TELEPHONIE SUR INTERNET: COMMENT BIEN S'EQUIPER?
Epiphénomène au début des années 2000, la Telephony over Internet Protocol (ToIP) est en passe de devenir incontournable au sein des entreprises. La migration vers ce mode d'équipement réclame un savoir-faire, et les avantages qu'il procure doivent être parfaitement analysés.
Après avoir suscité l'intérêt des grands comptes, la ToIP - téléphonie via Internet - intéresse, désormais, un nombre croissant de PME, voire de TPE. Les spécialistes estiment qu'à l'heure actuelle près de 80 % des lignes fonctionnent sur des ports IP et des accès data, les 20 % restant étant encore en ligne classique, ou TDM (Time Division Multiplexing). D'ici à 2015, la plupart des entreprises auront migré vers l'IP, et ce pour une raison fort simple: les fournisseurs équipementiers cessent, peu à peu, d'assurer la maintenance du matériel à base de PABX (Private Automatic Branch eXchange), commutateur utilisé dans toutes les entreprises équipées d'une ligne traditionnelle.
Connaître les forces en présence est un préalable indispensable avant de se lancer. Il existe, grosso modo, trois grandes familles d'intervenants. Il y a, d'abord, les opérateurs - Orange Business Services (OBS), SFR Business Team, Completel... -, qui commercialisent des offres IP Centrex. «Ce sont des solutions de téléphonie hébergées chez l'opérateur, qui, lui, ne délivre que des terminaux téléphoniques, avec possibilité de quelques services associés (messagerie, par exemple)», explique Benoît Guinebretière, auditeur senior chez Neoditel. Petit bémol: dans cette configuration, l'entreprise est pieds et poings liés à son opérateur.
BENOIT GUINEBRETIERE, AUDITEUR SENIOR CHEZ NEODITEL
«Les offres IP Centrex sont hébergées chez l'opérateur, qui délivre des terminaux téléphoniques et parfois des services associés, comme la messagerie. »
Expérience
L'Aéroport Nice Côte d'Azur en mode full IP
Depuis le printemps 2009, l'Aéroport Nice Côte d'Azur (NCA) a délaissé l'analogique pour le mode full IP «Bien sûr, nous aurions pu continuer sur une infrastructure téléphonique classique, mais les PABX sont sur le point de disparaître. Autant investir sur un équipement d'avenir», explique Daniel Fabron, le chef du service réseau équipement de l'information. Datant de 1993, les ACD analogiques (Automatic Call Distributor) de l'Aéroport Nice Côte d'Azur devenaient obsolètes. Il n'était plus possible d'obtenir de nouvelles pièces détachées. La migration devenait inéluctable, mais, pour des raisons techniques, l'aéroport ne pouvait se séparer totalement de l'analogique. Il devait maintenir cette technologie pour conserver fax, terminaux de paiement électronique (TPE) et postes ne nécessitant pas une prise réseau - pour le personnel travaillant sur le tarmac, notamment.
Après rédaction du cahier des charges stipulant cette «contrainte» et appel d'offres, trois équipementiers se sont distingués: Cisco, Alcatel et Aastra. Jugé plus compétitif que ses concurrents, ce dernier remporte finalement le contrat. L'Aéroport NCA investit dans la solution Aastra 5000, qui équipe 450 postes IP et intègre des passerelles capables d'alimenter 1750 postes en analogique. Orange intervient en tant qu'opérateur téléphonique prioritaire, secondé par une offre Neuf-SFR pour assurer un certain niveau de sécurité.
