Relation Daf-banquiers : calme en vue avant une hausse des taux
Publié par Mallory Lalanne le | Mis à jour le
Si les relations entre banques et directions financières sont au beau fixe et que les durcissements de conditions de prêts ne semblent pas à l'ordre du jour, la hausse des taux, les sujets RSE et les notions de performance globale semblent s'inviter dans le débat, amenant les directions financières à revoir leurs priorités.
Pour se financer et réaliser la première croissance externe en 2020, Stéphane Madec, directeur administratif et financier du groupe Altarea, un acteur de l'énergie, du climat pour la transition énergétique et environnementale des bâtiments, a toujours frappé à la porte des banques. L'entreprise qui réalise une croissance organique de 30% par an depuis 10 ans, a bien besoin de ces ressources pour financer ses projets de développement sur des activités complémentaires. Depuis le début de la crise sanitaire, lorsqu'il consulte ses établissements bancaires historiques, rien ne change. « Nous travaillons avec un pool bancaire constitué de quatre banques pour les dépenses d'investissement, le besoin en fonds de roulement, Bpifrance qui nous accompagne sur des financements court terme, et depuis 2019 avec le fonds d'investissement Paris fonds Vert. Les relations ne se sont pas tendues. Il n'y a pas de défiance mais une relation de confiance », rapporte Stéphane Madec.
De la communication et une écoute amplifiée. C'est aussi ce que constate Jean-Marc Tariant, consultant indépendant et fondateur du cabinet Finance & Stratégie. Selon cet expert, l'élan du plan de relance, du 'quoi qu'il en coûte', qui a permis aux directions financières de conforter leur trésorerie, semble encore bien présent. « Avant les années Covid, lors d'une année normale comme en 2019, il y avait environ 60 000 dépôts de bilan par an. Avec les aides de l'Etat, en 2021, il y en a eu à peine 30 000. Il y a eu une diminution de près de moitié de dépôts de bilan car il y a eu énormément de report de charges, de décalage de paiement », note Jean-Marc Tariant. La mise en place des PGE a créé une vraie solidarité entre les chefs d'entreprise, les directions financières et leurs banquiers. « Il y a eu énormément de dialogue et une vraie proximité. Ce qu'a généré la crise, c'est le fait d'être soudé avec un défi commun. On va creuser le business model et le besoin de l'entreprise, la manière de sécuriser le financement et travailler sur le BFR », rapporte Patricia Morand, directrice du marché Entreprises d'ArkéaBanque E&I, qui accompagne les PME de croissance et les ETI depuis 2018.
Anticiper les difficultés et le cash
Les banques prêtent donc autant qu'avant et semblent aussi avenantes avec les bons dossiers. « Un banquier qui ne rencontre pas de difficultés nouvelles, de problème de trésorerie, ne change pas son comportement. J'ai récemment accompagné une entreprise sous LBO qui a réalisé des pertes en 2020. Un dossier qui nécessite une restructuration des dettes et une demande de financement à moyen terme. Si le dirigeant et la direction financière anticipent le cash et les difficultés à venir, il n'y a aucun problème pour obtenir les financements nécessaires », donne en exemple Jean-Marc Tariant, un ancien banquier.
Ce qui a changé en revanche, c'est la hausse des taux appliqués depuis le début de la guerre en Ukraine. Aux effets de cette guerre, s'ajoutent les incertitudes liées à la conjoncture chinoise, dans un contexte où des difficultés d'approvisionnement tout au long de la chaîne de production perdurent depuis la crise sanitaire. La remontée des taux, qui ne semble en effet pas encore au coeur des préoccupations des entreprises, pourrait être visible dans un ou deux ans.
Un contexte géopolitique qui nécessite de renforcer la vigilance de la part des banques, et qui pourrait entraîner un durcissement des conditions d'octroi du crédit. « Les établissements bancaires posent plus de questions qu'avant sur la hausse des prix qui influence le secteur du bâtiment. Ils cherchent à savoir si on arrive à répercuter cette augmentation sur les prix de vente », explique Stéphane Madec. Les entreprises qui étaient déjà en difficulté avant la crise sanitaire, ou issues de secteurs d'activités fortement bousculés, pourraient être confrontées à ce problème de refinancement.
Le développement durable donne une nouvelle impulsion
Le développement durable est également amené à s'inviter dans les débats et les discussions entre les directions financières, leurs investisseurs et leurs banques. Selon Patricia Morand, ce sujet devient même un élément majeur de dialogue d'une entreprise avec l'ensemble de ses partenaires financiers et s'impose tant dans les systèmes de gestion que les structures de contrôle interne et externe. « La crise a accéléré la prise de conscience de l'enjeu climatique, de l'importance du rôle sociétal des entreprises pour l'avenir, pour leur image, leurs équipes et les recrutements ».
Si les banques ont un rôle moteur à jouer pour aider les entreprises à s'orienter vers les prêts RSE (responsabilité sociale et environnementale), les directeurs financiers sont désormais directement impliqués dans les réflexions comme dans la mise en oeuvre de la démarche. « Nous nous engageons beaucoup sur ces sujets liés au social et à l'environnement. Une impulsion qui n'est pas tant liée à la crise, mais à la réglementation, aux normes, à l'importance de cette nouvelle dimension RSE pour les acteurs et les investisseurs, explique Stéphane Madec, qui a bénéficié d'un prêt à impact de Bpifrance. Si nous respectons les critères et objectifs ESG, le taux du prêt est bonifié ». La manière dont l'entreprise prend en compte ces enjeux conditionnerait déjà le prix de l'argent.
À terme, ignorer cette question pourrait même diminuer la capacité d'une entreprise à se financer. « Le directeur financier doit être au coeur des innovations et doit avoir conscience qu'il a un rôle crucial de rendre tangible l'attractivité de la société et d'articuler un discours solide en matière de durabilité. Il doit la rendre la plus attrayante pour bénéficier des meilleurs financements et s'assurer d'une attractivité renforcée par rapport au monde financier et celui du capital investissement », conclut Patricia Morand.