Reprendre une entreprise à la barre du tribunal
Si elle peut paraître tentante, la reprise d'une entreprise à la barre est une aventure qui ne s'improvise pas. En 2010, pour près de 60 000 défaillances, 1 300 plans de cession ont été enregistrés dans l'Hexagone. Seuls les candidats aguerris peuvent s'y risquer, assistés par un DAF, dont le rôle sera prépondérant pour aider l'entreprise à sortir de l'ornière.
Détecter les opportunités
Reprendre une entreprise à la barre du tribunal, c'est se lancer dans une course contre la montre. Mieux vaut prendre une longueur d'avance en détectant les défaillances d'un établissement avant l'annonce officielle de ses difficultés... Quelques pistes pour avoir la bonne info au bon moment.
Reprendre une entreprise en redressement judiciaire est une épreuve. Et pourtant, l'aventure tente de nombreux candidats. Damien Noël, dirigeant de Fusacq, place de marché dédiée à la reprise-transmission d'entreprises, en atteste: « Notre lettre d'information la plus consultée est celle qui reprend une sélection d'annonces concernant des entreprises en difficulté. »
Avant d'être placées en redressement judiciaire, la plupart des affaires sont passées par les procédures préventives: mandat ad hoc, conciliation, ou procédure de sauvegarde... « Les deux premières procédures ont pour but de préserver l'entreprise en difficulté pour éviter qu'elle ne perde la confiance de ses différents partenaires par une diffusion de l'information... », indique Me Guilhem Bremond, avocat à la cour et directeur du cabinet Bremond & Associés. Elles sont donc confidentielles. En revanche, la sauvegarde et le redressement judiciaire sont rendus publics par le greffe du tribunal de commerce. Mais l'ensemble des professionnels de la reprise recommande, autant que faire se peut, de commencer à se rapprocher des dirigeants bien en amont d'un redressement judiciaire, pour éviter de récupérer les entreprises trop ''abîmées». Alors, comment pressentir une défaillance d'entreprise avant que la machine judiciaire ne se mette en marche? Certains maillons de la chaîne vont à l'évidence se trouver au premier plan, et ce, en dépit de toutes les précautions prises par les dirigeants: les salariés, bien sûr, les fournisseurs, les clients, mais aussi les concurrents directs ou indirects. Pour Me Bremond, «l'un des meilleurs moyens de savoir qu'une entreprise est en difficulté est de se montrer vigilant sur ce qui se passe dans son environnement». Les conseils spécialisés - avocats, administrateurs judiciaires, cabinets conseil financiers sont aussi de précieux informateurs. «Il peut être utile de se constituer un véritable réseau dans ces milieux», poursuit Me Bremond. Bien informés, ils sauront relayer l'information auprès des candidats sérieux qui auront fait la démarche de leur faire part de leur projet, du secteur d'activité et du type de l'entreprise dans laquelle ils souhaitent investir, et d'indiquer leur enveloppe budgétaire. Vous pouvez souscrire à des services de veille fonctionnant par alertes e-mail. Verif.com, par exemple, vous permet d'être averti dès qu'une modification intervient sur la fiche d'une entreprise (dépôt des comptes annuels, défaillance, changement de dirigeant). Vous pouvez ainsi constituer des listes d'entreprises à surveiller par secteur d'activité, zone géographique et taille. D'autres portails web vont plus loin en proposant des chiffres-clés et des analyses financières succinctes. Pouey International, spécialiste du recouvrement de créances et de l'information commerciale, a développé Score 3, un outil en ligne grâce auquel les DAF et les dirigeants de PME s'informent sur l'état de santé d'une entreprise. Au moyen d'une technique de «scoring» (évaluation), 750000 sociétés sont notées en fonction de leur vulnérabilité.
Mais la plus large base d'informations légales (disponible sur la Toile) reste celle d'Infogreffe.fr, service d'information du greffe des tribunaux de commerce, qui répertorie 4 millions de sièges sociaux en France. Les abonnés sont avertis à J + 1 de toute modification concernant les entreprises qu'ils souhaitent mettre sous surveillance: cessation des paiements, inscription de privilèges, liquidation, redressement, etc.
LES RELAIS D'INFORMATION
Il faut donc attendre que le tribunal prononce soit la mise sous sauvegarde de l'entreprise, soit l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire (avec, à l'issue, un plan de continuation ou un plan de cession), soit encore la liquidation judiciaire, pour que l'information devienne officielle. L'administrateur judiciaire, chargé de trouver d'éventuels repreneurs, lance alors un appel d'offres en publiant des annonces dans les supports les plus lus par les acteurs du secteur concerné et dans la presse quotidienne économique, mais aussi dans la presse locale et les magazines professionnels du secteur. Certains sites internet relaient aussi l'information, notamment ceux des administrateurs judiciaires qui s'occupent du dossier (voir encadré ci-contre).
