[Opinion] Prix de transfert et pandémie : l'OCDE ne tranchera pas le noeud gordien
Publié par Vincent Desoubries, Pierre Bonamy, Arsene le - mis à jour à
La crise sanitaire a bouleversé la pratique des prix de transfert et posé la question de la bonne attribution des pertes au sein des groupes internationaux. L'OCDE publie son " Guide sur les conséquences de la pandémie de COVID-19 sur les prix de transfert ", très attendu des multinationales.
Les prix de transfert, i.e. les prix appliqués aux transactions transfrontalières intragroupe, sont cruciaux par leur volume (plus de la moitié des échanges mondiaux) mais surtout par leur impact sur la répartition de la matière imposable entre les juridictions. Leur détermination est encadrée par des principes construits autour de la notion de pleine concurrence qui pose comme référence l'économie des transactions conclues entre tiers1.
Une prise de position particulièrement attendue
Inédite, la crise sanitaire a profondément bouleversé la pratique des prix de transfert et pose la question de la bonne attribution des pertes au sein des groupes, plongeant ainsi les multinationales dans une grande incertitude. En effet, l'appréhension des impacts de la crise par les administrations fiscales est encore inconnue et on peut craindre qu'elles ne regardent avec la plus grande méfiance les pertes que la crise aura poussées jusqu'à elles.
Les plus optimistes espéraient de la part de l'OCDE des lignes directrices claires qui les prémunissent des prises de position opposées, voire opportunistes, des différentes administrations fiscales.
Le guide finalement publié par l'OCDE prend position, mais uniquement sur le plan des principes. Il réitère la pertinence des travaux précités et de la notion de pleine concurrence. Hélas, la place laissée à l'interprétation est encore grande et les questions pratiques ne trouvent pas de réponses, ou alors évasives. Par exemple, l'OCDE appelle à exercer un " jugement commercial raisonnable " dans la réalisation des analyses de comparabilité. Plus généralement, le guide renvoie au " comportement des parties indépendantes dans des circonstances comparables " dont l'appréciation est par nature subjective et, partant, sujette à divergences.
Un présent et un futur incertains
Le guide est rédigé à l'attention des contribuables mais aussi à celle des administrations qu'il exhorte à faire preuve de bienveillance et de pragmatisme. On peut craindre que cette recommandation ne soit pas suivie par tous et que subsiste une grande insécurité juridique pour les multinationales, avec tout ce que cela implique en termes de contrôles fiscaux, de doubles impositions ou encore de procédures inter-administrations.
Finalement, la priorité de l'OCDE est peut-être ailleurs. En effet, depuis 2019, l'objectif annoncé est de répondre aux défis soulevés par la numérisation de l'économie et de lutter contre l'érosion de la base taxable avec les Piliers 1 et 2. Là encore, les principes ont été posés mais des difficultés pratiques - cettefois largement politiques - subsistent. Ainsi, en matière de fiscalité internationale, le présent et le futur sont incertains.
En ce qui concerne le présent (et le futur proche), gageons que l'administration fiscale française appréciera toute la difficulté du contexte actuel et adoptera une approche ouverte, fondée sur le dialogue avec les entreprises, afin de soutenir des groupes déjà mis à mal par la crise sanitaire.
Pour en savoir plus
Vincent Desoubries, avocat associé de Arsene. Il participe à la création du département prix de pransfert et Business Structuring, ainsi que de la ligne de service au sein de Taxand. Il s'occupe également de la gestion des problématiques liées aux prix de transfert, notamment dans les domaines de la grande distribution, l'asset management ou l'agro-alimentaire.
Pierre Bonamy, avocat manager chez Arsene, assiste des clients français et étrangers dans le cadre de leurs opérations internationales et de la gestion de leurs flux intragroupe. Il intervient régulièrement dans les secteurs de la grande distribution, de l'immobilier et des nouvelles technologies. Il a développé des expertises en matière de restructurations internationales, de prix de transfert et de gestion des incorporels.