Le management de la data : un enjeu clé de performance
Les obligations de reporting extra-financier liées à la CSRD entraînent une avalanche de datas qu'il faut non seulement maîtriser, mais savoir exploiter et analyser. Au-delà de ces enjeux de compréhension et d'analyse de la data, la question de la gouvernance du management de la data émerge. Qui, de la DSI, des opérationnels ou de la Daf, en a la propriété, sinon le pilotage ?
Un sujet de gouvernance
Pour tenter de répondre au sujet de la gouvernance de la data, la société de certification Bureau Veritas a opté pour la création d'une communauté data qui est animée par la DSI. Cette communauté regroupe toutes les fonctions de l'entreprise : finance, IT, opérations, RH, etc. Celle-ci élabore une feuille de route commune avec des axes stratégiques et questionne sur des sujets comme la fiabilité des données, le stockage... « Il faut s'assurer de la qualité de la donnée, de sa cohérence et savoir la fiabiliser. Le stockage de celle-ci est également un enjeu majeur. Enfin, il faut collecter les données des systèmes opérationnels, financiers, commerciaux, des ressources humaines... puis structurer l'architecture de la data afin de la valoriser pour optimiser nos business models », développe Karine Havas, CFO de Bureau Veritas. Une stratégie où « il faut trouver le bon équilibre pour éviter la dictature par l'ownership de la data ! » Pour beaucoup de métiers, au même titre que la finance, avoir la gouvernance de la donnée est essentiel. Mais pour la présidente de l'association FiPlus, Susanne Liepmann, un référentiel partagé est la clé « pour que tout le monde puisse parler la même langue ». Un autre prérequis, toujours selon elle, est aussi de « mettre en transversale la donnée et scénariser autour d'un point d'ancrage ». À y regarder de plus près, la question de la gouvernance ne semble pas encore tranchée au sein des entreprises et les organisations tâtonnent encore sur le sujet. « Il existe des enjeux de pouvoir et de responsabilité sur le sujet de gouvernance de la data. Les opérationnels ne veulent souvent pas qu'on les embête sur la redéfinition d'un référentiel ou sur l'alignement des KPI », explique Xavier Gardiès, associé au département advisory au sein du cabinet BDO.
Une prise de responsabilité croissante des Daf
Selon l'étude Trends of Finance 2024*` de Daf Magazine et BDO, 74 % des Daf français interrogés observent une prise de responsabilité croissante de la direction financière sur la gestion des référentiels financiers et extra-financiers. Ils sont 90 % au Royaume-Uni. « Avec la nouvelle réglementation CSRD et les reportings de durabilité, la direction financière devient en quelque sorte le temple de la donnée et le CFO devient chief decision officer », affirme Xavier Gardiès de BDO, avant de poursuivre : « Il existe d'ailleurs de nombreuses passerelles au sein des entreprises entre la finance et la data, et les Daf sont de plus en plus souvent responsables de la transformation de la finance, mais également de la data. » Cependant, il tempère, car, selon lui, « il existe une vraie différence de maturité entre les directions financières sur la maîtrise de la data ». On observe ainsi les moins matures, qui ont des données issues de leur ERP, lesquelles sont exploitées sur Excel, puis, au mieux, sont présentées dans Power BI. Ensuite, certaines entreprises plus avancées utilisent leur EPM pour réaliser leur FP&A, budget et forecast et croisent leurs données pour leurs analyses. C'est déjà plus puissant. Enfin, les plus matures adoptent une logique de plateforme data : avec leur ERP et leurs outils transactionnels financiers, puis un data warehouse pour centraliser, consolider, transcodifier, mettre en qualité leurs données qui alimentent ensuite un EPM pour réaliser des analyses et faire la comparaison réel-budget-forecast. Ces données sont ensuite présentées dans un outil tel que Power BI pour permettre aux utilisateurs finaux de faire du « self BI » à moindre coût. Ainsi, chez Bureau Veritas, « environ 4 000 collaborateurs utilisent l'outil de BI tableau software pour le suivi des KPI opérationnels, financiers, RH et plus largement de leur performance », précise la CFO du groupe.