Vous pouvez aussi dénicher des offres dans le Bodacc (Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales). L'administrateur judiciaire, de son côté, diffuse l'information auprès des réseaux de repreneurs. C'est ce qu'explique Bruno Sapin, administrateur judiciaire à la tête de l'étude AJ Partenaires: «Nous faisons circuler l'annonce auprès des professionnels spécialisés dans le retournement d'entreprise, des cabinets de conseil spécialisés, des fonds de retournement... Nous lançons également des campagnes d'e-mailing à destination des entreprises du même secteur d'activité, que nous identifions grâce à leurs numéros SIREN et NAF, et répertoriées dans nos fichiers. »
La date limite de dépôt des offres est ensuite fixée, en général dans des délais assez brefs (moins de deux mois): la course contre la montre commence...
Sur le Net
- www.ajinfo.org, marché virtuel des sociétés à céder dans le cadre des procédures de redressement et liquidation judiciaires ouvertes par les tribunaux de commerce;
- www.aspaj.fr, site de l'Association syndicale professionnelle des administrateurs judiciaires;
- www.ajmj.fr, site du Conseil national des administrateurs et des mandataires judiciaires;
- www.fusacq.com, place de marché dédiée aux fusions-acquisitions et à la reprise d'entreprises;
- www.lexad.net, site regroupant des mandataires judiciaires.
ME GUILHEM BREMOND, DIRECTEUR DU CABINET BEMOND & ASSOCIES
« Confidentiels, le mandat ad hoc et la conciliation protègent l'entreprise pour qu'elle garde la confiance de ses partenaires. »
Interview de XAVIER HUERTAS, président de l'ASPAJ (Association syndicale professionnelle d'administrateurs judiciaires)
« RENCONTREZ LE CEDANT ET L'ADMINISTRATEUR»
A quel moment intervient une procédure de cession d'entreprise?
La cession intervient dans le cadre de la période d'observation d'une procédure de redressement judiciaire. Si l'administrateur constate, à l'issue de cette période, que l'entreprise est dans l'impossibilité de présenter un plan de continuation, il va lancer un appel d'offres de cession. Une fois cet appel d'offres lancé, un calendrier est fixé en fonction de l'urgence du dossier. L'idée est de déterminer combien de temps l'entreprise est encore capable de poursuivre son activité, afin d'organiser au mieux la cession.
Je suis intéressé par la reprise d'une entreprise à la barre, que dois-je faire?
Dans un premier temps, le pollicitant
@ © Fotolia
A savoir
REDRESSEMENT JUDICIAIRE: TROIS ISSUES POSSIBLES
La procédure de redressement judiciaire débute par une période d'observation d'une durée de six mois maximum, renouvelable une fois (et une fois encore de manière exceptionnelle, sur avis du parquet). Elle a pour objectif de mettre en place un plan de redressement de l'entreprise, de maintenir l'emploi et d'apurer le passif.
- Lorsque le tribunal considère que les chances de poursuite de l'activité et de règlement du passif sont sérieuses, il peut décider de prononcer un plan de continuation, soit directement par l'entreprise débitrice concernée, soit par un tiers: dans ce cas, un détail des mesures de redressement et un plan d'apurement du passif doivent être présentés par les candidats. Le plan de continuation peut inclure des cessions d'actifs ou de branches d'activités.
- Les repreneurs intéressés peuvent également faire une reprise par cession: seul est repris le fonds de commerce, constitué des éléments d'actifs corporels et incorporels, des stocks, des travaux en cours, et de l'ensemble des contrats liés à l'activité (y compris les contrats de travail).
- Si aucun candidat ne présente d'offre convaincante, le tribunal prononce la liquidation judiciaire: le liquidateur procède à la réalisation des actifs, vendus unitairement de gré à gré ou aux enchères. Le prix payé par les acquéreurs est réparti entre les créanciers.
Evaluer le potentiel d'une entreprise en ligne de mire
Certains candidats pensent faire une «bonne affaire» en reprenant une entreprise à la barre. Mais attention au montant des investissements nécessaires, voire aux conséquences susceptibles de gangrener votre propre activité! Conseils pour faire le bon diagnostic.
