Les performances des coopératives françaises piliers de l'Économie sociale et solidaire (ESS)
Bien que leur statut soit encore relativement méconnu, les coopératives font jeu égal avec leurs concurrents tant du point de vue de la performance, que du management ou de l'innovation technologique. Mieux encore, certaines coopératives font parfois la course en tête.
Lors du lancement officiel du mois de l'Économie sociale et solidaire (ESS), le 25 octobre 2017, le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, s'exclama : « Je rêve que les domaines de l'exception deviennent demain la norme », et Il ajouta : « L'ESS est un foyer d'inspiration qui bouleverse les codes de l'économie traditionnelle ».
Exception ? Certes, sur le plan juridique, l'économie sociale et solidaire (ESS) désigne un ensemble d'associations, coopératives, mutuelles, fondations et entreprises classiques labellisées ESS, au sens de la loi du 31 juillet 2014, qui ont pour particularité de fonctionner selon des principes de solidarité et d'utilité sociale : une gouvernance démocratique, une finalité d'intérêt général ou collectif, des bénéfices équitablement répartis ou réinvestis.
Pour autant, sur le plan économique, avec près de 165 000 organisations, l'ESS représente une force très importante en France : 10% du PIB national et plus de 2,3 millions de salariés – soit plus d'un salarié sur dix.
Et pour 13% d'entre elles, ces structures sont des coopératives, très présentes dans les activités financières et d'assurances, le commerce, les transports, l'hébergement et la restauration, et qui jouent un rôle moteur dans le paysage français : pas moins de 25 800 coopératives déployées sur le territoire, employant plus de 300 000 salariés (2).
Ce phénomène n'est d'ailleurs pas exclusivement français puisque dans le monde, selon l’étude conduite par l’Institut européen de recherche sur les entreprises coopératives et sociales (Euricse) pour l’Alliance coopérative internationale, les trois cents plus grandes coopératives ont cumulé en 2016 un chiffre d'affaires de plus de 2 164 milliards de dollars, ce qui équivaut au PIB du Brésil (3). Parmi ces grands groupes, la banque française Crédit Agricole est d’ailleurs la première coopérative à l'échelle mondiale.
Coop FR, l’organisation représentative du mouvement coopératif français, dans l'édition 2016 de son « panorama sectoriel des entreprises coopératives » (sur la base des chiffres de 2014) estime que les cent plus grandes coopératives de France totalisent un chiffre d'affaire de plus de 240 milliards d'euros. Parmi elles, cinq groupes coopératifs sont dans le top 15 des entreprises françaises de l’agro-alimentaire : Tereos, Terrena, Sodiaal, Vivescia, Agrial. Dans la distribution, deux groupes font partie du top 6 : Leclerc et Système U. Enfin, parmi les banques françaises, trois groupes coopératifs font partie du Top 5 : Crédit Agricole, BPCE et Crédit Mutuel.
Dans le top 100, les coopératives détiennent plus de 320 marques et enseignes que ce soit dans l’alimentation, l’hôtellerie, l’optique, les articles de sport, le bricolage... Pour les coopératives de commerçants, par exemple, certaines occupent des places de leaders et affichent une excellente santé en France comme à l'international : Intersport, premier distributeur mondial d’articles de sports ; Biocoop, premier réseau de magasins bio en France ; Optic 2000, première coopérative française de distribution non-alimentaire en France et chef de file des coopératives de santé ; Selectour, premier réseau d’agences de voyage indépendantes en France...
Des atouts opérationnels
D'où vient cette efficience économique ? Pour l'instance représentative Coop FR, le modèle coopératif répond aux problématiques économiques et sociales actuelles : « La coopérative rend possible et concret le fait de participer à la gestion d’un bien ou d’un besoin commun. Au sein des coopératives d’usagers et des banques coopératives, et quel que soit leurs profils, des non-professionnels sont invités à prendre des décisions sur la vie de l’entreprise : le locataire, le consommateur, mais aussi l’épargnant sont ainsi directement impliqués dans l’organisation du service qui les concerne. La gouvernance des coopératives, dont les principes puisent leurs racines au 19e siècle, trouve aujourd’hui un écho particulier dans le mouvement de l’économie collaborative. » (4) En effet, dans une coopérative, le pouvoir est éclaté : quelle que soit le nombre de parts sociales, chaque adhérent détient une voix. Ce système démocratique aide les membres à s'impliquer dans la stratégie de leur entreprise.
