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Vincent Gruau, DAF devenu président

Vincent Gruau, alors DAF de Majencia, spécialiste français du mobilier et de l'aménagement de bureaux, a racheté son entreprise avec un fonds et en est donc devenu le dirigeant. Retour sur un redressement spectaculaire.

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Vous avez rejoint Samas en janvier 2005, en plein redressement judiciaire, alors que votre avenir semblait tout tracé au sein du groupe Thalès... Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans une telle aventure?

Vincent Gruau: Effectivement, lorsque j'ai pris cette décision, mon entourage s'est montré sceptique! Beaucoup se sont demandés pourquoi je quittais l'un des fleurons de l'industrie française pour rejoindre un groupe inconnu, dans un secteur peu technologique et, de plus, en dépôt de bilan. C'est la rencontre avec le p-dg hollandais du groupe qui m'a convaincu. Hans van der Ven m'a contacté alors que je me trouvais au Canada, en décembre 2004. Il s'était séparé du management et recherchait un DAF pouvant couvrir un large spectre, de la finance aux achats en passant par les RH. Son projet, sa vision et son dynamisme m'ont séduit, ainsi que le défi de redonner vie à l'entreprise.

Comment les premiers mois se sont-ils passés?

Je savais que ma mission allait être ''sportive', et ce fut le cas. L'entreprise connaissait une véritable hémorragie financière: à chaque minute, elle dépensait davantage d'argent qu'elle n'en gagnait. Le strict contrôle des dépenses a donc été ma priorité: je me suis «assis sur le parapheur», c'est-à-dire que j'avalisais moi-même toutes les dépenses. Durant un an, le cash a été surveillé comme le lait sur le feu: matin et soir, je faisais le point avec la responsable de la trésorerie. La réduction des coûts a été traitée à la racine ; nous avons décidé d'un plan de réduction des dépenses négocié avec les fournisseurs. Rétrospectivement, je compare cette première phase à une réanimation.

BIO EXPRESS

1993: Vincent Gruau, jeune diplômé de l'Ecole supérieure de commerce de Rouen, débute sa carrière chez Thomson-CSF (devenu Thalès).


2002: il crée la filiale grecque du groupe Thalès.


Janvier 2005: il rejoint Samas France, alors en redressement judiciaire, en tant que directeur administratif et financier.


Septembre 2006: il devient p-dg de Samas France.


Septembre 2008: il procède à un Management Buy Out de l'entreprise.


Juin 2011: il est nommé chevalier de l'Ordre national du mérite.

REPERES

Activité: Fabrication de mobilier de bureau et aménagement d'espacestertiaires
Forme juridique: SA à conseil d'administration
Effectif: 773 collaborateurs
Chiffre d'affaires 2010: 103,6 MEuros
Résultat net 2010: 2,6 MEuros
3 sites industriels en France: Noyon (Oise), Guise (Aisne), Bressuire (Deux-Sèvres)
13 agences commerciales
11 plateformes logistiques régionales
150 000 postes de travail installés par an
5 000 commandes par mois

Vous êtes devenu p-dg de Samas France en 2006. Comment vos précédentes expériences vous ont-elles aidé? Le fait d'avoir été DAF a-t-il été déterminant?

Connaître les leviers économiques est un atout nécessaire, mais pas suffisant. La passerelle entre DAF et dg impose d'avoir une vision de l'entreprise au-delà des chiffres. Il est parfois reproché aux DAF de ne pas avoir une fibre suffisamment opérationnelle, industrielle, commerciale, organisationnelle: bref, une expérience du ''terrain». En ce qui me concerne, j'avais déjà eu l'occasion de développer cette palette de compétences en tant que directeur général de la filiale de Thalès, en Grèce. Mon expérience préalable en fusions-acquisitions m'a aussi appris à faire des diagnostics très rapides à 360°, et le management est fondamental dans le succès d'une entreprise.

Dans quelles circonstances avez-vous racheté l'entreprise en MBO en 2008?

