Dans cet entre-deux dangereux, le Daf doit rester vigilant
Après une première phase où tous les acteurs économiques, pris au dépourvu, ont dû prendre des mesures d'urgence, les entreprises et leurs directions financières sont désormais dans une longue 2e phase où il faut tirer sur la corde sans toutefois aller au point de rupture. Subtil jeu d'équilibre.
Alors que la plupart des économistes et experts en projections ne prévoient une reprise forte qu'en septembre voire octobre, pas avant, les mois à venir vont sembler longs et mettre les business model à l'épreuve. Afin d'anticiper et de traiter au mieux les difficultés, la direction financière doit avoir une vision encore plus fine des fonds propres de l'entreprise. " En plus d'une vigilance accrue sur l'évolution des fonds propres, il faut désormais, à l'aune du redémarrage, trouver comment les renforcer ", souligne Numa Rengot, avocat spécialisé en restructuring, entreprises en difficultés et M&A Distress au cabinet Franklin.
La soutenabilité de la dette en ligne de mire
Si le fait de recourir à l'emprunt, notamment à travers un PGE (prêt garanti par l'Etat) est une bonne chose et peut permettre de donner un peu de temps à l'entreprise, Numa Rengot rappelle la part de risque non négligeable pour l'entreprise : " il convient de rester vigilant car un PGE ajouté aux reports de charges peut devenir lourd en termes de gestion de trésorerie. En effet, ces mesures permettent de décaler l'exigibilité des sommes dues, mais il ne s'agit que d'un décalage de trésorerie. Les sommes devront être honorées. "
Et le problème est bien que les demandes en masse de PGE et de report de charges mettent tous les acteurs dans la même situation. Arrivera forcément un moment où chacun se trouvera dans une situation particulièrement tendue et demandera à être payer.
" Les fournisseurs qui mobilisent leurs flux auprès de factors notamment seront soumis à une logique de solvabilité. Mais pas uniquement. La capacité de remboursement et la solvabilité des entreprises sont clés dans la gestion de cette crise, " estime l'avocat. Au Daf de projeter ces deux indicateurs à horizons 12-16 mois et d'estimer sur cette base la complexité de la situation et le niveau de risque induit pour l'entreprise.
De même, beaucoup de filières d'activité sont tenues par l'import de matière première, or dans un contexte post état d'urgence où les frontières resteront fermées pour les pays hors Europe, la reprise peut s'avérer complexe. " De nombreuses entreprises risquent de se retrouver dans une situation où le rythme d'activité reprend mais où elles n'ont pas la capacité de suivre. Le bfr étant trop important et la trésorerie insuffisante ", prévient l'avocat.
Ainsi le recours à l'emprunt doit être l'objet d'une analyse très fine. Le risque étant non pas du côté des banques puisqu'elles bénéficient de la garantie d'État mais bien du côté des entreprises qui devront être en mesure de rembourser à plus ou moins long terme. Plus encore qu'un conseil juridique, le Daf doit s'entourer d'un conseil financier au moment de contracter un prêt car " recourir à un financement qu'on sait ne pas pouvoir soutenir ultérieurement peut ouvrir la porte à une éventuelle procédure de mise en cause de responsabilité du dirigeant ", prévient encore l'avocat. Mieux vaut donc profiter de la zone blanche dans laquelle nous nous trouvons actuellement et du climat bienveillant qui règne pour ouvrir une procédure amiable si la situation l'exige.
Une approche maîtrisée de la dette existante
Le manque de trésorerie pousse les entreprises à tirer sur pas mal de lignes de crédit et à renégocier tout ce qui est négociable. Pour le Daf cela sous-entend entre autres de mener un travail sur la dette existante.
Qu'elle soit bancaire ou obligataire, il importe de renégocier sa dette senior et de rassurer les partenaires bancaires. Le mieux est encore de le faire de manière encadrée en lançant une procédure de mandat ad-hoc ou de conciliation. " Le simple fait d'ouvrir une procédure amiable adaptée permettra de sécuriser ces négociations, souligne Numa Rengot. Le conciliateur ou le mandataire ad hoc désigné n'a d'autre mission que de veiller à harmoniser les intérêts de chacun de façon neutre. C'est donc un bon moyen de rassurer toutes les parties."