Une bonne conduite du changement
D'une façon générale, l'étude Trends of Finance 2024 révèle que les Daf français et anglais estiment que leurs entreprises sont assez matures sur le sujet du management de la data (58 % en France et 62 % au RU). Dans le détail, les Daf français donnent une note moyenne de 7,2 sur 10 sur la maturité de la mise en place d'outils autour du management de la data dans leur organisation, quand les Daf britanniques donnent la note de 7,8 sur 10. Un bon management de la data passe aussi par une conduite du changement menée intelligemment et une bonne formation des équipes aux outils et aux process. « Avec des outils ludiques comme Power BI, la formation n'est plus un enjeu, c'est le leadership qui l'est », souligne le Daf d'un groupe bancaire selon qui il s'agit également de « démystifier la data ». « Nous avons donc instauré une sorte de Vis ma vie, où chaque membre de l'équipe finance allait passer une semaine dans les autres services afin que les financiers puissent se rendre compte des données dont ont besoin les opérationnels », poursuit le Daf. En parallèle, un programme de formation data en vidéo a été mis en place pour l'ensemble des métiers avec un module de base obligatoire et des quiz à réaliser dans les 6 mois.
Et si le sujet de la data peut paraître clivant entre les générations, il existe un plan pour y remédier chez Bureau Veritas. « Nous ne souhaitons pas créer des "oubliés" de la finance digitalisée qui seraient moins considérés dans leur employabilité, c'est pourquoi nous avons créé une communauté data pour acculturer les équipes à la digitalisation. Nous développons également un programme de formation dédié GEN IA et démocratisons l'accès à la robotisation, notamment avec l'utilisation de Power Automate », prévient Karine Havas.
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Des données fiables et consolidées
Un des freins évoqués pour un bon management de la data est celui de la qualité de la donnée. Mais avoir des données fiables, sinon infaillibles, semble un voeu pieux. « Il est difficile d'avoir des données infaillibles, c'est un mythe, car le Daf est souvent en bout de chaîne des données qu'il récupère des opérationnels. C'est d'autant plus hasardeux d'aligner ces données pour des groupes très décentralisés ou à l'international. Les clôtures rapides et fréquentes nécessitent par ailleurs de faire certains choix qui peuvent réduire l'exactitude des données », souligne Xavier Gardiès de BDO. L'apport de l'IA, qui peut sembler être la solution à tous les maux, n'en semble pas moins relatif en raison des risques d'hallucination qu'elle peut engendrer. Comme le précise la CFO de Bureau Veritas : « Il existe des risques d'hallucination avec l'IA qui peuvent travailler sur des données non complètement consolidées. Face à ces risques d'hallucination, il faut donc une analyse et le bon sens humain. » Et si le groupe de certification n'a pas validé l'utilisation professionnelle de ChatGPT en interne, il travaille sur son propre LLM.
Réconcilier l'opérationnel et le financier
L'étude Trends of Finance met en avant l'importance de démontrer la qualité de la donnée pour en attester sa valeur business. C'est un axe fort pour permettre un meilleur management de la data, mais pas que. « Réconcilier les données financières et opérationnelles est essentiel. Cela permettrait de démontrer le vrai intérêt business de la data, car le croisement de ces données (opérationnelles et financières) permettrait d'orienter in fine les décisions par marché, par pays, par produit... Au-delà de la simple exploitation des données, leur analyse grâce au machine learning, par exemple, ou avec les apports de l'IA, ferait gagner les entreprises en performance, car elle mettrait en lumière des biais invisibles pour un humain. Or, c'est encore trop peu exploité », avance Xavier Gardiès. C'est en tout cas ce que promet le process de xP&A (pour extended planning and analysis) qui apparaît comme la nouvelle promesse de l'IA en permettant d'aligner la planification financière et opérationnelle au sein de l'entreprise. Avec à la clé, pour le Daf, un plus grand pouvoir de décision. Dans le détail, ce process, qui est une extension du process de FP&A, permet d'avoir une vision de l'impact en temps réel des opérations sur le budget, les forecasts, les bilans... Mais il est également possible de faire redescendre les informations. Ainsi, la finance peut, en fonction des révisions budgétaires, modifier ou visualiser les impacts sur l'opérationnel (ventes, stocks...). « Il permet au Daf d'avoir davantage de pilotage opérationnel avec une posture de stratège et de conseil auprès du DG », conclut Xavier Gardiès.
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