Améliorer la collaboration CFO/ CPO : une nécessité
Intimement liées, les fonctions finance et achats voient leur collaboration se renforcer davantage à l'aune de la conjoncture actuelle. Malgré de multiples terrains de collaborations possibles, le dialogue n'est pas toujours aisé à instaurer entre les deux acteurs. Focus.
Le lien traditionnel unissant CPO et CFO s'avère plus étroit que jamais. En cause: la recherche croissante de performance qui place les directions financières et achats en première ligne. Toutes deux planchent, entre autres choses, sur une rationalisation globale des processus financiers et opérationnels via une synchronisation des flux. Les besoins respectifs de ces deux fonctions se rapprochent, ne serait-ce qu'en termes de reporting et de fiabilisation de l'information. Mais cette exigence d'une collaboration renforcée, n'a pas pour conséquence évidente l'instauration d'un dialogue efficace entre ces deux fonctions. La raison? " Nombre de CFO n'ont pour l'heure qu'une vision très comptable du métier d'acheteur, se résumant trop souvent à une simple ligne de budget, analyse Romain Daumont, dg France du cabinet Lowendalmasaï, c'est très fréquent dans les entreprises où le directeur achats dépend hiérarchiquement du directeur financier."
La valorisation des achats
"Il n'existe pas de méthode de calcul des gains achats faisant l'unanimité entre acheteurs et financiers." Pierre Rougier, associé du cabinet Kepler
Pourtant, la valorisation de la performance achats est au coeur des préoccupations des acheteurs dont le métier s'est professionnalisé durant les quinze dernières années. Et si ces derniers ont précisément besoin de la direction administrative et financière, fonction-clé du top management et du codir, pour mieux faire valoir leur action en interne, cette dépendance n'est pas aussi unilatérale qu'elle n'y paraît. "Les financiers soucieux d'affirmer leur rôle de business partner auprès de leur direction générale -en démontrant qu'ils ne sont pas juste garants des chiffres- n'ont souvent pas de meilleure alternative que de s'appuyer sur une fonction aussi transversale que celle des achats, propre à être impliquée dans un panel de chantiers opérationnels, l'innovation, la supply chain, etc.", constate Jean-François Praud, senior manager chez KPMG. "Mais, pour franchir un tel cap, encore doivent-ils partager une même vision et des objectifs communs afin d'oeuvrer ensemble dans une optique de cocréation pour dynamiser l'activité de l'entreprise."
L'incontournable risque fournisseur
Les sujets de collaboration communs ne manquent pas! " Que la direction achats dépende de la Daf ou d'un autre département -direction générale, des opérations ou industrielle-, les deux fonctions sont amenées à travailler main dans la main sur des projets de court comme de long terme ", rappelle Romain Daumont. Au quotidien, s'imposent notamment l'identification et la prise en compte de tous les risques liés aux activités de l'organisation, " la gageure étant de les appréhender de manière globale afin de bien quantifier les impacts financiers pour l'entreprise " , poursuit ce dernier. Évaluation de solvabilité, scoring, mesure du taux de dépendance, gestion de fait potentielle, impossible de faire l'impasse sur la maîtrise du risque fournisseur, l'un des terrains de collaborations phares dans une conjoncture toujours plus instable. Et pour les entreprises très exportatrices, réduire les risques d'exposition monétaire -face à l'évolution des taux de change- constitue un autre facteur de mutualisation.
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Savings: l'impossible dialogue ?
Pour les entreprises industrielles - même peu tournées vers l'international-, reste un autre sujet de collaboration essentiel: le contrôle de la volatilité des prix des matières premières. " Voilà un chantier stratégique que financiers et acheteurs peuvent investir ensemble -via l'analyse fine et quotidienne des évolutions de tels coûts- pour mieux démontrer en interne leur rôle respectif de business partner ", souligne Romain Daumont. D'autant que l'un des points d'achoppement récurrents entre acheteurs et financiers porte précisément sur l'évaluation même des savings! Et pour cause: " Il n'existe pas de méthode de calcul des gains achats faisant l'unanimité entre acheteurs et financiers. Résultat: les seconds reprochent souvent aux premiers de ne pas retrouver le montant d'économies déclaré dans les comptes d'exploitation ", constate Pierre Rougier, associé du cabinet Kepler. Il est donc nécessaire qu'ils adoptent un langage commun pour établir des indicateurs de mesure consensuels. " Les directions financières doivent perfectionner leurs modèles d'analyse de la valeur et de mesure des savings afin que la contribution réelle des achats à la performance de l'entreprise soit évaluée à sa juste mesure ", estime Erwan Clorennec, directeur associé d'Axys Consultants.
L'avenir : collaborer sur les sujets extra financiers
Selon les experts, ces outils doivent alors s'inscrire dans une approche TCO, Total Cost of Ownership, pour ne pas juste prendre en compte les gains "visibles", mais aussi, par exemple, les évitements de coûts. Car il n'est pas rare que les sommes économisées par les achats, via un travail d'optimisation du panel et des contrats soient in fine réaffectées par une autre BU ou alors impactées par une évolution des prix/quantités. Ces savings sont donc aussi anéanties aux yeux du CFO. Un véritable axe de travail collaboratif s'impose pour dépasser un tel écueil! "L'implication croissante des achats dans la structuration des processus budgétaires de l'entreprise, chantier souvent chapeauté par la finance, semble attester d'un dialogue plus concerté entre les deux acteurs", constate Pierre Rougier. Ce qui laisse espérer à terme une collaboration plus élargie, notamment sur des sujets extra financiers: l'innovation, la RSE, etc.
Finance & achats: 30 ans de collaboration évolutive
Il y a trente ans, les achats étaient l'enfant "bâtard" de la finance. " C'est un lien historique qui unit les deux fonctions, rappelle Romain Daumont, dg France du cabinet Lowendalmasaï. Dans nombre d'entreprises, les achats sont le fruit d'un mariage entre directeurs de production et Daf soucieux de s'assurer de la rentabilité des fournisseurs. C'est pourquoi dans les sociétés où les achats dépendent de la finance, la messe est parfois déjà dite : le rôle des achats sera circonscrit au volet coût et peu à celui la création de valeur ". Une telle fonction s'est donc construite dans l'ombre des Daf.
La donne a évolué dans les années 2000 qui marquent la maturité grandissante de la fonction achats, de plus en plus rattachée à la direction générale. Une évolution qui lui confère un rôle plus stratégique et une certaine autonomie, en termes d'outils et de budget comme dans ses interactions avec la Daf dont elle attend toujours plus de reconnaissance. Au-delà des luttes d'influence entre les deux fonctions sur des sujets-clés de mutualisation -le procure-to-pay, le déploiement de SI finance et achats...-, où la Daf tient à conserver son leadership, l'enjeu actuel consiste à instaurer une logique croissante de coconstruction entre elles au service du business de l'entreprise.
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