Haro sur le CDD, vive le CDI !
Le recours au contrat à durée déterminée peut paraitre séduisant pour les employeurs puisqu’il n’engage ces derniers que pour une période déterminée, du moins dans son principe. Cependant, le recours à ce type de contrat n’est possible que sous certaines conditions appréciées très strictement et son exécution est, elle aussi, soumise à des règles particulières. Ainsi, le recours au CDD afin d’éviter la conclusion d’un CDI constitue une fausse bonne idée dans la pratique.
L'article L.1221-2 alinéa 1 du Code du travail stipule que « e contrat à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail ». Le législateur a ainsi voulu que le recours à un CDD constitue un mode exceptionnel de conclusion d’un contrat de travail, réservé à des cas spécifiques. Celui-ci ne peut ainsi avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise (article L.1242-1 du Code du travail).
Seule l’exécution d’une tâche précise et temporaire (remplacement d’un salarié, accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, emploi à caractère saisonnier, etc.) permet le recours au CDD (articles L.1242-2 et suivants du Code du travail).
Le CDD est par nature temporaire et ne peut excéder en principe une durée de 18 mois (renouvellement compris). (Article L.1242-8 du Code du travail).
Un formalisme pesant et contraignant
Contrairement au contrat à durée indéterminée, le CDD doit nécessairement faire l’objet d’un écrit. A défaut, il est réputé avoir été conclu pour une durée indéterminée.
Avant d’être transmis au salarié pour signature, au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant l’embauche, l’employeur doit s’assurer que l’écrit comporte bien un certain nombre de mentions obligatoires, notamment le motif du recours au CDD, le nom et la qualification du salarié remplacé le cas échéant, la durée du contrat, ou encore la signature des parties (articles L.1242-12 et suivants du Code du travail). A défaut de ces mentions, le CDD sera requalifié en CDI.
Lorsque le juge fait droit à la demande de requalification du salarié, une indemnité à la charge de l’employeur et ne pouvant être inférieure à un mois de salaire, devra être allouée au salarié (article L.1245-2 du Code du travail), peu important que le contrat se soit poursuivi après l’arrivée de son terme et soit devenu un contrat à durée indéterminée (Cass. soc. 18 mai 2004, n°01-45.622, RJS 2004. 544 n°795).
Une période d’essai plus courte
Il est possible prévoir une période d’essai en cas de recours à un CDD, mais sa durée sera inférieure à celle prévue pour les CDI. Alors que la période d’essai en présence d’un CDI peut atteindre une durée de 8 mois (renouvellement compris – article L.1221-19 du Code du travail), elle ne peut dépasser la durée maximale d’un mois dans le cadre du CDD.
En effet, en l'absence d'usage ou de convention collective prévoyant des durées moindres, la durée maximale de la période d'essai d'un CDD est fixée en fonction de la durée du contrat, à raison d’un jour par semaine, dans la limite de deux semaines lorsque la durée initialement prévue au contrat est au plus égale à six mois et d’un mois pour les autres cas (article L.1242-10 du Code du travail).
Contrairement au CDI, la période d’essai n’est pas renouvelable dans le cadre d’un CDD.
Pas de modification du CDD
Le CDD ne peut être modifié sans l’accord du salarié, y compris en cas de simple changement des conditions de travail.
La jurisprudence établit en effet une distinction selon qu’il s’agit d’un changement des conditions de travail ou d’une modification du contrat de travail.
Lorsque l’employeur souhaite modifier un élément essentiel du contrat de travail (rémunération, temps de travail, qualification, etc.), il doit impérativement recueillir l’accord préalable du salarié que celui-ci soit titulaire d’un CDI ou d’un CDD.
En revanche, le changement des conditions de travail relève du pouvoir de direction de l’employeur. Le salarié ne peut le refuser. Néanmoins, si le salarié en CDD refuse ce changement, l’employeur ne pourra pas rompre le contrat.
Selon la Cour de cassation, ce refus est susceptible de constituer une faute que l’employeur est libre de sanctionner en utilisant son pouvoir disciplinaire mais ne présente pas à lui seul un degré de gravité suffisant pour être qualifié de faute grave justifiant une rupture anticipée du CDD (Cass. Soc. 20 novembre 2013, n°12-30.100 et 12-16.370).
Le refus d’un simple changement de ses conditions de travail par un salarié engagé en CDI est susceptible de constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Des possibilités de rupture anticipée très limitées
Sauf accord entre les parties, le CDD ne peut être rompu de manière anticipée qu’en cas de faute grave, force majeure ou inaptitude constatée par le médecin du travail (article L.1243-1 du Code du travail) ou encore lorsque le salarié justifie de la conclusion d’un contrat à durée indéterminée (article L.1243-2 du Code du travail).
