Raise, une autre vision de la finance
Publié par Camille George le | Mis à jour le
Créer un écosystème financier vertueux. Tel était l'objectif visé par les fondateurs de Raise il y a sept ans en refusant d'opposer rentabilité et générosité. Aujourd'hui Raise est un acteur majeur du private equity et un modèle pour la finance durable. Entretien avec ses deux dirigeants.
>Pour ceux qui ne connaîtraient pas présentez-nous Raise et son écosystème.
Gonzague de Blignières : L'écosystème Raise s'articule autour de trois grandes entités qui travaillent étroitement ensemble : le pôle des activités d'investissement - qui vont du Venture au Capital développement en passant par le small cap impact et l'immobilier - avec Raise investissement, Raise Impact, Raise Ventures et Raise Reim. Cette activité est rendue possible grâce à des investisseurs, des LP's (Limited Partnership - Ndlr), qui investissent chez nous et dont nous réinvestissons les fonds. Le deuxième pôle est la fondation RAISESHERPAS spécialisée dans l'accompagnement philanthropique et le financement non dilutif de jeunes startups. Elle est au coeur de notre système puisqu'elle est nourrie par un abandon de 50% du carried interest, la plus-value réalisée, des équipes. Cette fondation est dotée de 28 M€ et accompagne plus de 375 start-up au travers de 5 programmes différents dont un programme de financement, le tout dans un esprit philanthropique. Et, enfin, il y a les " tiers lieux ", dont RaiseLab une maison dédiée à l'Open innovation au coeur de Paris et bientôt La Plume. Raise Lab est un laboratoire à la fois pour les start-up et les grands groupes où nous faisons de l'innovation pour le compte des grands groupes qui viennent avec leurs start-up ou rencontrer des start-ups. La nouveauté 2021 est La Plume, un centre de séminaire dans les Alpes Maritimes au milieu d'une école de permaculture, qui met en avant l'humain, partant du principe que pour changer le monde il faut commencer par se changer soi-même. Notre mission à tous est de faire en sorte que tout cela fonctionne de façon efficace, professionnelle et rentable car nous n'opposons pas rentabilité et générosité. D'ailleurs nous avons l'intime conviction que la fondation et le lab qui peuvent paraitre un peu iconoclastes sont les deux innovations dont le monde de la finance avait besoin pour évoluer !
Clara Gaymard : Pour compléter je soulignerais que toute l'activité est enracinée dans une raison d'être qui était au départ de faire grandir les entreprises. Avec l'aide de l'école des Mines, qui a également accompagné toute la recherche de Jean-Dominique Sénart et de Nicole Notat sur la loi sur la raison d'être et les entreprises à mission, nous avons eu l'occasion de renouveler notre raison d'être mais aussi de la rendre vivante en faisant évoluer nos 4 piliers fondateurs. Le 1er est bien sûr la générosité puisque nous reversons 50% du carried qui permet à la fondation de fonctionner et d'aider les entrepreneurs. Le 2e est la parité qui est totale chez nous et à tous les niveaux hiérarchiques. Mais surtout, cette parité nous a conduits à faire une gouvernance en binôme. Donc le binôme Gonzague et Clara se reproduit dans les entités avec Mathieu et Alexandra, Aglaé et Serge, etc. Le 3e pilier est de mesurer à la fois notre impact et notre ESG donc nous nous sommes dotés de mesures en propre notamment quand on a créé le fonds Impact pour pouvoir mesurer à la fois en volume et en valeur l'impact de l'investissement réalisé. Et cet outil de mesure, disponible en open innovation, devient un instrument pour nos participations qui peuvent ainsi mesurer les améliorations qu'elles mènent dans leurs entreprises au regard de l'environnement, de leur gouvernance et du social. C'est donc à la fois un outil d'ESG mais surtout un instrument de mesure novateur de performance intégrée pour nos participations. Le 4e et dernier pilier est celui de l'innovation puisqu'on se retrouve par construction au coeur de l'écosystème. Les grands groupes sont nos actionnaires, nous investissons dans les PME et dans les start-ups, nous accompagnons de façon philanthropique de jeunes pousses... dans un cercle vertueux. La marque de fabrique clé de Raise est qu'on permet la rencontre des bonnes personnes au bon moment pour développer des partenariats ou du business. C'est la magie de cette toile d'araignée qui permet des connexions extrêmement rapides en permanence.
