A moins de 70 jours du Brexit : comment les entreprises doivent-elles se préparer ?
Publié par Laurent Dommergues, spécialiste fiscalité chez GMBA le - mis à jour à
A moins de 70 jours de la fin de la période de transition, les négociations relatives au Brexit sont toujours en cours. Pourtant, qu'il y ait " No Deal " ou accord, le Brexit aura inévitablement des conséquences douanières et fiscales pour toutes les entreprises qui commercent avec le Royaume-Uni.
En effet, plus de 80% des flux de marchandises entre le Royaume-Uni et l'Europe continentale passent par l'un des 9 points d'entrée situés sur les côtes françaises, notamment Calais, Dunkerque et Le Havre. C'est pourquoi, une " frontière intelligente " visant à faciliter le passage de la frontière franco-britannique a été mise en place par les autorités douanières.
Bien que tout ait été pensé pour conserver la fluidité des flux de marchandises, le rétablissement des frontières et par conséquent des contrôles et des formalités douanières sont inéluctables. C'est pourquoi, il est essentiel que les entreprises continuent à se préparer, quelle que soit l'issue des négociations.
La frontière intelligente : un dispositif pensé pour maintenir la fluidité des échanges
Le modèle économique sur lequel reposaient jusqu'à présent les échanges de marchandises entre le Royaume-Uni et la France est celui de la fluidité et de la rapidité : des temps de traversée très courts (45 min par le Tunnel et 2h par ferry), aucun contrôle et aucune formalité douanière.
Dans le cadre du rétablissement de la frontière entre la France et le Royaume-Uni au 1er janvier 2021, une nouvelle solution IT, la " frontière intelligente ", sera déployée par les douanes françaises. L'objectif est d'automatiser le passage de la frontière par près de 5 millions de poids lourds en moyenne chaque année. Cette automatisation qui fonctionnera aussi bien à l'importation qu'à l'exportation a pour but de fluidifier le passage en douane en évitant des arrêts prolongés des camions sur site.
L'objectif est d'éviter la saturation des infrastructures existantes et les risques économiques qui en découleraient. La frontière intelligente permettra donc d'anticiper les déclarations en douane avant l'arrivée au poste frontière.
Elle permettra également d'identifier les poids lourds en associant les plaques d'immatriculation aux déclarations en douane avant la traversée de la Manche. Enfin, ce nouveau dispositif permettra d'automatiser des flux de données : seuls les véhicules soumis à contrôle et ceux devant finaliser leurs formalités de passage seront arrêtés. De l'autre côté de la Manche, un système similaire dénommé " Smart Freight System " sera déployé par les autorités anglaises pour éviter l'engorgement du Kent face aux flux vers la France.
Mais des formalités douanières aux conséquences lourdes
Si la frontière intelligente permettra de conserver la fluidité des échanges de biens entre l'UE et le Royaume-Uni, le principe de liberté de circulation des marchandises cessera de s'appliquer. Pour chaque échange de biens, une déclaration en douane devra être établie. L'importation déclenchera le paiement des droits de douane et de la TVA d'importation. Les droits de douane dépendent de la nature des marchandises, de leur valeur, de leur origine et ne sont pas récupérables.
Côté européen, le Tarif Douanier Commun (TDC) peut être consulté pour identifier les droits de douanes dus à l'importation dans l'UE. De l'autre côté de la Manche, le UK Global Tariff (UKGT) peut également être consulté pour chiffrer les droits douanes qui seront dus à l'importation au Royaume-Uni. La TVA à l'importation est en revanche déductible pour les entreprises mais la récupération effective de la taxe n'est pas immédiate. Ce décalage peut susciter des difficultés de trésorerie, en particulier dans le contexte actuel. Les entreprises peuvent alors avoir recours à différents régimes tels que le crédit d'enlèvement, le régime de l'autoliquidation de la TVA à l'importation, ou encore le régime 42.
Anticiper pour bien se préparer au Brexit
Face à la sortie du Royaume-Uni du marché intérieur et de l'Union douanière, les entreprises doivent adapter leur stratégie et leur gestion douanière. Elles peuvent notamment réaliser un auto-diagnostic pour évaluer l'impact du Brexit sur leur activité.
Il s'agit d'analyser dans un premier temps son " exposition " au Brexit en ayant une vision précise des flux : quel pourcentage le marché britannique représente-t-il sur l'activité de l'entreprise ? Quels sont les types de marchandises achetées ou vendues ? Les marchandises sont-elles soumises à autorisation préalable ? Qui sont les transporteurs ? L'entreprise dispose-t-elle déjà d'un numéro EORI ?...
Il est également conseillé de faire le bilan des volumes déclaratifs supplémentaires dans un environnement post-Brexit et d'évaluer leurs impacts en termes de coûts. Il convient de s'interroger sur l'opportunité de mettre en place des solutions internes de dédouanement ou sur celle de sous-traiter l'établissement des déclarations en douane à un prestataire. Il est également important d'évaluer la robustesse du système d'information de l'entreprise.
De plus, il est indispensable d'échanger avec les fournisseurs et les clients pour sécuriser la chaîne d'approvisionnement.
L'intégration de la dimension douanière dans la stratégie de l'entreprise suppose aussi d'identifier les Incoterms applicables aux contrats de ventes et le cas échéant de les renégocier. Les Incoterms déterminent les obligations, la responsabilité mais aussi les frais supportés par le vendeur et l'acheteur dans une vente internationale. Ils précisent également qui est responsable des formalités de dédouanement à l'exportation et à l'importation.
Le Brexit modifiera profondément le quotidien des entreprises françaises et européennes qui commercent avec le Royaume-Uni. La sortie effective du Royaume-Uni signifie de nouveaux coûts directs (droits de douane) et indirects (représentants en douane et gestion des flux déclaratifs) pour les entreprises. Mais le Brexit constitue aussi une opportunité pour les TPE et PME qui souhaitent développer leurs activités avec des états-tiers à l'UE. Les investissements et efforts réalisés pour intégrer la dimension douanière dans la gestion de leurs relations avec leurs clients et fournisseurs britanniques peuvent être mis à profit pour s'introduire sur de nouveaux marchés hors de l'UE.
Pour en savoir plus
Laurent Dommergues est avocat au barreau de Madrid et anciennement inscrit au barreau de Paris. Il est spécialisé en fiscalité internationale des entreprises et tout particulièrement en matière de TVA au sein du cabinet GMBA. Il accompagne des PME et des grandes entreprises étrangères, ainsi que des filiales françaises de groupes internationaux, dans le cadre de missions de conseil, de compliance et d'assistance à contrôle fiscal.