La démarche processus au service de l'innovation
A l'heure où les grandes entreprises du secteur banque-assurance se posent la question de l'innovation, beaucoup se laissent séduire par les concepts en vogue, du design thinking au hackaton, qui placent la créativité au coeur de la démarche.
S'il n'est pas question de remettre en cause design thinking, hackathon ou autres pratiques, il est tout de même bon de rappeler que leur efficacité dépend avant tout de la capacité des entreprises à accorder une place structurelle à l'innovation. Aussi, avant de se lancer bille en tête dans la course à l'innovation, l'adoption d'une démarche processus peut s'avérer être la première brique indispensable pour transformer durablement une entreprise au modèle vieillissant en une entreprise innovante.
Pour en finir avec les idées reçues
Il serait faux de croire que l'innovation ne peut naître que du seul jaillissement d'idées de quelques salariés imaginatifs, dont on s'assurerait qu'ils soient libres d'évoluer dans un cadre sans contraintes, favorisant leur créativité. Plus précisément, cela serait confondre l'innovation en tant qu'idée avec l'innovation en tant qu'action, qui se rapproche davantage d'un véritable processus. L'AFNOR (Association Française de NORmalisation), en charge de l'homologation des normes françaises, définit d'ailleurs l'innovation comme un " processus qui conduit à la mise en oeuvre d'un ou de plusieurs produits, services, procédés, formes d'organisation, modèles d'affaires, nouveaux ou améliorés, susceptibles de répondre à des attentes implicites ou explicites et de générer une valeur économique, environnementale ou sociétale pour toutes les parties prenantes. "
Loin d'être une contrainte rigide et rigoriste pour l'entreprise, les processus sont au contraire des outils puissants de dynamisme et d'adaptabilité.
Nombre de définitions fleurissent, mais l'idée principale à retenir est qu'un processus est un ensemble d'activités ordonnancées dans un objectif défini. Avoir une " démarche processus ", c'est alors adopter une méthode permettant d'identifier les processus de l'entreprise, d'en étudier le détail des activités, des acteurs, des interactions, de les formaliser et les partager, pour pouvoir agir sur les problèmes et proposer une amélioration continue. C'est la connaissance qui se met au service de l'action.
Quels avantages pour l'entreprise ?
Les industriels, notamment automobiles, ont compris depuis longtemps les nombreux avantages d'une telle démarche. Sans les passer tous en revue dans une liste à la Prévert, citons tout de même les principaux. Mettre en place une gouvernance des processus, c'est faire le choix d'une gestion transversale de l'entreprise, et non plus en silo, et permettre à la gouvernance d'entreprise de se diffuser dans toutes ses activités. La formalisation, étape obligatoire, permet également de partager une vision commune de l'organisation, et donne à chaque collaborateur l'opportunité de comprendre sa place et son rôle dans l'entreprise, et d'en appréhender les enjeux globaux, pour plus d'efficacité. Enfin, la mise sous pilotage des processus, autre volet capital de la démarche, impose d'identifier des indicateurs pertinents de performance, de pointer tous les risques pour les surveiller, et de connaître les leviers d'amélioration.
Outre les bénéfices pour l'entreprise, la démarche processus favorise plus directement l'innovation. En en faisant un des processus de l'entreprise, l'innovation devient une activité à part entière, reconnue et soutenue par la direction. Le travail collaboratif est favorisé, une culture de l'innovation est déployée, des moyens sont attribués, des instances et des indicateurs de pilotage sont proposés, une stratégie est définie, et les résultats sont contrôlés. L'entreprise connait sa capacité à innover, évitant ainsi les écueils classiques du projet surdimensionné. Elle se montre en outre surtout capable de se mettre en ordre de marche rapidement, et maîtrise les potentiels effets de bord de l'innovation, sur l'organisation ou les services de production. L'innovation n'est plus une action ponctuelle, au succès incertain : elle devient une activité structurelle et structurée de l'entreprise.
Alors, quel modèle adopter ?
Il est tout à fait possible de schématiser le processus d'innovation, et d'en présenter ici les phases principales : identification du besoin, détermination de la solution, expérimentation, diffusion du résultat, industrialisation. Ceci étant posé, l'entreprise qui souhaite mettre en place un tel processus pourra surtout s'appuyer sur les nombreux référentiels et standards existants. COBIT (Control Objectives for Information and Technology), référentiel de bonnes pratiques de gouvernance mondialement reconnu, propose notamment des guides pratiques de mise en oeuvre de la démarche processus, la dernière version datant de 2019. Idem pour l'AFNOR, qui a publié il y a quelques années un guide de mise en oeuvre d'une démarche de management de l'innovation par les processus (FD X50-271).
Le principal point d'attention devra cependant être pour l'entreprise d'implémenter le processus le plus adapté à sa taille, à son activité, à ses ressources et à ses objectifs. En effet, un des écueils les plus courants à éviter est de mettre en place un processus surdimensionné, ou trop complexe, ce qui serait totalement contreproductif. Autre point de vigilance : veiller à positionner les bonnes ressources, sachantes et disponibles, pour assurer le pilotage. Utiliser les standards, oui, mais de manière contextualisée et adaptée !
Mais plus important encore, mettre en place un processus d'innovation seul ne suffira pas. C'est bien la démarche processus dans son ensemble qui sera gage de succès. En effet, un processus étant lié à un ou plusieurs autres, il est donc impossible de le piloter sans connaître ce qui se passe en amont et en aval. Comment solliciter les bonnes ressources pour innover si le processus de gestion des compétences n'est pas maîtrisé ? Comment déterminer que le besoin identifié est à transformer en innovation, s'il n'y a pas de management du portefeuille de projets ? Comment, tout simplement, garantir la réussite du processus d'innovation s'il n'existe pas de culture processus partagée dans toute l'entreprise ?
Même l'idée du siècle n'a pas la garantie de devenir une innovation aboutie. Avec la démarche processus, l'entreprise peut cependant bénéficier d'un socle lui permettant d'optimiser ses chances de transformer rapidement l'essai, tout en minimisant les risques. Une fois outillée pour innover sereinement, elle pourra alors avoir recours à toutes les méthodes d'innovation en vogue de son choix.
Chloé Maréchal est consultante senior chez Square, spécialisée dans les problématiques de data management et digitalisation des processus.
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