Groupe TVA : une application française inédite de la jurisprudence Skandia
Par un arrêt inédit en date du 4 novembre 2020, le Conseil d'Etat vient enfin de se prononcer sur l'application de la jurisprudence communautaire " Skandia ", relative au traitement TVA des flux entre un siège français et sa succursale lorsque cette dernière est membre d'un groupe TVA. (CJUE, C-7/13, 17 septembre 2014).
Par cette décision Skandia du 17 septembre 2014, la Cour de Justice de l'Union européenne avait bouleversé le traitement TVA des relations siège/succursale en ouvrant une brèche significative dans le principe de non-assujettissement à la TVA des opérations internes à une même entité juridique.
A titre de rappel, la CJUE avait jugé que l'adhésion de la succursale suédoise d'une société américaine au sein d'un groupe TVA local faisait disparaitre la relation siège/succursale au profit d'une relation siège/Groupe TVA. L'opération entre le siège américain et sa succursale suédoise, considérée initialement comme étant hors du champ d'application de la TVA, se transformait ainsi en une transaction taxable. L'administration fiscale n'ayant pas commenté cet arrêt dans sa base Bofip, un doute existait quant à son application en France. Le Conseil d'Etat, en précisant la démarche à retenir pour le traitement de ces flux transfrontaliers, apporte aux opérateurs une plus grande sécurité juridique au regard de leurs droits à déduction.
Un groupe bancaire français avec des succursales européennes intégrées dans un Groupe TVA
Dans l'affaire BNP Paribas Securities Services, l'administration fiscale a considéré que la TVA d'amont - afférente aux acquisitions de biens et services grevés de TVA, et utilisés exclusivement par le siège de BNP Paribas pour les opérations qu'elle effectuait avec ses succursales européennes - ne pouvait être déduite au motif que ces opérations étaient situées hors du champ d'application de la TVA et n'engendraient aucun droit à déduction pour le siège français. L'administration a donc effectué un redressement de la TVA déduite par BNP Paribas sur ces frais.
Néanmoins, par mesure de tempérament, l'administration a admis la déduction d'une fraction de la TVA relative à ces opérations, en prenant en compte la proportion d'opérations taxables des opérations des succursales européennes dans leur pays d'implantation. BNP Paribas ayant constitué un crédit de TVA du fait de ces déductions, l'analyse de l'administration l'a amenée, en plus des rappels en TVA, à corriger ce crédit de TVA.
Une CAA de Versailles qui ne tire pas les conséquences de la jurisprudence Skandia
La Cour administrative d'appel avait relevé que les succursales de Francfort, Londres et Madrid étaient, chacune, membre d'un groupement TVA mais sans en tirer les conséquences attendues au regard de la jurisprudence communautaire Skandia.
En effet, selon cette jurisprudence, de par cette adhésion à un groupe TVA, les refacturations de la société BNP Paribas à ses différentes filiales ne pouvaient plus être qualifiées d'"opérations internes " à une même entité juridique du fait du statut d' "assujetti distinct " du Groupe TVA.
Au regard du constat que la société BNP Paribas ne fournissait aucune précision sur les opérations en aval réalisées par les Groupes TVA locaux, la CAA de Versailles avait jugé que cette absence de précision ne permettait pas de déterminer le caractère déductible de la TVA grevant les dépenses du siège parisien selon leur affectation à des opérations soumises à la TVA ou exonérées.
Une décision inédite du Conseil d'Etat qui intègre la jurisprudence Skandia
La décision du Conseil d'Etat s'attarde sur la décision de la Cour administrative d'appel et mentionne que cette dernière, alors même qu'elle constate l'existence d'un groupe TVA local au sein duquel chacune des succursales est membre, ne décharge pas BNP Paribas des rappels de TVA.
Le Conseil d'Etat juge qu'" en statuant ainsi, alors que le caractère déductible de la taxe grevant les dépenses réalisées par la société mère dépendait de l'opération de refacturation aux groupements auxquels appartiennent ces succursales et non pas des opérations ultérieures réalisées par ces groupements, la cour a commis une erreur de droit ".
Le Conseil d'Etat tire toutes les conséquences de la présence des succursales au sein d'un groupe TVA au regard de l'opération entre le siège et ses filiales ainsi que de ses droits à déduction.
La jurisprudence " Morgan Stanley[1] " propre aux opérations internes - que la cour administrative d'appel a semble-t-il voulu appliquer à la transaction siège français/succursale européenne - n'est pas pertinente en présence d'une succursale intégrée au sein d'un Groupe TVA. En effet, par cette seule adhésion, l'opération interne à une même entité juridique laisse place à une transaction entre la BNP Paribas et un assujetti unique, le groupe TVA, distinct juridiquement du prestataire.
Au-delà du côté inédit de l'arrêt, sa portée est significative pour tous les groupes internationaux qui ne disposaient pas, jusqu'alors, d'informations fiables sur le traitement TVA de ce type de flux par l'administration fiscale ou les juridictions nationales.
Avec un Groupe TVA qui devrait prendre forme en France au 1er janvier 2020 grâce à l'article 45 du projet de loi de finances pour 2021, cette précision sur l'application de la jurisprudence Skandia est bienvenue. Elle apporte une plus grande sécurité juridique aux opérateurs qui pourront désormais mieux appréhender l'impact TVA en France de l'adhésion d'une de leurs entités à un groupe TVA.
Pour en savoir plus
Sophie Dorin, avocat à la Cour, Counsel au sein du département fiscal du cabinet Bird & Bird est une experte reconnue pour sa pratique en TVA et en taxes indirectes. Elle est aussi Auteur et membre de l'APTE.
[1] CJUE C-165/17; 24 janvier 2019 - Morgan Stanley & Co International plc
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