Même si l'intégration de la solution full IP s'est bien déroulée, quelques soucis sont apparus sur le fonctionnement des fax et des TPE, imputables aux passerelles entre le tout numérique et l'analogique. Pourtant, avec le recul, Daniel Fabron se dit satisfait de son choix. « La ToIP nous a apporté de précieuses fonctionnalités, notamment la possibilité de gérer les files d'attente des appels et toutes les facilités d'interfaçage des postes avec le réseau. »
UNE LARGE GAMME DE PRODUITS
Autre grande famille, celle des équipementiers-éditeurs, qui proposent une large gamme de produits (du PABX aux terminaux téléphoniques), tant hardware que software. Deux acteurs se détachent en France: Alcatel-Lucent, qui détient près de 50 % du marché français, et Aastra, qui en possède 30 %. Les 20 % restant sont répartis entre Avaya, leader mondial, Cisco, Siemens, Mitel, etc. A noter, au sein de cette famille, la présence d'éditeurs open source (tels qu'Asterisk), un mode de fonctionnement qui dispense notamment des coûts de licence.
Enfin, dernière grande famille, celle des intégrateurs (OBS, Axians, NextiraOne, etc.), ou installateurs privés en téléphonie. Ils assurent à la fois une prestation de conseil/audit et la mise en place des équipements télécoms au sein de l'entreprise. La plupart du temps, ces trois grandes familles sont complémentaires lors de l'installation d'une ToIP.
Les avantages de ce mode de téléphonie sont nombreux. Il offre, notamment, une kyrielle de nouvelles fonctions (nativement présentes sur l'IP), comme les serveurs vocaux interactifs, la gestion de file d'attente des appels, les outils collaboratifs, comme la conférence téléphonique ou la visioconférence, ou encore la fonction «plug & play», donnant la possibilité à l'utilisateur de se connecter à partir de n'importe quel ordinateur, où qu'il soit. « La souplesse apportée par cette notion de plug & play est très importante, notamment pour les entreprises multisites ou amenées à déménager régulièrement», précise Pascal Brisset (Ilexia).
L'autre grand atout de la ToIP réside, bien sûr, dans son prix. Les économies sont réelles puisqu'elle mutualise la connexion Internet et la téléphonie. «En ToIP, la voix et les données transitent par le même tuyau, alors qu'avec une ligne traditionnelle, il faut payer deux factures: l'une pour Internet, l'autre pour la téléphonie», schématise Nicolas Aubé, président de Celeste, opérateur téléphonique. Dans une société multisite, par exemple, le gain sur les communications effectuées en interne sera sensible, puisqu'elles sont incluses dans le forfait voix et données.
Quant aux coûts matériels, importants il y a quelques années, ils ont considérablement baissé, les postes IP étant désormais moins chers que les postes traditionnels.
L'amortissement d'une ToIP est généralement plus court (un à deux ans) que celui d'un PABX (cinq ans en moyenne). Une fois le passage à la TOIP amorti, les gains financiers sont estimés à 10 %, voire à 20 %. Toutefois, il faut prendre en compte les coûts de déploiement: comptez entre 10000 et 20000 euros pour la réalisation d'une étude préalable, auxquels il faudra ajouter les coûts d'intégration et les frais de formation des utilisateurs.
3 questions à... DAMIEN BRETILLOT, directeur associé de Consotel.
«La ToIP procure une simplification de la maintenance du S.I.»
Pourquoi les entreprises prennent-elles la décision de passer à la ToIP?
Elles le font bien souvent par contrainte. De nombreux PABX ont une dizaine d'années d'existence puisqu'ils ont été remplacés à la suite du passage à l'an 2000. Ils arrivent donc en fin de vie. De plus, le passage à la ToIP permet d'obtenir certains avantages que ne procure pas la téléphonie classique. La réduction des coûts (accès opérateurs, communications) en fait partie, surtout si l'entreprise possède plusieurs sites.
La rationalisation des solutions et des fournisseurs en est une autre, puisqu'il n'y a plus qu'un seul contrat de maintenance.
Enfin, la faculté de se doter d'outils au service de son entreprise et de son métier représente un autre avantage: gestion de l'accueil téléphonique, communication unifiée, outils collaboratifs, outils de centres d'appels (file d'attente), mobilité (free sitting: on se «logue» de n'importe quel poste ou bureau)...
Quels sont les coûts induits par cette migration?
Les coûts de déploiement et ceux liés à la conduite du changement (formation des utilisateurs) ne sont pas négligeables. Et tout un processus de réorganisation de son entreprise est à repenser pour tirer pleinement profit de la ToIP.
