Facture électronique : l'histoire sans fin
Publié par Eve Mennesson le | Mis à jour le
Si les réglementations actuelles préoccupent les Daf, celles à venir sont aussi clés, comme l'obligation de facturer électroniquement dont la date vient d'être reportée. Une réforme qui comporte son lot de risques, mais qui offre aussi des opportunités pour l'entreprise.
Fiscalité, IFRS, Sapin 2, piste d'audit fiable... Le risque de conformité réglementaire cerne les directions financières. Qui s'en sortent plutôt bien, d'après Jean-Baptiste Auzou, directeur de la business unit finance de Cegid : « Les entreprises ont bien balisé les risques liés aux réglementations actuelles. Les solutions sont mises en place, les conseils aussi, les avocats sont bien formés... Les risques, bien qu'importants, sont appréhendés par l'ensemble de l'écosystème et sont bien maîtrisés » juge-t-il. La préoccupation des Daf en matière de risques réglementaires se situe donc ailleurs, du côté des réglementations à venir. Et avant tout, toujours selon Jean-Baptiste Auzou, du côté de la réforme de la facture électronique. « Les entreprises ne sont pas encore équipées, que ce soit en ce qui concerne la dématérialisation des factures, le traitement des factures ou encore les obligations de déclaration liées aux factures » constate-t-il.
Vision en temps réel sur 100 % des factures
Instaurée par l'ordonnance du 15 septembre 2021, la réforme de la facturation électronique oblige l'ensemble des entreprises françaises assujetties à la TVA à éditer des factures électroniques pour adresser leurs demandes de paiement. « L'objectif est de mettre en place un système qui va contraindre les entreprises françaises à envoyer les factures dans des formats structurés informatiques via des plateformes » décrit Olivier Dias, directeur de mission en fiscalité digitale au sein du cabinet Fidal. Ces plateformes pourront être publiques ou partenaires (PDP). Par ailleurs, pour les opérations commerciales qui ne sont pas concernées par la facturation électronique, les entreprises devront transmettre des informations à l'administration fiscale via un « e-reporting ». Cette obligation est présentée par le gouvernement comme un moyen de renforcer la compétitivité des entreprises et de réduire les délais de paiement. Mais elle servira aussi et surtout à mieux collecter la TVA. Cette nouvelle réglementation qui a été reportée au 1er septembre 2026 pour l'obligation de réception pour toutes les entreprises (TPE, PME, ETI et grandes entreprises), tandis que l'obligation d'émission se limitera aux grandes entreprises et ETI. Ce n'est qu'au 1er septembre 2027, que les TPE, PME et micro-entreprises auront enfin l'obligation d'émettre les factures de manière électronique. Un report sans doute bienvenu, car c'est un énorme chantier.
Eviter les pièges
Reste que le risque principal lié à cette réforme réside dans la transmission d'informations erronées à l'administration fiscale. « À l'image de ce qui s'est passé pour la DSN (déclaration sociale nominative), il existera une certaine marge de tolérance dans les premiers temps. Mais les sanctions arriveront assez rapidement si les informations, notamment en matière de déclarations liées à la TVA, ne sont pas conformes » prévient Jean-Baptiste Auzou. Il s'agit donc de vérifier les données de son système d'information. Cela est d'autant plus important que la facturation électronique donnera une vision en temps réel sur 100 % des factures envoyées et reçues en France non seulement à l'administration fiscale, mais aussi aux autres administrations. Pour Élodie Moroy, avocate associée au sein du cabinet Fidal en droit social et droit de la paie, les données des factures électroniques utilisées par l'administration fiscale seront tôt ou tard également utilisées par l'Urssaf. Elle conseille donc de se saisir du sujet de la facturation électronique pour se battre à armes égales avec l'administration, qui a de son côté les bons outils pour traiter ces factures et en tirer les informations qui l'intéressent. Il s'agit notamment d'anticiper les questions de l'administration. « L'administration sera en mesure, à partir des données dont elle disposera, d'identifier des erreurs, de poser des questions précises et de beaucoup mieux cibler ses contrôles » met en avant Olivier Dias.