« Dans l'occasion de se poser une question aussi cruciale: cette entreprise a-t-elle une raison d'exister? », observe Yahya Daraaoui, president managing director d'Alix Partners, cabinet-conseil en retournement d'entreprises. S'il est un bon moment pour se la poser, c'est bien lorsque la reprise d'une entreprise en redressement judiciaire est envisagée: la seule perspective de reprendre des actifs «à bon marché» ne doit en aucun cas l'occulter. Mener à bien un tel projet commence par une analyse approfondie des difficultés ayant conduit au dépôt de bilan. La conjoncture économique a certes pesé lourd dans les défaillances d'entreprises au cours des deux dernières années. Mais, outre les causes conjoncturelles, des causes structurelles peuvent être à la source des difficultés: le dirigeant a-t-il fait de mauvais choix stratégiques? A-t-il perdu un fournisseur ou un client-clé? L'entreprise a-t-elle manqué un virage technologique? Elle peut aussi avoir subi une rupture managériale, ou souffrir d'une organisation inefficace. Des zones d'ombre que seul un audit, dont les éléments chiffrés seront fournis par le DAF, pourra éclaircir.
DRESSER UN BILAN ECONOMIQUE ET SOCIAL
Les premières informations utiles au DAF pour mener son audit d'acquisition seront réunies sur les «data rooms» des administrateurs judiciaires. Consultables par les intéressés, sous réserve de la signature d'un accord de confidentialité, elles rassembleront l'ensemble des renseignements concernant l'activité de l'entreprise: clients, parts de marché, contrats, marques, licences, liste des immobilisations, comptes et informations sur les salariés... Autant d'éléments que le DAF scrutera d'un oeil attentif. Toute la difficulté consiste, en effet, à travailler sur des comptes fiables: « Il peut arriver que la qualité des comptes soit médiocre. Quand l'entreprise va mal, il peut être tentant de surévaluer les stocks ou d'autres actifs pour améliorer artificiellement les résultats », prévient Philippe Campos, fondateur du cabinet Afival Audit & Conseil, spécialiste des missions d'audit et de restructuration d'entreprises en difficulté. Ce professionnel recommande également d'écouter d'une oreille critique les raisons avancées par les dirigeants: « Soyez vigilant sur ce que le management en place veut vous vendre », suggère-t-il. Quant aux méthodes d'évaluation proprement dites, elles devront prendre en considération le contexte particulier: « Il est nécessaire, dans un premier temps, de se baser sur les comptes retraités d'après une rentabilité normative, déduction faite des coûts de restructuration », explique Jean- Michel Vignaux, associé fondateur de Blue Cell Consulting, cabinet spécialisé dans les audits d'acquisition et l'évaluation de sociétés.
Enfin, dresser un bilan RH est aussi primordial. « Il faut savoir à quels contrats sont liés les salariés, de quelles conventions collectives ils dépendent et quel est leur statut individuel », avertit Anne Guérin, directrice régionale Paris Oseo. Au-delà de ces aspects légaux, la reprise d'une entreprise en difficulté implique un volet humain essentiel. « Il est important de rassurer des salariés traumatisés par le dépôt de bilan et de les écouter, car ils détiennent des informations essentielles, tout à fait complémentaires de celles que délivre la direction », analyse Michel Dubois-Coutant, président de Onsen Conseil, cabinet-conseil en stratégie et d'accompagnement des PME et membre du réseau APERE (Accompagnement des entrepreneurs et repreneurs d'entreprise).
Tous ces éléments permettront au repreneur de construire son «business plan» et de déterminer les besoins en cash afin de bâtir un plan de trésorerie prévisionnel.