Le modèle coopératif présente l'avantage, la société n'étant pas cotée en Bourse, de ne faire subir pression quant aux dividendes à verser aux actionnaires. De plus, une coopérative constitue des réserves « impartageables » qui renforcent ses fonds propres et contribuent à la pérennité de l'entreprise. Pour l'essentiel, les coopératives offrent à leurs membres un pouvoir réel, dans un mode de management plus horizontal que vertical, les associés des coopératives ayant de fait bien plus de pouvoir que les franchisés.
De telle sorte que sur le plan social, les coopératives incarnent un rapport original au travail : le collectif, la stratégie partagée, la mutualisation des coûts et des risques sont autant d’avantages qui induisent un mieux-être au travail et une vision moins incertaine de l’avenir, notamment pour les entrepreneurs.
Trois illustrations pour mieux comprendre la force des coopératives françaises.
Sodiaal, première coopérative laitière de France, fusionne en 2011 avec Entremont, afin d'atteindre une taille critique. Un défi de grande ampleur puisque 4 400 producteurs ont rejoint Sodiaal. Chaque administrateur a pu rencontrer les futurs adhérents et leur présenter les valeurs coopératives à mettre en œuvre. Avec un chiffre d’affaires de 5,4 milliards d’euros en 2014, le pari semble réussi.
Le modèle coopératif peut aussi servir une enseigne en difficulté. C’est le cas de Sport 2000. En 2012, un plan de désendettement est mis en place pour améliorer la rentabilité moyenne de chaque magasin. L’accent a été mis sur la conduite du changement par les adhérents eux-mêmes. L'idée étant de partager les bonnes pratiques du réseau et de relancer l'implication du personnel. L'effet d’entraînement a fonctionné et, en 4 ans, Sport 2000 a réussi à se désendetter de près de vingt millions d’euros.
Le groupe Optic 2000, déjà cité, est un autre exemple de réussite d’une coopérative. Leader des réseaux d'opticiens en France, la coopérative bien connue s’est également imposée comme le fer de lance d’une politique d’accès aux soins volontaristes, en créant des services à domicile à destination des personnes âgées et isolés. Optic 2000 est également connue pour avoir développé un important maillage territorial, destiné à pallier à son niveau l’insuffisance de professionnels de santé dans certaines régions de France. La coopérative est également à l’origine d’une démarche de certification qualité devenue la norme dans le secteur optique. En décembre 2015, Optic 2000 se voit récompensé pour ses engagements RSE à l'occasion de l'opération Solutions COP 21 à Paris, et en décembre 2017, le R-AWARD « Point de Vente Responsable » a été´ attribue´ a` Optic 2000 pour « ses initiatives RSE » par le Club Génération Responsable®. Preuve que performance et responsabilité peuvent faire bon ménage.
Ces succès montrent aux artisans et petites entreprises qui hésitent sur leur business model, comment des professionnels, y compris indépendants, peuvent se regrouper au sein de coopératives pour organiser leur activité de manière plus efficace, avoir la main sur l’approvisionnement à un coût maîtrisé, ou accéder à des services complémentaires partagés.
De même, des commerçants de proximité peuvent accéder à des moyens puissants auxquels, seules, ils ne pourraient pas prétendre. Ainsi organisées, ils sont en mesure de répondre collectivement à la concurrence très puissante des grands groupes intégrés.
A tout le moins, les avantages du système coopératif méritent d'être mieux connus.
(1) http://www.novethic.fr/actualite/social/economie-sociale-et-solidaire/isr-rse/infographie-que-pese-economie-sociale-et-solidaire-france-144969.html
(2) Selon chiffres du gouvernement et Insee, 2010
(4) http://www.entreprises.coop/images/documents/outilscom/panorama2016/coopfr-panorama-2016-web.pdf
(5) https://www.carnetsdeleconomie.fr/Optic-2000-aux-racines-de-la-citoyennete-economique_a915.html