Rencontrez une des rares femmes CEO de fintech : Amélie Schieber
Publié par Christina DIEGO le - mis à jour à
Amélie Schieber est co-fondatrice et présidente de la fintech Tiime, un secteur encore majoritairement masculin. Les femmes représentent 25 % des postes de direction au sein des Comex et Codir, et seules 8,5 % sont fondatrices de fintechs. Rencontre avec Amélie Schieber, CEO de Tiime, elle nous partage son parcours et sa vision de la parité dans le secteur de la fintech.
Pouvez-vous vous présenter et votre parcours ?
Amélie Schieber : J'ai 39 ans et un parcours assez classique. Après une école de commerce, j'ai débuté ma carrière en 2009 dans un cabinet d'expertise comptable en pleine croissance, "l'expert-comptable.com", où j'ai rejoint l'équipe dès les débuts. L'entreprise a connu une expansion fulgurante, atteignant près de 300 personnes en quelques années. Avec cette expansion, j'ai rapidement pris en charge le recrutement et l'ouverture de nouveaux bureaux à travers la France, tout en structurant la gestion de cette croissance. En l'espace de cinq ans, j'ai énormément appris. L'un des aspects les plus innovants était l'outil mis en place pour accompagner les entrepreneurs, une approche avant-gardiste qui préfigurait des solutions modernes comme Tiime.
Comment est née l'idée de lancer la fintech Tiime ?
A.S. : En 2015, j'ai décidé avec trois anciens collègues, dont l'expert-comptable qui dirigeait le cabinet, de nous consacrer pleinement au développement du logiciel que nous utilisions en interne, l'ancêtre de Tiime. Nous étions convaincus que son potentiel dépassait largement le cadre du cabinet, et qu'il répondait à un besoin grandissant, tant pour les experts-comptables que pour les entrepreneurs. Avec six cofondateurs - quatre issus de l'expert-comptable.com et deux associés de confiance - nous avons décidé de repartir de zéro. Cela signifiait recruter une équipe de développeurs et d'ingénieurs, et reconstruire entièrement le produit pour en faire une solution performante et scalable.
Comment êtes-vous devenue « femme dirigeante » dans la tech, un secteur très masculin ?
A.S. : Lorsque nous avons lancé Tiime en 2015, j'étais la seule femme parmi les cofondateurs et je me suis retrouvée dans un milieu extrêmement masculin, composé en grande partie de développeurs et d'ingénieurs. À l'époque, les femmes étaient encore très peu présentes dans ces métiers, et dans nos premières équipes, la mixité était quasi inexistante. Avec le temps, notre croissance a permis d'intégrer davantage de diversité, même si nous sommes encore loin de la parité. Aujourd'hui, avec près de 300 collaborateurs, ce sujet me tient particulièrement à coeur : je m'attache à recruter et valoriser les femmes dans ce secteur, même si atteindre un équilibre parfait reste un défi dans une industrie encore largement dominée par les hommes.
Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés ?
A.S. : Lorsque j'ai cofondé Tiime, j'étais entourée de personnes avec qui j'étais parfaitement alignée sur la vision et la façon de travailler. Être la seule femme dans l'équipe ne m'a jamais posé de problème ni à mes associés. Le véritable défi a été la maternité. Contrairement à mes collègues masculins qui avaient aussi des enfants, j'ai dû faire face à la réalité des grossesses et des congés maternité. J'ai réussi à m'arrêter trois mois à chaque fois, et bien que mes associés aient été très compréhensifs et m'aient soutenue, j'ai ressenti un décalage. Dans l'entrepreneuriat, s'absenter, même temporairement, est un vrai challenge. Heureusement, nous avions convenu ensemble du maintien de mon salaire, ce qui était un vrai soutien, mais cette pause forcée m'a fait prendre conscience des inégalités qui persistent, même dans un environnement bienveillant.
Vous aviez peur de ne pas retrouver votre place ?