Pour Steeve Soares de Pinho, expert-comptable et senior manager international accounting and tax compliance chez BDO, le risque de mal se préparer à cette réforme est tout bonnement de mettre en péril son activité. « Si les entreprises ne sont pas en mesure de respecter le nouveau circuit de cheminement des factures, via les plateformes, les clients ne recevront plus leurs factures et ne les paieront pas, ce qui fait courir un véritable risque de trésorerie. » Du côté des fournisseurs, le risque est de ne pas recevoir les factures, et donc de ne pas les payer et de ne plus être approvisionnés. Et quelle image renverrait à ses clients et fournisseurs une entreprise qui ne serait plus en mesure de recevoir des factures ni de payer ses prestataires à temps ?
Steeve Soares de Pinho recommande donc de ne pas courir le risque de payer des amendes, qui peuvent paraître peu élevées pour certaines entreprises (15 euros par facture avec un plafond de 15 000 euros par année civile et 250 euros par transmission de données de transaction sans pouvoir excéder 15 000 euros par année civile). « La facturation électronique nécessite de se reposer un certain nombre de questions sur son organisation, ses processus... Par exemple, le processus de validation va devoir s'adapter au fait que les factures vont désormais transiter par des plateformes » reconnaît Caroline Allouët, partner chez BM&A. Steeve Soares de Pinho conseille de faire une image de l'existant : « L'objectif est de cartographier afin de déterminer les points forts et les points faibles et de définir les actions à réaliser. » Ces actions à mettre en oeuvre doivent évidemment suivre ce que la réglementation modifie : il faut donc bien l'étudier et bien la comprendre afin de mener son analyse sous l'aune des nouvelles obligations. « Il s'agit de déterminer les flux concernés par la réforme, mais aussi, dans le cadre du reporting obligatoire, d'identifier les données à envoyer à l'administration » précise Olivier Dias. Il invite à se baser sur les documents publiés par l'administration, notamment les cas particuliers comme les factures d'acompte ou encore les notes de frais qui nécessitent un traitement particulier.
Ces conseils mettent en lumière une autre problématique : la collaboration interservices. « Si le sujet est entre les mains de la direction financière, tous les services doivent s'y intéresser, car ils ont tous des données qui transitent dans le fichier d'écriture comptable ou les factures électroniques » relève Élodie Moroy. Le Daf devra donc porter sa casquette de communicant et de chef d'orchestre afin de s'assurer que tout le monde participe et que les données sont toutes recueillies.
Ne pas se précipiter sur un outil
Les outils digitaux seront évidemment d'une grande aide pour passer à la facturation électronique. Caroline Allouët juge d'ailleurs que les outils digitaux vont rendre aisée la mise en place de cette réforme. « La difficulté résidera dans les reportings et la communication des flux de TVA qui échappent à la facturation électronique » estime-t-elle. Reste qu'il faut s'assurer que les éditeurs sont effectivement au fait de la réforme. Jean-Baptiste Auzou invite à questionner rapidement son éditeur sur sa capacité à être opérationnel lorsque la réglementation sera applicable, mais aussi sur le niveau de service qu'il sera en mesure de fournir.
De même, lorsque les plateformes partenaires seront dévoilées, il s'agira de faire le bon choix. « En fonction des services additionnels proposés, les entreprises pourront tirer de réels bénéfices de cette nouvelle réglementation » estime Steeve Soares de Pinho, qui recommande de s'intéresser également au coût, mais aussi à la façon dont la plateforme va pouvoir s'inscrire dans le système d'information de l'entreprise et surtout à la fiabilité, qui est le réel enjeu, selon lui. Mais attention à ne pas tout miser sur les outils ! « L'erreur serait de se précipiter vers une solution technique sans avoir fait d'audit préalable. En effet, les prestataires techniques sont compétents dans leur domaine, mais le paramétrage de la TVA n'est pas leur métier » insiste Olivier Dias.
