DAF : demain, tous directeurs des valeurs ?
Soumis à des considérations de plus en plus élevées en matière de performance sociale et environnementale de leur entreprise, les directeurs financiers voient leur périmètre s'élargir. Certains évoluent même vers des postes de chief value officer, fonction qu'ils considèrent plus adaptée aux nouveaux enjeux de leur métier.
Alors que les directions financières sont en pleine transformation, un nouveau métier gagne du terrain : celui de directeur des valeurs, ou chief value officer (CVO). Ce dernier pilote la gestion financière de l'entreprise mais également la performance extra-financière, basée sur la création de valeur environnementale et sociale. Preuve de la montée en puissance de cette fonction, l'école de commerce Audencia propose depuis 2021 l'Executive Master Chief Value Officer. « La majorité des personnes ayant suivi ce Master viennent de la finance mais nous avons aussi des profils évoluant dans les achats, la communication, la gestion de projets, le consulting ou encore les RH », énumère Souad Taïbi, professeure au sein de ce Master. L'objectif de ce diplôme ? Former les professionnels du chiffre afin qu'ils évoluent vers un poste de management de la performance globale. « Le contexte réglementaire européen rend notamment nécessaire pour les DAF l'acquisition de connaissances qui vont bien au-delà de leurs compétences actuelles et qui intègrent des enjeux environnementaux et sociaux », souligne Souad Taïbi.
Une évolution naturelle du poste de DAF
Pour la professeure, la fonction de CVO est une évolution naturelle du métier de directeur financier, compte tenu du nombre de critères qu'ils doivent désormais prendre en compte. Un avis partagé par Béatrice Fayolle, qui a décidé il y a deux ans de modifier son titre de DAF pour devenir directrice des valeurs de Humans Matter. « J'ai transformé mon poste car l'aspect finance était trop réducteur et ne prenait pas en compte la durabilité », explique-t-elle. Même parcours pour Pierre-Yves Etourneau, directeur des valeurs du cabinet de conseil Lamarck, dont il est l'un des cofondateurs. « J'ai pris la direction financière en 2021. Dans ce cadre, les notions de valeurs et de durabilité ont très vite émergé et j'ai décidé de faire évoluer mon titre pour être plus en phase avec la stratégie du groupe », relate-t-il. Selon Béatrice Fayolle, les directeurs financiers disposent de bonnes qualités pour occuper cette fonction. « Ils ont une vision 360 de l'entreprise et occupent une fonction très transverse », précise-t-elle. Et Pierre-Yves Etourneau d'ajouter : « Le CVO doit maîtriser beaucoup d'éléments chiffrés. Mais cela dépend aussi de l'appétence des personnes pour les sujets liés à la durabilité et à la RSE. »
Avoir une vision systémique
En effet, devenir CVO ne s'improvise pas et nécessite de maîtriser un certain nombre de compétences. « Il faut avoir une bonne capacité d'endurance pour suivre différents sujets dans le temps, être en capacité de jongler avec différentes informations, de réconcilier de nombreuses données et de se remettre en question régulièrement », détaille Béatrice Fayolle. Il est aussi primordial de ne pas se focaliser uniquement sur la rentabilité. « Pour occuper un poste de CVO, il faut avoir de réelles convictions et vouloir impacter positivement ce qui nous entoure, au détriment parfois de la rentabilité si le projet ne respecte pas des valeurs importantes pour le groupe. Il faut aussi avoir de bonnes capacités d'analyse et de prospection car les sujets évoluent en permanence », indique Pierre-Yves Etourneau. Forte de ce constat, la formation d'Audencia vise à intégrer une approche systémique en incluant les enjeux environnementaux et sociaux dans la prise de décision. « Il est important de ne pas se focaliser sur un seul critère de décision, car le risque est de ne pas voir ce qui risquerait de bloquer le projet ultérieurement. Notre volonté est de permettre aux participants de ce Master de prendre en compte de nombreux critères comme le concept de limites planétaires et de disponibilités des ressources ou encore celui du coût des ressources et des tensions qui peuvent en résulter », indique Souad Taïbi.
Des décisions plus éclairées
Cette approche systémique vise à générer de la valeur sur le long terme. « Poser la question de la valeur permet de prendre des décisions plus éclairées. C'est également bénéfique en interne car cela crée plus d'engagement de la part des collaborateurs », note Béatrice Fayolle. Mais certains projets générateurs de valeur peuvent parfois être assez lourds à supporter d'un point de vue financier. « Il est important de compenser et d'être en mesure de rééquilibrer. Pour moi, la valeur d'une entreprise est basée sur trois piliers : rentabilité, utilité et durabilité », déclare la directrice des valeurs de Human Matters. Même son de cloche pour Pierre-Yves Etourneau : « Certains choix peuvent être cornéliens. Il faut être en capacité d'arbitrer entre valoriser des valeurs au détriment de la performance financière et vice-versa. La rentabilité d'un groupe est un critère important mais il doit aujourd'hui être complété en prenant en compte d'autres aspects. » Reste que la question de la durabilité est encore trop souvent mise de côté. Si le contexte réglementaire, et en particulier la mise en place de la taxonomie et de la CSRD, incite les directions financières à mieux prendre en compte la performance extra-financière de leur entreprise, du chemin reste à parcourir. « Les entreprises ne sont pas encore assez matures sur le sujet. Le contexte réglementaire évolue, notamment pour les grands groupes, mais il n'existe pas vraiment de normes communes », pointe Béatrice Fayolle. Pour elle, les DAF ont un rôle très important à jouer pour sensibiliser leur entreprise à la question de la valeur, et en particulier la direction générale. Dans un environnement en pleine mutation, les directeurs financiers doivent sortir des sentiers battus pour rester dans la course.
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