Sortie d'une activité déficitaire : attention aux pièges !
La cession d'une activité déficitaire peut se révéler être un exercice délicat, du point de vue juridique et fiscal. En particulier lorsque le vendeur doit doter l'actif cédé de liquidités destinées à faire face aux passifs transférés. Explications de Pierre-Emmanuel Scherrer, avocat associé au cabinet Bignon Lebray.
Le détachement (carve-out) d'une activité déficitaire peut répondre à une stratégie financière de déconsolidation de passifs/pertes ou de recentrage opérationnel sur des activités plus profitables. Le cas topique ici visé est celui de la cession d'une activité (ou branche) dont l'actif net réel (ou réévalué) est négatif, après prise en compte des passifs statutaires et des engagements hors bilan attachés. Sa cession oblige le vendeur soit à obtenir de ses créanciers des abandons préalables, soit à doter la branche cédée de liquidités destinées à faire face aux passifs transmis (stipulation d'une soulte au profit du repreneur pour permettre un prix de cession de l'ensemble de 1 €).
En dehors des cas de procédures préventives (conciliation, sauvegarde) ou collectives (prepack cession ou plan de cession classique), qui privilégient le plus souvent l'abandon, faute de trésorerie disponible, par essence, le versement d'une telle soulte peut constituer une bonne option afin d'inciter le tiers acquéreur à reprendre le passif de la branche. En pratique, toutefois, la cession d'une branche criblée de passifs se heurte à des difficultés.
Difficultés juridiques...
Une cession sèche d'actifs (asset deal) s'accommode assez difficilement de la transmission de passifs. Tous les passifs rattachés à une branche ne peuvent pas être transférés par voie de cession à un tiers repreneur. Certes, les passifs financiers peuvent, en théorie, être cédés, la loi ayant récemment admis les cessions de dettes, mais certains prêts bancaires ne le permettent pas ou s'avèrent peu ergonomiques à cet effet, eu égard à leurs garanties, notamment (PGE, par exemple).
Par ailleurs, en pratique, la plupart des passifs d'exploitation ne peuvent pas être transférés dans le cadre d'une cession, même si le vendeur et l'acheteur peuvent s'accorder sur une prise en charge économique de certains passifs par l'acquéreur par voie d'indemnisation du vendeur.
... et difficultés fiscales
La reprise de passifs est considérée par les autorités fiscales comme augmentative du prix d'achat des actifs, conduisant à appliquer, à concurrence des passifs transférés, les droits d'enregistrement relatifs auxdits actifs (droits de 3 %/5 % en cas de cession de fonds de commerce [1]. En outre, en cas de versement d'une soulte, celle-ci pourrait être assujettie à la TVA si l'administration considérait qu'elle rémunère une prestation sous-jacente, même si ce risque est généralement modéré, compte tenu du caractère indemnitaire de la soulte. Enfin, la soulte sera le plus souvent traitée comme un revenu imposable chez l'acquéreur.
Il est donc recommandé de procéder à un apport préalable des actifs et passifs concernés (actifs opérationnels, cash, passifs statutaires, passifs hors bilan) à une entité créée ad hoc, dont les titres seront ensuite cédés au tiers repreneur (share deal).
Soit, par exemple, une société A exploitant la branche suivante :
- fonds de commerce évalué à 100,
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- passifs attachés comptabilisés pour 120,
- engagements hors bilan attachés (passif latent) estimés à 30.
La branche a une valeur réelle négative de 50. La société A souhaite la transférer à la société B. Pour ce faire, elle procède à un apport préalable de l'ensemble de ces éléments à une société C, en prenant soin de doter la branche de liquidités à hauteur de 51.
La valeur réelle de l'apport sera de 1 €, prix auquel A cédera ensuite les titres de C à B. Les actifs doivent être apportés à leur valeur réelle [2], permettant, au passage, une éventuelle réévaluation des capitaux propres de A. Afin d'équilibrer le bilan de C, il nous paraît possible d'inscrire dans un sous-compte de la prime de fusion un badwill égal à 30, soit le montant des engagements hors bilan apportés [3].
Un tel schéma d'apport-cession présente quelques inconvénients : lourdeur (intervention d'un commissaire aux apports, formalités liées à l'augmentation de capital, etc.), lenteur (délai d'opposition de 30 jours des créanciers, délais techniques de réalisation).
Avantages juridiques et fiscaux
Il recèle cependant de nombreux atouts. Il existe des avantages juridiques, d'abord : l'option pour le régime des scissions [4] permet de transférer de façon automatique l'ensemble des actifs et passifs rattachés à la branche apportée, par l'effet de la transmission universelle de patrimoine. Par ailleurs, par souci de simplicité et d'optimisation du compte de résultat de la société apporteuse, l'apport peut être réalisé avec un effet comptable (et fiscal) rétroactif au premier jour de l'exercice.
Les avantages fiscaux, ensuite : l'apport-cession permet d'éviter les écueils fiscaux listés ci-dessus. En particulier, en présence d'une branche complète et autonome d'activité, aucun droit d'enregistrement n'est dû à raison de l'apport des passifs [5]. Par ailleurs, l'apport de liquidités incluses dans la branche n'est pas constitutif d'un revenu imposable pour la société bénéficiaire.
Points de vigilance
Le transfert de certains passifs (bancaires, par exemple) ou de contrats conclus intuitu personae peut requérir l'accord des cocontractants. Par ailleurs, le calendrier de l'apport devra respecter les contraintes de l'information-consultation du CSE de la société apporteuse, le cas échéant (interdisant notamment de signer le traité d'apport avant l'expiration du délai d'info-consultation du CSE : un mois, éventuellement étendu à 2 mois en cas d'expertise). Dernier point, l'administration fiscale pourrait tenter de considérer que l'apport-cession est abusif puisqu'ayant pour dessein principal ou exclusif de contourner les droits d'enregistrement qui auraient été dus sur la cession simple des actifs. Une telle position pourrait, selon nous, être combattue par l'objectif de transmission des passifs attachés à la branche.
[1] BOI-ENR-DMTOI-10-10-20-20n°10 et 190.
[2] Art. 743-1 du PCG.
[3] Art. 744-1 du PCG.
[4] Art. L236-6-1 du Code de commerce.
[5] Art. 810, I du Code général des impôts.
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