>Votre modèle de gouvernance est assez inédit. Comment cela fonctionne concrètement, peut-il s'appliquer ailleurs ?
Clara Gaymard : C'est notre conviction. En effet, cette gouvernance en binôme a donné naissance à une gouvernance extrêmement vertueuse où personne ne peut dire " je ", où personne ne peut rejeter la faute sur l'autre. On est en dialogue permanent. Ce qu'on a instauré avec Gonzague il y a 7 ans lorsqu'on a démarré est qu'on ne prendrait aucune décision sans l'accord de l'autre. La 2e règle étant que si un des éléments du binôme est mal à l'aise vis-à-vis d'une décision ou n'est pas convaincu par une décision, on en reparle, en associant d'autres personnes de l'équipe ou de l'extérieur. Et in fine cela abouti toujours sur une meilleure décision.
Bien sûr, nous avons des organes de gouvernance comme tout le monde, un comité de direction et même un " cobis " pour parler des choses plus opérationnelles mais nous avons aussi créé, pour les besoins de fonctionnement du groupe, un Lab IT, qui intègre des profils jeunes en contact avec des start-up au quotidien et qui nous permettent d'être toujours au goût du jour dans notre approche. Le principe de notre modèle de gouvernance est de faire appel, selon le sujet, à ceux de l'équipe qui savent le mieux quel que soit leur âge ou leur niveau hiérarchique. Cette parité dans toutes ses dimensions, nous a entrainé dans une gouvernance différente, de dialogue, qui s'appuie sur l'expertise où qu'elle soit et quel que soit le niveau hiérarchique.
>Pourquoi avoir fait le pari de la générosité à l'origine, ce n'est en général pas le premier réflexe des fonds ?
Clara Gaymard : La générosité est en effet vraiment au coeur de la création de Raise au départ. Elle vient tout simplement de la prise de conscience de la chance que nous avions de réussir dans notre pays et de la volonté de vouloir l'aider en retour. Or, le meilleur moyen d'aider un pays est de soutenir ses jeunes entrepreneurs, d'où la création de Raisesherpas. Et en fait on s'est rendu compte que la générosité était aussi un facteur de croissance incroyable et de légitimité pour nous. Si nous avions été de simples investisseurs du private equity classique nous n'aurions pas eu la légitimité pour créer Ventures ni pour créer Impact. Cette générosité a été un véritable moteur de croissance pour nous. Par ailleurs ce qui est intéressant dans le travail sur la raison d'être est qu'on la fait vivre à travers des groupes de travail qu'on réunit tous les mois qui ont pour but de lister tous les leviers d'actions possibles pour continuer à avancer sur nos 4 piliers. Finalement notre raison d''être est le moteur de notre croissance.
Gonzague de Blignières : Dans le monde de la finance, l'innovation est généralement au service de la finance or nous avons essayé de faire un écosystème innovant au service de l'homme et au service de l'entreprise. On a pris le problème à l'envers, ou plutôt à l'endroit en réalité, en interrogeant le bien commun. Nous avons synthétisé tout cela et trouvé un système où la générosité, le plaisir de partager était le premier plaisir avant même de gagner. Et finalement pour partager beaucoup il faut gagner beaucoup donc on remet la finance à sa juste place c'est-à-dire au service des entrepreneurs. Et ce n'est pas au détriment de nos actionnaires ! En partageant on ne manque de rien.
>Après la générosité, le deuxième pari de Raise est la confiance. Comment avez-vous réussi à convaincre avec ce modèle ?