Quelles sont les principales règles à respecter avant de passer à la ToIP?
Un inventaire précis de l'existant détermine si le LAN (réseau local) est de qualité suffisante pour faire transiter des données à l'intérieur de son réseau local. Il est donc nécessaire d'auditer le réseau et de s'assurer que la solution du prestataire ToIP fonctionne bien Il faut comparer les contrats d'entretien existants avec les nouveaux. Cela implique de bien comprendre la nature des prestations et le coût représenté, sans oublier de faire préciser si la société peut ajouter une nouvelle ligne téléphonique sans intervention du prestataire, et changer sa messagerie ou son serveur vocal sans intervention extérieure.
NEGOCIER DE NOUVEAUX TARIFS
Dans les faits, la bascule vers la ToIP se heurte, parfois, à des freins financiers: c'est le cas, par exemple, si le PABX n'est pas encore amorti. C'est pourquoi certaines sociétés optent pour une migration dite «hybride». Les communications passent en mode IP via une passerelle IP entre le PABX et le réseau local. L'entreprise peut donc négocier de nouveaux tarifs avec son opérateur, notamment en bénéficiant de forfaits. Cette bascule en douceur recueille les faveurs de bon nombre d'entreprises puisqu'elles peuvent conserver leurs anciens équipements (terminaux téléphoniques, fax) et numéros de téléphone.
D'autres sociétés choisiront un passage en mode "full IP". Dans ce cas, le PABX disparaît pour laisser place à un IPBX, qui permet une connectivité IP Ethernet Native. Les réseaux téléphoniques et données ne font plus qu'un. Les équipements doivent alors évoluer: le terminal téléphonique doit être renouvelé pour pouvoir fonctionner en IP Enfin, dernière configuration possible, l'entreprise bascule sur une architecture déportée (dédiée ou mutualisée chez l'opérateur) de type IP Centrex, en la confiant à l'un des multiples opérateurs positionnés sur ce créneau. Dans cette disposition, la gestion des services téléphoniques ne se fait pas à l'aide d'un commutateur installé dans les locaux de l'entreprise: elle est transférée chez un opérateur.
Sur le plan technique, la vérification de la qualité de son réseau (LAN) est primordiale. Elle doit être réalisée avant la migration par une société d'assistance technique à maîtrise d'ouvrage ou par un intégrateur. «La ToIP, qui fait transiter voix et données, doit posséder une qualité de service suffisamment élevée pour acheminer notamment la voix, qui ne supporte pas de délai (ou temps de latence) », argumente Nicolas Aubé. Ainsi, le réseau doit être en mesure d'isoler des flux voix, grâce à la mise en place de VLAN (Virtual Local Area Network), tuyaux virtuels qui seront priorisés. Autre point à surveiller: l'alimentation des postes téléphoniques. Avec les postes traditionnels, une auto-alimentation électrique était assurée par le système téléphonique lui-même. Ce qui n'est plus le cas avec un téléphone en ToIP. Pour y remédier, deux solutions existent. Soit installer des switchs qui supportent le protocole POE (Protocol Over Ethernet) afin d'envoyer un signal électrique. Egalement appelés commutateurs réseau, ces équipements relient plusieurs segments (câbles ou fibres) dans un réseau informatique. Soit prévoir une prise électrique avec un adaptateur.
Lors d'une migration en ToIP, certains téléphones numériques existants ne sont plus exploitables: c'est qu'ils sont technologiquement dépassés, ou qu'ils ne sont pas compatibles avec le nouvel équipementier. Par conséquent, certains constructeurs proposent des PABX-IPBX dans lesquels il est possible d'insérer une carte numérique (de leur marque) qui rend les anciens postes téléphoniques compatibles avec l'IP. Enfin, certaines entreprises rencontrent des obstacles d'ordre purement technique. Ainsi, certains protocoles «passent mal» avec la ToIP: fax, modem ou TPE (terminaux de paiement électronique). Pour y faire face, certains constructeurs ont développé des cartes ou des boîtiers ATA