De quelques difficultés liées aux modalités de poursuite de contrats de travail transférés
Le transfert des contrats de travail des salariés attachés à une activité cédée n'est pas sans soulever quelques difficultés pratiques. Au demeurant, l'accompagnement contractuel du transfert se heurte à la nature impérative de l'article L.1224-1 du Code du travail qui ne souffre pas les conventions contraires.
Ainsi, s’il est d’usage dans les opérations de cession d’anticiper ou de différer ses effets, ces mécanismes sont sans incidence sur la date du transfert des contrats de travail. Pour la Cour de Justice de l'Union européenne et pour nos juridictions nationales, le salarié change d’employeur non quand il sied à ce dernier d’en convenir avec le cédant, mais à la date de reprise effective de l’entité transférée.
A défaut de souplesse, la règle est claire. Il n’en est pas toujours ainsi quant à d’autres modalités d’exécution des contrats poursuivis. Premier risque: le saucissonnage du contrat qui peut déboucher sur une rupture. Second risque : la découverte du passé, voire du passif. Troisième aléa: la question des rémunérations
Le cas des salariés partiellement rattachés à l'entité transférée
Il se peut que des salariés ne soient que partiellement rattachés à l’activité cédée. Si l’essentiel des fonctions du salarié relève de l’activité cédée, l’intégralité de son contrat de travail sera transféré (Cass. soc., 30 mars 2010, n°08-42.065). En revanche, si cette activité représente, grosso modo, moins de 50% de ses missions, le contrat de travail ne sera transféré qu’à hauteur de l’activité partiellement rattachée à l’activité cédée (Cass. soc., 8 juillet 2009, n°08-42.912).
On notera que la Cour de cassation abandonne aux conseils de prud’hommes et aux cours d’appel le soin d’apprécier, en toute souveraineté, le degré d’affectation du salarié à l’entité économique autonome transférée. On se doute en effet que les Hauts magistrats n’ont guère le souhait de se livrer, scalpel à la main, à ce délicat saucissonnage.
Car, en pratique, la prévisibilité du transfert dans l’hypothèse susvisée, peut causer quelques soucis au cédant et au cessionnaire. Quel critère faut-il en effet retenir pour apprécier l’intensité de cette affectation partielle ? L’importance qualitative ou quantitative des fonctions rattachées au fonds cédé ? En fonction du temps de travail ? C’est bien, semble-t-il, ce dernier paramètre qui doit l’emporter à en juger par l’arrêt précité de la Cour de cassation du 8 juillet 2009. Dans cette décision, les Hauts magistrats reprochent en effet aux juges du fond d’avoir rejeté les demandes au titre de la rupture de son contrat de travail d’une salariée, transférée pour un temps de travail hebdomadaire de dix heures, sans avoir préalablement vérifié qu’elle était la durée totale du travail qu’elle effectuait, avant le transfert, dans l’entité cédée.
Quand le transfert conduit à la rupture
Cette divisibilité du contrat de travail peut au demeurant susciter chez le salarié de légitimes inquiétudes. Prenons l’exemple d’un salarié travaillant sur Paris, partiellement transféré à un nouvel employeur situé à Marseille. Son contrat ne permettant pas de modifier son lieu d’affectation, peut-il s’opposer à cette modification ? Dans un arrêt remarqué du 30 mars 2010 (Cass. soc., 30 mars 2010, n°08-44.227), la Cour de cassation a posé la règle selon laquelle « lorsque l'application de l'article L. 1224-1 du Code du travail entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d'employeur, le salarié est en droit de s'y opposer ».
Le nouvel employeur ne peut alors tirer argument du caractère légalement impératif du transfert pour se tourner les pouces. Pratiquement, il se devra dans un premier temps de proposer au salarié concerné, dans la mesure du possible, de nouvelles modalités d’exécution de son contrat de travail. Dans notre exemple, on pourra songer au télétravail. Puis, à défaut de solution envisageable ou d’accord du salarié, il n’aura d’autres choix que d’engager une procédure de licenciement. Ni personnel, ni vraiment économique, le licenciement dont il est ici question a une nature juridique incertaine (en langage juridique: « sui generis ».)
Paradoxalement, le principe du transfert des contrats de travail qui vise à sauvegarder des emplois risque d’aboutir ici à des licenciements !
On peut regretter que la logique juridique, nécessaire, n’effraie guère les juges lorsqu’il en résulte des situations potentiellement rocambolesques. Le droit a tout de même pour vocation de résoudre les litiges et non d’en susciter en générant des difficultés pratiques auxquelles nos juges seraient indifférents. Était-il bien nécessaire de couper le contrat de travail en morceaux en laissant aux employeurs et au salarié le soin de reconstituer un puzzle avec des pièces manquantes ?
Un passé plein de mauvaises surprises
Le contrat se poursuit selon les modalités et conditions qui étaient les siennes avant le transfert. Les possibilités de fraude au détriment du cessionnaire ne sont pas ici à écarter comme dans cette affaire où le cédant avait engagé le fils de sa compagne à des conditions financières fort avantageuses peu de temps avant la cession … (CA Aix en Provence, 18 décembre 1991).
Le nouvel employeur hérite d’un historique qu’il ignore le plus souvent. Tel est le cas notamment, lorsque le salarié vient invoquer des rappels de salaire ou des heures supplémentaires datant de plusieurs années. La prescription est ici de cinq ans. Le cessionnaire pourra, si elle existe, mettre en œuvre la garantie de passif conclue avec le cédant. A défaut, il invoquera les dispositions de l’article L.1224-2 du Code du travail qui prévoit que « le premier employeur rembourse les sommes acquittées par le nouvel employeur, dues à la date de la modification, sauf s'il a été tenu compte de la charge résultant de ces obligations dans la convention intervenue entre eux ».
Cela étant, dans un arrêt du 16 décembre 2008 (Cass. soc., 16 déc. 2009, n°07-17.877), la Cour de cassation a jugé que « le nouvel employeur ne peut demander au précédent exploitant le remboursement des sommes dues aux salariés repris, au jour du changement d'employeur, qu'à condition de justifier qu'il s'est acquitté de cette dette, par paiement des sommes dues aux salariés ».
L’employeur devra d’abord puisé dans sa trésorerie avant de pouvoir solliciter son garant …
Des rémunérations tronquées de leurs modalités de calcul
Une autre difficulté peut résulter de la structure du salaire des salariés transférés. Lorsque la rémunération comporte une part variable, ses modalités de calcul sont parfois affectées par le transfert. Il en est ainsi, par exemple, dans l’hypothèse où des primes ou commissions sont fonction du résultat global d’un service dont une partie est restée chez le cédant. Le nouvel employeur n’échappera pas alors à la nécessité de modifier les contrats de travail et à la gestion toujours périlleuse d’éventuels refus.
Comme on le voit, ici comme ailleurs, le diable, souvent, se cache dans les détails.