En 2008, Samas France était revenue à l'équilibre et réalisait des résultats conformes au plan stratégique. Mais, notre actionnaire, le groupe Samas, qui avait lourdement investi pour restructurer ses filiales européennes, connaissait à son tour des difficultés et ne pouvait financer les 5 millions d'euros dont Samas France avait besoin pour se développer. Le groupe m'a donc chargé de trouver un repreneur. En pleine crise des subprimes, cette tâche s'est révélée ardue... J'ai rencontré 17 fonds d'investissement; pas un n'était prêt à investir dans une entreprise en retournement.

En juillet 2008, nous nous sommes retrouvés dans une impasse. Il fallait absolument trouver un financement, et le seul actif que nous pouvions céder était nos murs. J'ai alors rencontré le maire de Noyon, où se trouve une de nos usines. La communauté de communes est devenue propriétaire des murs, qu'elle nous loue en crédit-bail jusqu'en 2017. Et je suis devenu repreneur de l'entreprise avec mon équipe de direction. En sortant du giron de Samas, nous avons rebondi sur nos valeurs et construit une nouvelle dynamique, basée sur quatre valeurs phares qui placent l'homme au premier plan.

Le facteur humain a-t-il été décisif dans le redressement de Samas?

Il en est même la clé, le meilleur stratège ne peut rien s'il n'est pas proche de ses équipes. Il faut que tout le monde accepte de le suivre. Or, dans les premiers temps, je lisais dans les yeux des collaborateurs qu'ils n'y croyaient plus; en particulier chez les commerciaux qui se comparaient à notre principal concurrent. C'est pourquoi je me suis attaché à présenter les plans stratégiques et à fédérer les équipes. Il fallait redonner une âme à cette entreprise endolorie par les épreuves traversées. La définition des nouvelles valeurs de l'entreprise s'est traduite dans le changement de nom, en 2009. Majencia symbolise à la fois l'harmonie, le bien-être, l'innovation, la modernité et l'humanité.

Le développement durable est-il compatible avec la performance économique?

Depuis 2008, la stratégie de Majencia est totalement axée sur le développement durable. C'est un positionnement stratégique. Chaque projet est envisagé sous trois angles: économique, social et environnemental. Notre expérience a montré que lorsque ces trois voyants sont au vert, le projet est viable et pertinent. En témoignent la relocalisation de la fabrication en France, l'écoconception de nos produits, notre politique de formation et de rémunération, la mise en place de notre bilan carbone. Début 2011, Majencia a été l'une des premières entreprises auditées ISO 26000 (lire l'encadré ci-dessous), obtenant le niveau «maturité» en termes de responsabilité sociétale des entreprises. Ce choix a un sens pour nous, mais aussi pour nos clients, à une époque où les entreprises prennent conscience de l'importance du bien-être au travail. La qualité de vie au bureau est précisément notre savoir-faire et notre valeur ajoutée.

Quelles sont les perspectives de Majencia pour les prochaines années?

Notre objectif est de consolider notre position de leader en France, de faire progresser notre part de marché et d'ouvrir de nouvelles agences régionales. En parallèle, nous restons vigilants en matière de compétitivité et investissons dans notre outil industriel, pour compenser l'effet de l'augmentation des coûts des matières premières et rester mieux-disant face aux fabricants étrangers. L'entrée de BNP Paribas Développement, à hauteur de 12 % dans notre capital, en juin dernier, est un événement important qui permet à Majencia d'accélérer son plan de croissance en mettant en oeuvre un programme d'investissement ambitieux. Nous nous présentons comme aménageurs d'espaces d'entreprises, avec pour ambition d'accompagner nos clients dans l'amélioration du lieu de travail propice au bien-être des collaborateurs.

A NOTER

La norme ISO 26000
Elle fournit aux organisations les lignes directrices de la responsabilité sociétale. Respectant les textes fondateurs internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l'homme, les conventions de l'Organisation internationale du travail, elle invite les organisations à articuler leur démarche autour de sept questions, parmi lesquelles la gouvernance de l'organisation, les relations et conditions de travail, l'environnement, les bonnes pratiques des affaires.

FLORENCE KLEIN

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