outils satellites fiables, ergonomiques et interfacés via API à notre ERP. J'ai mis en place un outil SI RH (Lucca) pour dématérialiser les flux et les données RH. En parallèle, je me suis attaché à digitaliser nos process, nous avons mis en place la signature électronique avec Docusign et digitalisé la téléphonie avec Aircall. Nous avons aussi mis en place Agicap pour piloter la gestion de trésorerie, ainsi qu'un process PtoP, Yooz, qui nous accompagne dans la gestion des bons de commande et factures fournisseurs. Nous avons également implémenté un outil de référencement fournisseurs pour sécuriser nos flux et réduire le risque de fraude. Nous avons en outre mis Swile en place pour les titres restaurant, mais aussi les services mobilité. De même, via l'application, nous pouvons faire des sondages auprès des salariés afin de solliciter facilement des retours sur les différents projets en cours. Il se trouve que ces changements ont été concomitants d'un renouvellement des équipes. 80 % de l'équipe finance ont été renouvelés du fait de départs et de la fin de mission de certains collaborateurs. Cela m'a permis de faire bouger les lignes et de créer de nouvelles fonctions. Une administration des ventes a ainsi pu être créée afin de mettre sous contrôle la facturation et le recouvrement clients et d'améliorer de 100 jours notre DSO.

Tout ceci a permis d'obtenir rapidement de l'information dans une organisation où elle n'est pas toujours facile à recueillir. Cela a également eu pour effet de moderniser le back-­office. L'objectif à moyen terme était de remettre l'ERP à sa juste place. Il doit être pensé comme la colonne vertébrale structurante d'une organisation qui centralise et unifie les flux, les process et les données, et doit pouvoir accueillir des outils satellites spécialistes de certains flux. Le fait d'avoir aujourd'hui des logiciels SaaS spécialisés sur une tâche clé et connectables à l'ERP via des API permet de simplifier et d'améliorer l'expérience utilisateur tout en restant dans un environnement sécurisé et structuré. Actuellement, nous avons donc un CRM (Hubspot) interfacé à notre ERP NetSuite et nous allons mettre en place un outil de gestion de projet connecté également.

>Comment la nouvelle équipe Finance est-elle structurée aujourd'hui ?

Nous ne sommes pas très nombreux. L'équipe compte une responsable RH, une responsable ADV, un responsable de la formation et de NetSuite, une responsable comptable aidée par une alternante, ainsi qu'un DSI. L'objectif est de renfor­cer le service comptabilité pour pouvoir finaliser l'inter­nalisation de la comptabilité. Nous prévoyons également d'ouvrir un poste en contrôle de gestion. Concernant notre filiale aux États-Unis, nous n'avons personne sur place ; pour le moment, je gère cette partie, épaulé par un expert-comptable local.

>Outre l'aspect digital, comment s'est passée la transformation sur le plan RH ?

J'ai en effet porté cette transformation. L'objectif était de ­s'appuyer sur le CSE pour renforcer le dialogue social au sein de l'entreprise. La première des actions a été de négocier une charte de télétravail qui a permis d'offrir aux salariés la flexibilité de télétravailler 113 jours par an et à l'entreprise d'organiser le retour des équipes dans nos locaux. L'an dernier, nous avons mis en place un plan de formation pour tous afin de redonner à chacun un socle commun sur les fondamentaux du management et créer une culture RH partagée par l'ensemble des salariés. Chacun a eu au moins deux jours de formation au management via la Labrador Academy, créée à cet effet. Cette année, nous avons instauré les négociations annuelles et signé un accord sur le temps de travail, et nous négocions actuellement un éventuel accord d'intéressement. Ce travail sur le volet RH vise à reconnaître l'implication des équipes dans la création de valeur de l'organisation et de l'ordon­ner. À date, c'est ce projet que je trouve le plus réjouissant.

L'autre gros dossier avec des impacts forts, en matière d'envi­ronnement de travail, a été le rachat des locaux et les vastes travaux qui ont suivi pour améliorer le bien-être des salariés. Il s'agissait d'un important dossier tant au niveau de la négociation, puis de la recherche de financements, que du suivi des travaux par la suite.

>En plus de ces chantiers, Labrador vient de signer un rachat, racontez-nous...

Nous avons fait l'acquisition d'Argyle aux États-Unis et de son centre de production à Manille. Ce qui entraîne mon expatriation à Manille, avec ma famille, pour trois ans à partir de juillet prochain, pour lancer l'activité. Pour être précis, nous avons racheté un portefeuille commercial aux États-Unis qui fait de Labrador le n° 1 aux États-Unis, puisque nous avons 50 % du top 100 américain en portefeuille clients (Google, Apple, Paypal, etc.). Nous les accompagnons sur l'édition des proxy statement et des 10-K (l'équivalent des rapports annuels et des brochures de convocation en France). Ce qui est notre coeur de métier en France où nous bénéficions de positions intéressantes (50 % du SBF 120 en clientèle). À Manille se trouve la filiale qui produit la mise en page et le maquettage des documents de communication pour les États-Unis.

>Pouvez-vous revenir sur les détails de l'opération en elle-même ?