Outre la renégociation des lignes de crédit, le Daf doit faire une révision complète du plan de charge de l'entreprise. Et en matière de gestion des dettes de crédit-bail en général et de loyers immobiliers en particulier, il s'agit d'être innovant. Il faudra trouver un terrain d'entente avec son bailleur afin de maintenir la relation contractuelle tout en lissant les charges au maximum dans le temps.
La question se pose particulièrement pour les locataires dans le secteur du retail. Plusieurs options s'offrent au Daf : il peut négocier la suspension pure et simple des loyers pour quelques mois mais dans ce cas il y aura inévitablement réimputation et double loyer à supporter par la suite. Pas l'idéal donc. Mieux vaut négocier une régularisation sur l'appel triennal ou mieux encore un allongement du bail commercial. Il est à parier que le bailleur préférera conserver un locataire quitte à l'aider plutôt que de prendre le risque de ne pas trouver preneur dans un contexte post crise pour le moins incertain, où les défaillances d'entreprises seront multiples et internationales.
Mais encore une fois, toutes ces démarches doivent être sécurisées au maximum. D'où l'intérêt de le faire dans un cadre juridique maîtrisé tel que la procédure amiable. " Cela aura pour effet de sécuriser et de cadrer les responsabilités du dirigeant notamment et de normaliser les actions menées par la direction financière ", insiste l'avocat.
Voir les procédures collectives comme des outils
Si malgré tout, les actions menées ne suffisent pas, pourquoi ne pas envisager la procédure collective ? Au-delà de la procédure amiable qui permet d'harmoniser les intérêts des uns et des autres, d'autres procédures bien connues peuvent être déclenchées et utilisées comme un outil pour inverser la tendance. Le placement en procédure de sauvegarde par exemple ou en redressement judiciaire, n'est pas une fin mais peut au contraire être un moyen pour repartir du bon pied.
D'autant que l'arsenal juridique français en matière de procédure collective est le plus abouti d'Europe. " Le redressement est une mesure de gestion, d'administration de l'entreprise qu'il faut savoir utiliser, rappelle Numa Rengot. Cela permet de mettre en place un plan d'apurement de la dette, de donner du temps et de la visibilité à l'entreprise. "
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De fait, beaucoup de retournements passent par le redressement. Et le process est de mieux en mieux vécu par les créanciers qui pour la plupart préfèrent perdre 40 % de leurs créances mais conserver leur client en relançant la machine.
" C'est bien sûr une phase complexe qui impose beaucoup de négociations, mais un dirigeant qui a mené à bien une procédure de redressement, en ressort en général plus fort et avec de nouveaux réflexes ", souligne l'avocat qui estime que durant ces périodes de crise où tout va très vite, il est nécessaire d'être inventif.
Quant à savoir quand se placer sous la protection d'une procédure collective, l'indicateur de base reste la capacité à honorer ses cotisations sociales et fiscales cumulées aux salaires. Ainsi, si l'entreprise n'est pas en capacité de décaisser l'avance du chômage partiel de ses salariés, elle doit s'interroger. " L'analyse et la réflexion doivent être établies à partir de l'état de santé réel de l'entreprise ", insiste Numa Rengot.
Le rôle essentiel de l'assurance-crédit
Parmi toutes les mesures mise en place en un temps record par le gouvernement il en est une dont on parle peu : le dispositif de réassurance publique des risques d'assurance-crédit. Ce dispositif de soutien public à l'assurance-crédit permet aux PME et ETI, ayant souscrit une assurance-crédit, et qui se verraient notifier des réductions ou des refus de garanties sur certains clients du fait de la dégradation de la conjoncture économique, de continuer à être couvertes. Cela concerne également les sociétés d'affacturage assurées au bénéfice des entreprises.
" Ce complément d'assurance crédit, on parle tout de même de 12 milliards d'euros garantis par l'État, peut être un outil de compétitivité important ", estime Numa Rengot. On voit bien qu'une fois encore l'objectif est ici de sauvegarder la solvabilité, la trésorerie des entreprises. Car on le sait il y aura automatiquement et mécaniquement des dégradations de cotation.
Il est essentiel pour les Daf d'anticiper ce point et de travailler main dans la main avec leur assureur-crédit. " L'objectif est de stabiliser la cotation en zone intermédiaire, car au moment où cela va fortement redémarrer, les conditions de négociation ne seront pas aussi favorables qu'aujourd'hui ", prévient l'avocat.
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