L’employeur qui décide de rompre le CDD en dehors de ces hypothèses s’expose à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations que le salarié aurait perçues jusqu’au terme de son contrat ainsi qu’à l’indemnité de fin de contrat (article L.1243-4 du Code du travail).
La Cour de cassation rappelle régulièrement la liste limitative des cas de rupture avant terme institués par la loi et en fait une application stricte.
Elle a ainsi précisé dans un arrêt en date du 6 février 2013 que l’exercice par le salarié d’une action en requalification en CDI ne saurait justifier la rupture anticipée de son CDD.
Dans cette affaire, un salarié dont le CDD avait été rompu concomitamment à l’introduction par celui-ci d’une action en requalification en CDI, avait saisi le juge des référés afin que soit ordonné la poursuite des relations de travail.
La Cour de cassation décide qu’il appartient à l’employeur d’établir que la rupture anticipée du CDD était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l’exercice par les salariés d’une liberté fondamentale constituée par le droit d’agir en justice (Cass. Soc. 6 février 2013, n°11-11.740).
Plus contraignante encore est la rupture anticipée d’un contrat d’apprentissage.
Si ce contrat peut, pendant les deux premiers mois, être librement rompu par l’une ou l’autre des parties, peu importe que celui-ci ait ou non été enregistré à cette date (Cass. Soc. 30 septembre 2009, n°08-40.362), la résiliation anticipée ne peut ensuite intervenir que sur accord écrit signé par les deux parties ou, à défaut, être prononcée par le Conseil de prud’hommes dans des cas limitativement énumérés (article L.6222-18 du Code du travail).
Ainsi, l’employeur commet une faute en rompant unilatéralement le contrat même s’il peut justifier d’une faute grave commise par le salarié. Si la gravité des fautes le justifie, l’employeur peut seulement prononcer la mise à pied de l’apprenti dans l’attente de la décision judiciaire (Cass. Soc. 6 février 2001 n°98-44.133). De même, le salarié apprenti ne peut pas démissionner (Cass. Soc. 23 septembre 2008, n°07-41.748).
Le surcout du CDD par rapport au CDI
Alors que le CDI est le contrat de travail de droit commun, il n’a plus la faveur des employeurs qui le considèrent à tort comme source de risque et de coût. Selon les chiffres de l’ACOSS, au 3e T 2013, + 86% des contrats signés étaient des CDD dont +68% étaient des CDD de moins d’un mois. Ces CDD de très courte durée ont plus que doublé depuis 2000.
Cette explosion du nombre de CDD de moins d’un mois est révélatrice d’une véritable précarité
Afin de lutter contre le travail précaire, l’ANI du 11 janvier 2013 « pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés » a instauré une majoration des contributions patronales d’assurance chômage en cas de recours à certains CDD de courte durée.
Le taux de la contribution de droit commun est de 4% pour l’employeur. Il passe à 7% pour les CDD de moins d’un mois conclus pour accroissement temporaire d’activité, à 5,5% pour les CDD d’une durée comprise entre un et trois mois et à 4,5% pour les CDD d’usage d’une durée inférieure ou égale à trois mois.
Parallèlement, l’ANI de 2013 a mis en place à compter du 1er juillet 2013 une exonération temporaire de la contribution patronale d’assurance chômage afin d’inciter à l’embauche des jeunes en CDI. En plus de cette majoration, l’employeur doit ajouter au coût du CDD l’indemnité légale de fin de contrat ou indemnité dite de « précarité » égale à 10% de la rémunération brute totale versée durant le contrat (articles L.1243-8 et suivants du Code du travail). La Cour de cassation a récemment rappelé qu’il convenait d’exclure le montant de cette indemnité de fin de contrat du calcul du salaire de référence servant à l’évaluation de l’indemnité de requalification en CDI et des indemnités de rupture (Cass. Soc. 18 décembre 2013, n°12-15.454).
Conclusion
Les employeurs qui cèdent à la tentation de recourir au CDD afin d’éviter de s’engager dans une relation de travail en CDI commettent l’erreur de raisonner à très court terme, sans avoir mesuré les contraintes inhérentes à la conclusion et à l’exécution de tels contrats, adaptés aux seuls cas spécifiques de recours pour lesquels ils ont été institués.
Le régime juridique relativement complexe des CDD amène les employeurs négligents ou inattentifs à se retrouver confrontés à des contentieux pour lesquels la requalification du CDD en CDI, accompagnée du versement de dommages et intérêts, constituent la seule réponse à la précarité contre laquelle tentent de lutter le législateur et le juge.
En dehors des aspects juridiques et de la souplesse méconnue du CDI, les vertus psychologiques liées à la conclusion d’un CDI, pour le salarié comme pour l’entreprise, notamment en termes d’investissement au sein d’une collectivité de travailleurs partageant une identité professionnelle commune, constituent également un argument non négligeable en faveur du CDI.
Elsa Lederlin, et Charline Cosmao, avocats, DS Avocats