UNE OFFRE AU BON PRIX
« Il s'agit d'étudier les actifs de l'entreprise afin de faire une offre «juste», qui cadrera au mieux avec le projet d'entreprise», déclare Guillaume Masseron, managing director chez Duff & Phelps, prestataire de conseil financier spécialisé dans ce genre de reprise. Les délais pour la préparation du dossier sont fixés par le tribunal en fonction de l'urgence de l'affaire et peuvent aller de quelques jours à plusieurs semaines. Plus l'entreprise affiche de difficultés, plus les délais ont tendance à être courts. Ce qui laisse relativement peu de temps pour rédiger une offre... «Il faut savoir que, dans 90 % des cas, nous demandons des modifications, indique Xavier Huertas, administrateur judiciaire. De fait, la plupart des offres sont soit incomplètes, soit susceptibles d'amélioration. »
Un avocat spécialisé saura vous accompagner dans la rédaction de votre offre. Elle obéit en effet à un strict formalisme, imposé par le Code du commerce. Dans le cadre d'une reprise à la barre, le repreneur ne rachète pas une entité juridique, mais un ensemble d'éléments d'actifs: «Depuis les lignes téléphoniques jusqu'au contrat le plus complexe, le détail des éléments repris devra être précisé dans l'offre», explique Me Patricia Guyomarc'h, avocate spécialisée dans la cession d'entreprises en difficulté. Elle prévient également que « une fois que l'offre de reprise a été déposée auprès de l'administrateur judiciaire et qu'elle a été entérinée par le tribunal, elle vous lie aux conditions que vous avez formulées à l'acte de reprise». Il est donc essentiel de le verrouiller et de comprendre les effets de ce pour quoi vous vous engagez. Au travers de votre proposition écrite, le juge doit également percevoir votre profonde motivation. «Il faut vous présenter en tant que candidat repreneur et dresser une analyse de l'origine des difficultés de l'entreprise à reprendre. Vous devez détailler votre projet d'entreprise», suggère Me Jean-Charles Simon, associé gérant au sein du cabinet Simon Associés. Enfin, il reste la question-clé du montant de votre offre. Le conseil de Me Simon? «Formuler un prix juste et équilibré, sans profiter à l'excès de la situation. » Car, si la reprise à la barre est une opportunité, en aucun cas, elle ne peut être prétexte à faire une «bonne affaire». Les candidats qui s'engagent dans cette optique sont généralement les moins vigilants, ils ont une vision «court termiste» de l'entreprise et, par conséquent, ont peu de chances d'obtenir l'adhésion du tribunal, dont la mission consiste à confier la société au repreneur le plus à même d'en assurer la pérennité.
Les conseils de JEAN-PASCAL BEAUCHAMP, associé, directeur en charge de la ligne Prévention et Restructuration chez Grant Thorton
« CALCULEZ LE JUSTE PRIX »
«Oubliez tout ce que vous avez appris!»: tel est le conseil de Jean-Pascal Beauchamp, qui pratique depuis 20 ans la prévention des difficultés et la restructuration d'entreprises. En effet, dans un contexte aussi particulier, les méthodes des multiples de valorisation ou des discounted cash flows (flux de trésorerie actualisés), traditionnellement utilisées pour évaluer des entreprises «in bonis», sont difficilement applicables. Afin de formuler un prix cohérent, une parfaite connaissance de la procédure est indispensable: en effet, dans le cas d'une reprise par plan de continuation, le candidat reprend les passifs, qui peuvent faire l'objet d'un étalement sur 10 ans, mais aussi les comptes clients et la trésorerie. En revanche, dans le cadre d'une cession, le passif n'est pas repris, mais la trésorerie et les comptes clients non plus. Ces paramètres ont un impact direct sur le montant du fonds de roulement qu'il convient de reconstituer immédiatement: «le BFR peut être très élevé dans le cadre d'une cession», observe Jean-Pascal Beauchamp. De plus, dans le cadre d'un plan de continuation, le repreneur a la possibilité de négocier des abandons de créances préalablement à l'audience. Ainsi, dans les cas les plus lourds, le choix d'un plan de continuation peut être plus intéressant financièrement. Le candidat devra aussi évaluer le montant des passifs échus et des dettes nées pendant la période d'observation, notamment des dettes sociales liées à la poursuite de l'activité en vue de sauvegarder des emplois. «L'administrateur ne sera pas en mesure de céder l'entreprise s'il ne peut rembourser cette dette. Son montant peut ainsi être une indication du prix plancher à formuler dans le cadre d'une cession», prévient Jean-Pascal Beauchamp. En tout état de cause, le prix final sera très dépendant du nombre de candidats, en raison de l'effet d'enchère provoqué.
Défendre son dossier au tribunal
Le jour J est enfin arrivé. Le greffe a convoqué, en chambre du conseil, les délégués du personnel ainsi que les repreneurs. L'audience, qui se tient à huis clos, va commencer. Etes-vous prêt pour le grand oral? Voici quelques conseils pour séduire et convaincre.
Le passage à la barre est souvent un moment de tension intense, particulièrement pour les repreneurs, fébriles. C'est l'administrateur judiciaire qui s'exprime en premier. Il présente les offres «au contradictoire des pollicitants», c'est-à-dire qu'il compare les différents dossiers et met en exergue les points de différence, voire de divergence, des offres: nombre d'emplois conservés, prix proposé, etc. Les salariés et le mandataire liquidateur (chargé de représenter les créanciers) livrent, eux aussi, leur vision. Les candidats, qui auront pris la peine de se munir d'un chèque certifié du montant de la reprise, sont ensuite appelés à prendre la parole afin d'argumenter sur leur offre. « Chaque repreneur potentiel s'exprime: sa capacité de conviction est essentielle dans la décision du tribunal », estiment Charles Gorins et David Lacombe, administrateurs judiciaires au sein de l'étude AJ Associés. Le DAF peut être présent et amené à apporter des précisions, mais seul le juge peut décider de lui donner la parole. Par la suite, les salariés et le cédant vont donner leur avis sur les différentes offres, d'où l'intérêt d'avoir tissé des liens étroits avec eux au préalable.
