Anticiper dès maintenant les PSE de demain
Publié par Eve Mennesson le | Mis à jour le
La crise que nous traversons va certainement obliger de nombreuses entreprises à mener des PSE, ou en tout cas des restructurations de leurs effectifs. Ne serait-ce que pour s'adapter à la situation économique, qui a grandement évolué. Pour que les choses se passent bien, l'anticipation est clé.
La crise actuelle va-t-elle conduire à un déferlement massif de PSE (plan de sauvegarde de l'emploi) ? Pour l'instant, Antoine Torquebiau, membre de l'association Prévention et Retournement et consultant chez Talent Solution Right Management, dit ne pas constater de fortes hausses des PSE dans le cadre de la crise du Covid, en comparaison de la crise des subprimes : " Selon la Dares, nous nous situons en 2020 sur une croissance des PSE de +25% par rapport à 2019 ". Pour rappel, en 2009, la hausse était de 100% par rapport à 2008. Pour Michel Resseguier, Pdg de Prospheres, le PSE n'est d'ailleurs pas une solution pour faire des économies : " Ce n'est pas le bon angle car retirer des compétences dont l'entreprise a besoin risque au contraire de l'affaiblir. En revanche, cela peut aider l'entreprise à s'adapter à un environnement qui évolue, à condition de savoir de quelles compétences elle aura besoin demain ".
La fin de la crise que nous vivons va donc certainement conduire à des PSE, les entreprises devant réorganiser leurs effectifs afin de s'adapter à la nouvelle situation économique. Karine Iglicki, directeur Arc Alpin chez BPI group et membre de l'association Prévention et Retournement, pense cependant que, plutôt que des PSE, elles vont utiliser des véhicules juridiques moins violents afin d'ajuster leurs effectifs sur un temps plus long. Elle est rejointe sur ce point par Yves Mégret, associé Valtus, qui juge que " le PSE est toujours une étape traumatisante pour une entreprise ". Il conseille de prendre des mesures en amont comme une Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC) ou l'utilisation du dispositif d'Accord de Performance Collective.
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Il existe en effet de nombreuses alternatives au PSE : Yves Mégret parle de la GPEC ou de l'Accord de Performance Collective mais citons également le dispositif de Transitions Collectives qui, lancé par le gouvernement début 2021, vise à permettre la reconversion de salariés occupant des postes fragilisés vers des métiers porteurs, ou encore l'Activité Partielle de Longue Durée (APLD) qui permet de passer des périodes difficiles, voire même le prêt de main d'oeuvre, solution intéressante mais sous-utilisée. Yves Mégret mentionne aussi la solution qui consiste à éviter de remplacer des départs pour réduire ses effectifs au fil de l'eau. " J'ai tendance à penser que l'entreprise doit regarder à 360° pour choisir les outils qui seront les plus à mêmes de préserver à la fois l'emploi et l'entreprise ", constate Karine Iglicki.
Anticiper et préparer
Si la décision d'engager un PSE ne doit pas être prise à la légère et que d'autres solutions doivent être envisagées, il ne faut pas non plus la repousser trop longtemps. " Un PSE mené quand l'entreprise est à l'agonie est généralement plus ingrat et ne permet pas de bons reclassements, souligne Yves Mégret. Il s'agit de trouver le bon moment, pour que le PSE soit audible socialement mais de ne pas s'y prendre trop tard non plus ". Pour Karine Iglicki, ne pas mettre en place un PSE lorsque l'on est au pied du mur permet de le mener dans le cadre d'un dialogue social construit et loyal. Un dialogue social qui doit reposer sur des informations tangibles. Julia Gori, associée en droit social au sein de Simmons & Simmons Paris, invite ainsi à soigner la phase de collecte d'informations, afin de prouver et rédiger le motif économique à destination du Comité Social et Economique (CSE). " Si la société concernée fait partie d'un groupe international, il faut aller chercher les informations au niveau du siège, auprès d'interlocuteurs souvent réticents à partager des données sensibles et peu conscients des exigences du droit français. L'objectif est de collecter suffisamment d'informations pour présenter un dossier solide au CSE et démontrer également que la procédure est menée sérieusement ".
L'avocate conseille de consacrer du temps à la préparation du motif économique et à son explication auprès du CSE : un rôle de pédagogie qui peut être dévolu au Daf. Ce dernier doit aussi passer du temps sur les projections financières du PSE (indemnités de rupture, coûts des expertises CSE, conseils extérieurs, etc.) et à budgéter les mesures d'accompagnement des salariés licenciés. Toujours dans l'objectif de rassurer le CSE et de permettre que la procédure se déroule dans un climat social apaisé mais également de donner la meilleure visibilité au management de la société.
Yves Megret conseille d'ailleurs de préparer les esprits, sans être tétanisé par le délit d'entrave, en utilisant les outils telle que la consultation sur les orientations stratégiques de l'entreprise et de communiquer afin d'amortir le choc de l'annonce du PSE. " Il est important que le PSE ne soit pas annoncé dans un ciel trop bleu. Il s'agit de laisser filtrer des informations sur les difficultés rencontrées pour que les employés aient déjà pu se préparer ", recommande-t-il.
Le rôle du management
Antoine Torquebiau préconise de prévoir au moins six mois pour cette phase préparatoire, afin d'engager un dialogue social de qualité, certes, mais aussi de se concentrer sur la transformation des métiers, l'employabilité des salariés en regard du bassin d'emploi, etc... "La cellule de reclassement ne consiste pas uniquement à payer un cabinet pour se donner bonne conscience et se débarrasser du problème. En réalité, les consultants ne sont pas tous de même qualité ", affirme Michel Resseguier. Ce travail est d'autant plus difficile que les représentants du personnel eux-mêmes ont tendance à se concentrer sur les indemnités et à délaisser les mesures de reclassement. " Elles sont pourtant essentielles ", déplore Yves Mégret qui pense que les RH, comme le management - notamment intermédiaire - doit faire de la pédagogie sur ce sujet.
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Le rôle du management est en effet primordial dans le cadre de restructuration des effectifs. Pour expliquer mais aussi pour accompagner. " Le management connaît les salariés et doit s'impliquer dans la cellule de reclassement afin de passer en revue les différents salariés et dire vers quel métier ils pourraient s'orienter ", estime Michel Resseguier. Pour le dg de Prospheres, le management peut même aider à éviter les PSE, en adoptant une organisation moins cloisonnée qui permet aux salariés de passer facilement d'un service à l'autre, d'un poste à l'autre... Et de se positionner finalement en fonction des besoins. " Il faut pour cela une vraie volonté du management et du dirigeant afin de donner l'autorisation aux salaries de travailler sur des sujets qui ne sont pas dans le périmètre de leur fiche de poste. Limiter un salarié à une fiche, c'est destructeur d'emploi ", insiste-t-il.
Il souligne par ailleurs que ce décloisonnement doit être accompagné de pédagogie vis-à-vis de l'ensemble des salariés, ces derniers pouvant être réticents à voir certains de leurs collègues sortir de leur périmètre. Au-delà de ce décloisonnement, Michel Resseguier invite à prévenir les difficultés, obligeant à mettre en place un PSE, par une réorientation en amont de l'entreprise sur les postes bénéficiaires. Et donc par un reclassement anticipé des salariés.