Clara Gaymard : Il est vrai que le principe de départ n'était pas évident. On demande quand même à nos collaborateurs de donner 50% de leurs carried, c'est énorme et c'est aussi beaucoup de temps à consacrer. Au début, tout le monde pensait qu'on n'arriverait pas à recruter à cause de cela alors qu'en réalité nous avons recruté non seulement des profils experts mais en plus curieux. Car lorsqu'on est généreux on est curieux, on s'intéresse à l'autre. Et dans le monde d'aujourd'hui où toutes les portes sont ouvertes sur les questions environnementales, digitales... ne pas se montrer curieux vous fait manquer des opportunités.
Gonzague de Blignières : Le postulat de base est " tout est possible ". Partant de là, la confiance est induite. Qu'on ait 25 ans ou 40 qu'on soit stagiaire ou partner, la parole est libre. On en discute dans les différents comités et on met en application. Si on se trompe, ce n'est pas grave on aura progressé. C'est vraiment différenciant notamment pour les collaborateurs qu'on recrute qui sont en recherche de sens. On est là pour gagner de l'argent et pour le partager. Et puis on fonctionne de façon décloisonnée, l'objectif est que les gens se parlent. D'ailleurs on parle de maison et pas de bureau et la pièce principale est au rez-de-chaussée, c'est la cuisine. Un signe sympathique est que lorsqu'il y a un pot de départ pour un stagiaire, 2 choses se produisent : la première les collaborateurs ici se disent " je ne savais même pas que tu étais stagiaire " et la 2e chose est que 3 fois sur 4, ils pleurent.
>Ça, c'est pour les collaborateurs, mais les actionnaires ont-ils tout de suite adhéré ?
Gonzague de Blignières : Je pense qu'on est arrivé à un momentum qui n'était pas mauvais. Les grands groupes se cherchaient pour travailler avec les start-ups. Ils ne savaient pas très bien comment faire, certains faisaient du corporate venture, d'autres investissaient dans des fonds ou créaient des labs. Les start-up n'arrivaient pas à travailler avec les grands groupes. Elles ne savaient pas qui contacter ou n'avait rendez-vous avec la bonne personne. Et les fonds d'investissements ignoraient le monde des grands groupes parce que les fonds sont des structures qui généralement lèvent de l'argent auprès de LP's qui investissent habituellement tous les 3 ou 4 ans dans des équipes de gestion. Et puis nous sommes arrivés en voulant créer une structure qui alimente comme un feu permanent ces relations entre grands groupes et start-ups. C'est la vocation de l'équipe de la fondation Raisesherpas mettre en relation start-up et grand groupe, connecter les acteurs aux tendances du marché, prodiguer des formations pour aider les start-ups à se structurer, à recruter, à contacter les bons investisseurs, etc.
Finalement quand on arrive en tant qu'investisseur auprès d'une entreprise, on lui apporte la connaissance des acteurs qui vont les disrupter demain, celle de ceux qui seront leurs futurs clients car ce sont nos actionnaires, et en tant qu'investisseurs on est capable de les accompagner avec tous les outils qui existent. Cela permet de replacer la finance comme une énergie positive à l'origine de tout en lui redonnant du sens.
>Le rapport de force grands groupes / start-up est-il vraiment en train d'évoluer ?
Clara Gaymard : On a vu l'open innovation se construire dans les entreprises. Au début de façon un peu condescendante de la part des grands groupes qui partaient du principe que c'était leur rôle d'aider les start-up. Alors que maintenant on voit beaucoup plus de grands groupes venir avec des problématiques, des pain points ou des projets à développer, pour lesquels ils ont 90% de la solution mais pas toute la solution. La synergie grands groupes / start-up devient le centre de la réponse industrielle et technologique des entreprises. D'une certaine manière elle s'industrialise. Ça n'est plus simplement un coup de main au démarrage ou du rachat de start-up pour tuer la concurrence potentielle. Les grands groupes se rendent compte que leur transformation est essentielle. Or, les deux piliers de la croissance de demain sont l'environnement et le digital donc tout le monde y va. Pour des raisons plus ou moins valables, mais tout le monde y va.
