Entretien avec Charles Beigbeder : " Ce n'est pas le moment de rester les bras croisés "
Publié par Cécile Desjardins le | Mis à jour le
Si elle met nombre d'acteurs en difficulté, la crise ouvre aussi des opportunités de consolidation. Pour l'investisseur Charles Beigbeder c'est le moment d'ouvrir son capital. Retrouvez l'entretien qu'il avait accordé à Daf Magazine fin 2020 et son analyse saillante... plus que jamais d'actualité.
C'était une fin d'année 2020 bien incertaine à Paris. Entre normalité et masques. Entre télétravail et présence physique. Dans l'attente d'une seconde vague, personne ne sait très bien sur quel pied danser. Pour rencontrer Charles Beigbeder, rendez-vous est pris au coeur du Xème arrondissement : à l'hôtel de Bourrienne, du nom du secrétaire particulier de Napoléon Ier qui l'a occupé au début du XIXème. On découvre un bijou Directoire, et son jardin fleuri, cachés entre deux rues animées. Un bref salut du coude et Charles Beigbeder vous emporte avec passion dans la visite guidée de quelques salons, soulignant les finesses d'un parquet ou d'un plafond. Après trois ans de travaux, le bâtiment classé abrite aujourd'hui une bonne partie de la constellation de l'entrepreneur en série : son fonds d'investissement Audacia mais aussi " Le Philtre ", une vodka bio premium, lancée juste avant l'été, avec son frère Frédéric, ou encore " Bourrienne Paris X ", maison exclusive de la chemise blanche, et dont il s'est fait le porte-drapeau.
Coronavirus oblige, nous nous dirigeons vers le jardin pour faire tomber les masques. Et, tout d'abord, faire un point sur la situation des entreprises. " Il est impossible de dire, aujourd'hui, ce qui va se passer sur le terrain du virus. En matière économique, la crise touche des pans entiers et des domaines phares de l'économie française. Les secteurs du transport aérien international, des salons et grands événements, mais aussi l'hôtellerie de luxe sont totalement à l'arrêt, avec de terribles impacts en cascade... Toutefois, d'autres domaines s'en sortent bien : la crise a été un catalyseur, un accélérateur des mutations vers le numérique ", analyse Charles Beigbeder qui estime que la période ouvre aussi des opportunités. " Les redistributions de cartes sont actuellement possibles. Certaines entreprises vont certainement réaliser des acquisitions, se consolider, accroître leurs parts de marché, etc. Ce n'est pas le moment de faire l'autruche ou de rester les bras croisés, car d'autres, plus agiles, sont en train de bouger leurs pions ", prévient-il. En pratique ? Le dirigeant d'Audacia rappelle que le Private Equity est là pour accompagner les PME et ETI familiales et leur fournir les fonds propres nécessaires, que ce soit en prévision de l'année difficile ou pour mener des opérations de croissance externe. " Les entreprises ont beaucoup à gagner à ouvrir leur capital : mieux vaut être prédateur que... " prédaté " ".
Sur le rôle de l'Etat, Charles Beigbeder ne mâche pas ses mots. " Bien sûr, le plan de relance n'est pas une mauvaise chose mais, fondamentalement, l'Etat ne devrait pas se mêler de l'initiative privée. On a donc besoin d'un Etat fort, qui se concentre sur ses fonctions régaliennes et soit capable de faire respecter les règles du jeu du capitalisme de concurrence. Malheureusement, nous avons aujourd'hui un Etat obèse qui veut tout faire et se révèle donc maladroit, inefficace et trop coûteux. Je ne suis pas contre l'Etat, mais je le veux svelte : plus agile et plus efficace ! "
Au-delà même du coronavirus, l'année a montré que le " très improbable " pouvait se produire et déclencher des catastrophes financières. " Les exemples des fonds H2O ou de la fraude de Wirecard rappellent qu'il faut savoir se diversifier et avoir une gestion des risques intelligente : il ne s'agit pas de suivre des procédures et de remplir des tableaux que, finalement, personne ne lit vraiment ", rappelle l'entrepreneur qui attend " des tableaux de bord impeccables - limpides et fluides ". Le rêve ? Recevoir chaque matin un unique chiffre qui constituerait l'indicateur clef de l'activité de ses entreprises. Mais le rôle du financier est devenu stratégique. " C'est lui qui veille sur la trésorerie de l'entreprise, s'assure qu'on est toujours du bon côté, en particulier dans les périodes dures comme celle que nous traversons, où un incident de paiement peut se révéler fatal... Aujourd'hui, stratégie de l'entreprise et stratégie financière ne peuvent être dissociées. Les deux se nourrissent l'une l'autre. Le directeur financier est aux côtés du dirigeant et doit construire avec lui le business plan en posant les hypothèses de ventes, de résultat, et de financement. C'est finalement le financier qui rend possible la vision du dirigeant. "
Aujourd'hui âgé de 56 ans, l'entrepreneur n'hésite pas quand on lui demande ce qui a changé dans l'entreprise au cours des trente dernières années. " Le rapport au travail ! On ne peut plus demander aux gens de travailler comme avant. Le "petit chef" est aujourd'hui banni. Si on souhaite que les équipes donnent leur maximum, il faut les mobiliser autrement : les faire adhérer à la stratégie, à la vision. "
C'est dans cet esprit que le dirigeant a réuni ses équipes de l'hôtel de Bourrienne, début septembre autour d'un café de rentrée. Son message : " C'est le moment où jamais d'innover, de saisir les opportunités, d'inventer les activités de demain ! Mais une personne seule ne peut pas le faire... Que vous soyez là depuis 3 semaines ou 30 ans, ayez des idées, partagez-les ! " L'intelligence et le collectif.
Zoom - Entrepreneur et investisseur
Diplômé de Centrale Paris en 1988, Charles Beigbeder a commencé sa carrière chez Matra puis passé quelques années en banque d'investissement, avant de créer en 1997 le courtier en ligne Selftrade, qu'il revend en 2000. En 2002, il lance l'opérateur électrique Poweo (revendu en 2009), puis en 2007 un producteur agricole implanté en Ukraine (Agrogeneration, cédé en 2013). Son expérience dans les coffrets cadeaux Happytime se solde en revanche par une liquidation judiciaire en 2012. " Le darwinisme économique fait que toutes les entreprises ne réussissent pas. Ce n'est pas agréable, mais c'est normal : il faut parfois savoir s'arrêter pour partir dans un autre projet. Heureusement, ce n'est plus infamant aujourd'hui en France et, si elle est dure, l'expérience de l'échec est aussi enrichissante " relève-t-il. Depuis, Charles Beigbeder a réalisé de nombreux investissements à travers Gravitation, sa holding personnelle, mais aussi à travers Audacia, une société de private equity qu'il a fondée en 2007. Elle a investi notamment dans l'immobilier de co-living (Élévation), monté un fonds de capital risque spécialisé dans les technologies quantiques (Quantonation) et vient de lancer un fonds d'investissement grand public dédié aux petites et moyennes entreprises familiales françaises.