[Tribune] Les fonds de dette : du nouveau dans le financement des entreprises
Publié par Florence Leandri le - mis à jour à
Certains fonds d'investissement peuvent désormais octroyer des prêts aux entreprises. Pertinence du recours à un tel financement, coût et pratique, l'auteur, Me Gérard Cohen, livre ci-après son appréciation...plutôt positive.
Le décret n°2016-1587 du 24 novembre 2016, qui s'inscrit dans la finalisation de la Loi Sapin II du 8 novembre 2016 relative à la modernisation de la vie économique, fixe les conditions dans lesquelles certains fonds d'investissement peuvent octroyer des prêts aux entreprises. Ce décret confirme la tendance d'une restriction du champ d'application du monopole bancaire et s'inscrit dans le mouvement plus vaste de désintermédiation du financement en Europe, mouvement qui vise à permettre à des prêteurs alternatifs, non bancaires, de participer au financement de l'économie aux côtés des établissements de crédit.
Un entrepreneur en quête de fonds bénéficie donc aujourd'hui d'un panel plus complet de financement, avec les traditionnels fonds d'investissement qui apportent en capital, les banques, les fonds mezzaneurs et désormais les fonds de dette qui peuvent prêter de l'argent. L'apparition récente de ces derniers, autorisée par la loi, est une chance supplémentaire pour une entreprise d'avoir accès à des moyens pour se développer. Un certain nombre de fonds d'investissement créent d'ailleurs des fonds de dette et s'offrent là les moyens de compléter leur offre d'accompagnement des entreprises.
Croissance externe ou pérennisation : les fonds de dette v. les banquiers
Ainsi, si une banque refuse de financer sous forme de dette une opération de croissance externe ou de pérennisation, un fonds déjà présent au capital de l'entreprise peut être tenté de faire l'opération plus facilement qu'un établissement bancaire. Parce qu'il connaît précisément le dossier, il peut prendre le risque et accepter d'endetter davantage l'entreprise et, donc d'apporter le financement sous forme de dettes. Le fonds d'investissement, associé au capital, prend une telle décision, avec l'espoir, bien évidemment, d'optimiser la valorisation de son investissement à terme. On voit bien que, pour l'entreprise, quand le système bancaire ne répond plus, quand les associés ne peuvent ou ne veulent pas toucher à la répartition du capital, un fond de dette peut apporter une source de financement supplémentaire.
Les fonds mezzaneurs devraient réviser leur taux
Bien sûr, le prêt effectué par un fond de dette a un coût plus important que celui d'un traditionnel emprunt bancaire. La rémunération du prêt est à la mesure du risque pris, surtout quand ce risque n'est pas assumé préalablement par un établissement de crédit traditionnel. Aujourd'hui, les taux des fonds de dette atteignent 5 à 7%. Ils sont donc plus élevés que les taux bancaires (1 à 3%), mais bien plus réduits que ceux pratiqués par les mezzaneurs, qui s'élèvent entre 10 et 12%. Les fonds mezzaneurs, on peut le supposer, vont vraisemblablement baisser leur taux, même si leur intervention lors d'une opération n'est en général pas de même nature.
Exemple dans le cadre d'un LBO secondaire
Même si nous avons peu de recul sur les pratiques et les conséquences de l'émergence des fonds de dette, j'ai pu apprécier récemment l'intérêt d'une telle évolution. Un des leaders des services industriels, client du cabinet, vient de faire son deuxième LBO. Il a trouvé auprès d'un de ces fonds de dette un financement qu'il ne trouvait pas auprès de ses banques. L'apport du fond de dette a permis aux fondateurs de lever moins d'argent auprès de leurs nouveaux investisseurs et de garder ainsi le contrôle de leur groupe, tout en se donnant les moyens de poursuivre le développement de leur groupe. En contrepartie, le coût de la dette est certes plus élevé et le contrat de prêt plus sévère. Mais l'entreprise peut poursuivre et financer sa croissance.
L'arrivée de ces fonds de dette bouscule donc, et à tout le moins complète le système de financement auparavant bien établi et rodé. Et les entreprises en sortent gagnantes, car elles peuvent toujours bénéficier de solutions financières traditionnelles à tous les niveaux de la structure du capital, mais aussi de cette nouvelle expertise de dette privée.
L'auteur
Gérard Cohen intervient régulièrement dans des opérations majeures de fusions-acquisitions, de LBO, de levées de fonds, de haut de bilan et d'appels publics à l'épargne en France et à l'étranger. Il est le conseil privilégié d'entreprises et de groupes de sociétés, françaises et étrangères, de premier plan et de leurs dirigeants. Gérard Cohen a également développé une expertise en matière de contentieux entre actionnaires, notamment dans le cadre d'opérations de M&A.