A.S. : J'avais surtout peur de manquer quelque chose dans un environnement aussi dynamique et compétitif que celui de la fintech. S'arrêter, même temporairement, donnait l'impression de passer à côté d'opportunités ou d'évolutions importantes. Mais avec du recul, je me rends compte que ces pauses étaient finalement insignifiantes et que tout revient rapidement à la normale une fois de retour. Aujourd'hui, je perçois même le fait d'être une femme dans ce secteur comme une force. Cela me confère une certaine visibilité, parfois plus marquée que celle de mes associés masculins, notamment sur des plateformes comme LinkedIn. J'ai constaté que mes prises de parole suscitent davantage de réactions, ce qui me permet de mieux faire entendre ma voix et de contribuer activement aux discussions du secteur.
Vous êtes une des rares CEO femmes dans la fintech, à votre avis, pourquoi ?
Être présidente n'a jamais été un sujet pour moi, car c'est avant tout un titre honorifique plutôt qu'une véritable fonction opérationnelle dans l'entreprise. Cela fait maintenant cinq ans que j'occupe ce rôle, une décision que nous avons prise collectivement pour marquer notre différence dans un secteur comme la fintech, où la majorité des dirigeants sont des hommes. En choisissant de me nommer présidente, nous avons voulu prendre le contre-pied des pratiques habituelles et affirmer une approche plus ouverte et inclusive.
Les choses évoluent. De plus en plus de femmes accèdent à des postes de direction, s'engagent dans l'entrepreneuriat et réussissent, ce qui est une excellente chose. Heureusement, ces avancées permettent de voir davantage de femmes occuper des rôles stratégiques et influents.
Quels seraient les trois conseils vous donneriez aux femmes qui souhaitent entreprendre dans la finance et la tech ?
A. S. : Je pense qu'il est essentiel de se faire confiance et de ne pas attendre le « bon moment » pour se lancer. Quand j'ai créé Tiime à 30 ans, j'ai rapidement eu des enfants, et je me suis posée la question du timing. Mais en réalité, il faut saisir les opportunités quand elles se présentent et avancer sans trop hésiter.
L'autre point clé, c'est de bien s'entourer. Que ce soit avec des associés ou des partenaires de confiance, cela fait une vraie différence. J'ai la chance d'avoir cinq cofondateurs, dont trois impliqués dans l'opérationnel au quotidien. Cela me permet d'avoir des alliés solides, de pouvoir prendre du recul quand c'est nécessaire et d'assurer la continuité même en mon absence. Être bien entourée facilite la gestion des imprévus et permet d'avancer plus sereinement.
Ensuite, participer régulièrement à des événements, notamment ceux dédiés aux femmes. Je participe à différents événements, larges ou autour de la fintech. Ces rencontres sont essentielles, car elles permettent de mettre en avant des rôles modèles féminins et d'encourager d'autres femmes à prendre confiance en elles. Au-delà de l'aspect inspirant, ces événements sont aussi une opportunité précieuse pour élargir mon réseau et renforcer la notoriété de mon entreprise. Ils me permettent non seulement d'échanger avec d'autres professionnels du secteur, mais aussi de donner plus de visibilité à ma marque et à mon activité.
Quelles seraient, selon vous, les deux principales pistes pour rendre plus visibles les femmes dans le milieu tech ?
A. S. : Je suis convaincue que tout commence dès l'orientation, car lorsqu'on recrute, on constate encore un déséquilibre flagrant : sur dix candidats, huit sont des hommes et seulement deux sont des femmes. Il y a un vrai enjeu d'éducation pour montrer que ces métiers ne sont pas réservés aux hommes et qu'il faut encourager la diversité dès l'école et les études. Dans mon entreprise, les femmes sont davantage présentes dans les services client et commerciaux, alors qu'elles restent sous-représentées dans les métiers plus techniques. Il est essentiel de changer cette perception pour que tout le monde puisse accéder aux mêmes opportunités.
Je pense aussi qu'il faut oser, car je vois bien que les hommes se posent moins de questions et ont souvent plus confiance en eux. C'est un état d'esprit qui peut être difficile à acquérir, mais les réseaux de femmes et les initiatives qui mettent en avant des rôles modèles sont essentiels pour inspirer et donner confiance. J'ai deux filles et j'ai envie de leur transmettre cette idée : elles peuvent tout autant que les hommes, et il ne devrait pas y avoir de barrières liées au genre. Pourtant, aujourd'hui encore, cette égalité n'est pas complètement acquise.