Concernant l'opération en elle-même, nous avions un sujet autour de la dilution du capital. Pour le Daf que je suis, ­l'enjeu a été de trouver le bon équilibre entre la volonté d'aller vite, tout en sécurisant le financement pour que cela se fasse de façon non dilutive et au bon prix. Il ne fallait donc pas confondre vitesse et précipitation. D'autant que nous ciblions une société en hypercroissance, dont le chiffre d'affaires entre le début des négociations et la conclusion du deal a crû de +60 %. Nous étions sur des métriques qui rendaient l'estimation du coût de l'acquisition complexe. Il était difficile d'évaluer la capacité des banques (puisque nous voulions passer par de l'emprunt bancaire) à considérer le dossier Labrador et à financer 100 % de l'opération. Or, en challengeant cette position, nous avons pu démontrer que c'était réalisable sans passer par du dilutif. Cela représentait malgré tout une prise de risque, car si nous n'avions pas pu réaliser l'opération en levant de la dette bancaire, cela aurait pu ralentir le processus d'acquisition, voire remettre en question le rachat. D'autant que nous avons contracté l'emprunt à l'été 2022, soit en plein retournement du marché et un Euribor qui explosait.

>Où se place le Daf dans une négociation de ce type ?

Dans une organisation bicéphale comme celle de Labrador, le rôle du Daf, à mon humble avis, n'est pas de s'immiscer dans le duo de direction, mais d'interagir au sein d'une organisation en contribuant à structurer la gouvernance de façon à servir de courroie de transmission en créant de la confiance et de la fiabilité. Il est important dans les phases de croissance, et particulièrement au moment clé des négociations, de redonner de la transparence et de rendre tangible la volonté d'atteindre l'objectif et l'énergie mise en oeuvre pour y arriver.

D'un point de vue purement financier, l'apport du Daf est bien sûr de prouver que nous sommes en capacité de lever une dette et de financer l'opération, de donner des éléments chiffrés qui permettent de démontrer l'intérêt de cette acquisition, d'aller chercher des arguments de négociation pour réduire le prix d'achat et de créer de la confiance avec les partenaires bancaires pour qu'ils soient convaincus que la trajectoire que Labrador s'est fixée est la bonne. (Le fait d'avoir en deux ans multiplié l'EBITDA par trois a joué en notre faveur.)

Il revient aussi au Daf de sensibiliser et de préparer les dirigeants à l'importance de la présentation du projet à nos partenaires qui investissent dans un projet, mais également dans une équipe de direction. Au-delà des chiffres, du business plan et de la fonction de Daf classique, mon rôle était aussi d'apporter la volonté et l'énergie pour rendre possible cette opération non pas quoi qu'il en coûte, mais à tout prix. (Rires).

>Quels sont les acteurs qui constituent le pool bancaire ?

Le pool compte quatre partenaires : Société Générale qui était notre partenaire bancaire historique, BNP Paribas, nouvel entrant, qui a pris une participation importante (à noter que nous avons également souscrit au fonds de dette de BNP), HSBC qui nous accompagne sur la partie USA-Asie et LCL qui est aussi un nouveau partenaire. Mon objectif, dans le contexte que nous connaissions à l'été 2022, n'a pas été de prendre des risques supplémentaires sur le financement du dossier, mais de le sécuriser en le rendant attrayant et équilibré pour l'ensemble des partenaires. Nous avons considéré ce dossier pour ce qu'il était, à savoir la première étape d'un projet entrepreneurial ambitieux soutenu par des partenaires bancaires de long terme.

>Quelle sera la prochaine étape ?

À court terme, la prochaine étape est de réussir l'intégration d'Argyle sur le plan humain, informatique et financier. Nous avons pour le moment conservé les marques Labrador et Argyle. Côté finance, l'enjeu est de créer un système d'infor­mation identique pour l'ensemble du groupe, avec des outils et des standards unifiés, en gardant d'éventuelles spéci ficités du pays. Aux États-Unis, l'objectif est de garder le meilleur des deux mondes, à savoir le niveau de qualité et de satisfaction client très élevé de Labrador issu de notre parfaite maîtrise de la production, et d'y allier la puissance commerciale d'Argyle. La deuxième étape sera de structurer et de mettre en place à Manille un contrôle de gestion permettant d'avoir un niveau de performance identique à la France. À moyen terme, la volonté est de devenir leader mondial de la transparence et de l'information réglementée en créant de la confiance entre le lecteur qui est l'inves­tisseur et l'émetteur qui est l'entreprise cotée. Pour cela, la première étape sera de structurer les États- Unis, puis de continuer à nous développer, en Asie notamment, tout en restant ouverts aux opportunités qui se présenteront. Notre ambition est de passer la barre des 100 M€ de chiffre d'affai­res à horizon trois-cinq ans, sachant que nous avons réalisé 23 M€ de CA en 2022 et visons les 40 M€ cette année.

>Quel conseil donneriez-vous à un jeune Daf qui doit mener une M&A ?

Il est important de ne pas mettre d'ego dans nos actions et de toujours se placer au service d'un collectif. Sans mettre sa personnalité entre parenthèses, on peut mettre son ego de côté. Une troisième voie est possible, elle est fondée sur l'empathie. Dans le livre L'empathie, un chemin vers la bienveillance, de Xavier Cornette de Saint Cyr, une phrase a particulièrement retenu mon attention : « Les gens changent en fonction de la façon dont on les écoute. » Le dialogue bienveillant et respectueux, permis par l'empathie, crée un lien de confiance qui permet de maintenir les projets et les deals, en particulier, du bon côté de la négociation et, de fait, d'éviter l'échec. Cela vaut aussi pour le management des équipes en interne d'ailleurs !

Enfin, un Daf parle avec des données chiffrées, ce qui a le mérite d'être factuel, mais il faut que le chiffre reste une base de discussion et non une vérité en soi.

Repères

Raison sociale : Labrador

Activité : spécialiste de communication réglementée financière et non- financière

Forme juridique : SAS

Président : Laurent Rouyrès

Directeur général : Thibault Dewavrin

Daf : François-Gérard Bouy

Siège : Paris (75)

Effectifs : 100

CA 2022 : 23 M€


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