Gonzague de Blignières : C'est aussi la fin des entreprises en silo. Pour 2 raisons, la première est que les jeunes toujours curieux vont plus facilement voir ailleurs, et la deuxième c'est que la technologie fait qu'il n'est plus possible de travailler en silo. Il y a une vraie dynamique. Nous ne sommes pas les seuls. Un nouveau métier s'est créé autour de la mise en relation entre les start-ups et les grands groupes.
>Et qu'en est-il du mid market, y a-t-il une dynamique de transformation chez les PME et ETI ?
Clara Gaymard : C'est justement ces acteurs qui nous intéressent car si on veut que l'économie se transforme durablement cela passera par les PME et ETI. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes focalisés au sein de Raise Investissement sur les belles PME en croissance dotées d'une capacité d'innovation importante. Notre thèse d'investissement sur Raise Impact est différente des autres. On a un fonds qui est à 200 M€ et qui va aller à 250 M€ donc c'est un gros fonds d'impact avec l'idée qu'on va aider les PME actuelles à se transformer. Bien sûr, on intègre aussi des natives impact mais l'essentiel est d'aider les PME classiques dans leur transformation durable.
Gonzague de Blignières : Le problème essentiel est qu'aujourd'hui le marché ne parle qu'aux acteurs du CAC 40 ou aux start-ups. Or quand on y réfléchit sur l'ensemble du PIB français, soit environ 2500 Mds €, 800 à 900 Mds est constitué par le CAC 40. Tout le reste est réalisé par les PME ETI. Il est primordial de s'adresser à cette force vive-là. C'est la dynamique qui a imprégnée toutes nos récentes initiatives. Un bon exemple est le mouvement pour une économie bienveillante lancé en 2018 qui prend encore plus de sens aujourd'hui. Le principe de ce mouvement est très simple, à partir du moment où vous décidez de partager une partie vos ressources, que ce soit du bénéfice du chiffre d'affaires ou du temps, au profit d'une cause dans votre propre secteur d'activité et que vous impliquez l'ensemble des salariés à l'action dans cette cause, tout est mieux. Cela donne du sens aux salariés, les clients sont encore plus satisfaits et cela sert le bien commun. Au final tout le monde s'y retrouve. En 18 mois, 4780 entrepreneurs se sont investis. Cela confirme ce mouvement d'innovation de finance engagée.
> Quel message ou conseil voudriez-vous délivrer aux Daf ?
Clara Gaymard : Votre métier a changé. Avant on attendait d'un directeur financier qu'il exécute bien. Maintenant il doit être un vrai business partner tourné vers l'avenir. Bien sûr, il faut que la colonne vertébrale soit là et que les fondations soient solides mais il faut imaginer les projets de demain. Dans un contexte de croissance forte, le rythme moyen d'une entreprise est d'un projet tous les 9 mois avec une gestation de 12 à 18 mois à chaque fois. Le rôle du directeur financier est de soutenir l'équipe dirigeante, de l'aider à aller de l'avant sans freiner les projets. La profession doit être en veille et se placer dans un esprit de partage pour pouvoir rendre des choses nouvelles possibles. C'est-à-dire non pas pointer la barrière à l'horizon mais montrer comment la sauter.
Gonzague de Blignières : C'est d'autant plus vrai qu'on évolue dans un monde où tout est fragile. Et comme tout est de plus en plus fragile il faut être toujours plus agile. Un directeur financier est quelqu'un qui prévoit, organise et optimise le financement de l'entreprise. Demain il faut qu'il prévoie, organise et optimise le financement de la raison d'être de l'entreprise. Ce n'est pas tout à fait pareil. Le directeur financier doit participer à la construction et à l'exécution de la raison d'être de l'entreprise. Ainsi, quand il y a des sujets nouveaux ce n'est pas un simple concept financier dans un tableau Excel mais une opportunité de faire grandir la raison d'être de l'entreprise. La fonction finance pure doit se réduire au profit d'une action de création de valeur plus globale. Donc, étendez votre champ d'innovation, sortez-le du département finance et ne vous laissez pas dépossédez des bilans extra-financier !