Il ne faut donc pas se voiler la face : répondre à cette nouvelle réglementation et ses nombreux risques associés ne se fera pas en un coup d'outil magique. Cela va demander du temps et de l'investissement. Pour étudier la réforme dans ses moindres détails, pour analyser l'existant au regard de la réglementation, pour collaborer avec l'ensemble des services détenant des données... Mais aussi pour former les différentes équipes. Devant l'ampleur de la tâche, bien des entreprises peuvent se décourager. Si l'on sait d'ores et déjà qu'il sera difficile de répondre à cette obligation, ne pas hésiter à en faire part à l'administration. « De manière générale, il faut se montrer transparent avec les administrations, quelles que soient les réglementations. Il est préférable de communiquer avec elles, de dire ce que l'on a commencé à faire, quelles sont les étapes suivantes... Cela leur fait gagner du temps et permet d'instaurer la confiance. Car la défiance est toujours très difficile à faire taire ensuite » conseille Caroline Allouët.
Caroline Boullier, secrétaire générale de Capsum Group, entreprise de cosmétiques de taille intermédiaire, a quant à elle trouvé la solution : elle se fait aider par son expert-comptable, son commissaire aux comptes et différents conseils qui non seulement l'alertent sur les réglementations à mettre en place, mais lui donnent aussi des pistes en fonction de ce qu'ils voient chez leurs autres clients, plus gros. « Nous copions ce qui existe plutôt que de réinventer la roue chaque fois. En recherchant la simplicité avant tout, notamment lorsqu'il s'agit de contraintes. »
Exploiter les données
La solution est peut-être aussi d'aborder cette réforme comme une opportunité et non, justement, comme une contrainte. « Les process peuvent paraître lourds de prime abord, surtout pour les entreprises qui partent de loin, mais il existe de réelles opportunités à se préparer à cette réglementation dès maintenant » assure Steeve Soares de Pinho, citant notamment le coût de traitement. « Une facture papier aurait un coût de traitement de 10/15 euros, contre 5 euros seulement pour la facture électronique » complète-t-il. « Certaines entreprises voient la facturation électronique comme l'opportunité de moderniser leur système d'information et d'améliorer leur parcours client » ajoute Jean-Baptiste Auzou. Olivier Dias pense, quant à lui, que la facturation électronique constitue un sujet de contrôle interne intéressant. « L'entreprise doit se saisir de ses propres données et en avoir le contrôle. Par rapport au FEC, par exemple, si la conformité n'est plus un sujet pour les entreprises, l'analyse des données comptables est essentielle. Ce serait dommage de se contenter d'envoyer ses factures à l'administration sans essayer d'exploiter les données qu'elles contiennent » rapporte-t-il.
Prendre le sujet de la facturation électronique en se disant qu'il peut apporter à l'entreprise permet de mobiliser ses équipes autour d'un projet d'entreprise. Et de d'ores et déjà se mettre dans une dynamique positive pour être en mesure d'accueillir les prochaines réglementations. La facturation électronique européenne est dans les tuyaux et s'annonce légèrement différente de la facturation électronique française. « L'évolution de la réglementation est permanente. Il vaut mieux prendre les choses du bon côté et chercher à s'améliorer plutôt que de subir sans cesse les réformes et opérer les évolutions dans l'urgence et/ou en étant en retard » conclut Élodie Moroy.
BON À SAVOIR
Répondre en même temps à la piste d'audit fiable
La piste d'audit fiable est une obligation qui existe depuis 2013 et qui consiste à produire une documentation écrite qui décrit les flux de factures émises et reçues. Une obligation qui ne s'éteint pas avec la réforme de la facture électronique. « Ceux qui l'ont déjà mise en place n'auront qu'à l'adapter. Pour les autres, la réforme leur donne l'opportunité de répondre aux deux obligations. En effet, quand on fait le travail d'analyse des flux pour mettre en place la facturation électronique, il est assez facile, en parallèle, de rédiger la documentation exigée dans le cadre de la piste d'audit fiable », avance Olivier Dias. De quoi faire d'une pierre deux coups !