LES CRITERES D'ANALYSE DU TRIBUNAL
Les talents oratoires des candidats ne peuvent en aucun cas sauver un dossier défaillant. Comme l'explique Philippe Modat, greffier en chef auprès du tribunal de commerce de Melun, la solidité du projet, autrement dit sa viabilité économique, est, de loin, le critère le plus important. « Souvent, la cour a déjà quelques idées sur le dossier qui l'emportera! confie-t-il. Et ce n'est pas nécessairement celui qui met le plus d'argent sur la table qui gagne l'affaire. » Bien évidemment, le repreneur doit apporter suffisamment de garanties financières pour être crédible aux yeux du tribunal. Mais l'argent ne fait pas tout, loin de là. « Le tribunal donnera volontiers sa chance à un candidat du même secteur d'activité, même s'il n'est pas le plus offrant », reprend le greffier Philippe Modat. « D'ailleurs, renchérit Charles Gorins, administrateur judiciaire, l'industriel a plus de chance de gagner la partie que le fonds d'investissement, qui ne connaît pas le métier. » Un avis partagé par Yannick Hoche, responsable reprise-transmission d'entreprises à l'APCE, qui met en garde: « La reprise d'entreprise à la barre est un exercice périlleux Si vous arrivez devant un tribunal, c'est que beaucoup d'énergie a déjà été investie par l'ancien dirigeant pour redresser la barre! Cela dit, même dans ce cas, il peut y avoir encore des éléments sains et des chances pour un futur repreneur de réaliser une croissance externe rapide, à condition seulement de bien connaître le métier et le secteur de la société qu'il souhaite reprendre. » La préservation de l'emploi est, pour le juge, l'une des toutes premières priorités. « Toute la procédure de reprise est faite dans le but premier de limiter les dégâts sur le plan social. Dans ce genre de situation, en effet, le candidat qui maintient le plus d'emplois va, à l'évidence, retenir l'attention du tribunal», renchérit Yannick Hoche.
PUIS VIENT LE VERDICT...
Une fois que tout le monde s'est exprimé, la cour se retire pour délibérer. La décision peut être rendue le jour même ou reportée d'une ou deux semaines. Comme l'explique Yves Lelièvre, président du tribunal de commerce de Nanterre, « tous les dossiers ne comportent pas les mêmes enjeux. Certains ont de lourdes conséquences en termes d'emploi et nécessitent un temps de réflexion. » Des délais qui rajoutent à l'angoisse des repreneurs, mais aussi à celle des salariés dont l'avenir professionnel est en jeu. Alors, quand arrive l'heure du verdict, les émotions se mélangent. Lysiane Leclerc, qui a repris l'entreprise de reliure Façonnage 37 à la barre du tribunal de Tours, en novembre 2009, s'en souvient comme d'un «moment éprouvant»: «A l'annonce du verdict favorable, nous avons ressenti un intense soulagement. Nous avions mis tellement de nous dans ce projet!»
A savoir
LES PROCEDURES COLLECTIVES, EN FRANCE, EN 2010Source: Infogreffe
Entre janvier et décembre 2010, l'Hexagone a connu 51 858 ouvertures de procédures, dont:
- 1 064 jugements d 'ouverture de procédure de sauvegarde ;
- 32 229 jugements d 'ouverture de liquidation judiciaire ;
- 1 064 jugements d 'ouverture liquidation judiciaire.
A noter
A MINIMA, VOTRE OFFRE DE REPRISE DOIT COMPORTER LES MENTIONS SUIVANTES
- La désignation précise des biens repris (le mobilier, le matériel de bureau, les agencements, les installations, l'outillage industriel).
- La désignation précise des droits de propriété industriels attachés au fonds de commerce (marques, logiciels et brevets notamment).
La désignation précise des contrats inclus dans l'offre (contrats clients et fournisseurs).
- Les prévisions d'activité et de financement (en mettant en avant les synergies et/ou économies d'échelle découlant du projet).
- Le sort des emplois (contrats repris, licenciements).
3 questions à YVES LELIEVRE, président du tribunal de commerce de Nanterre
« LE PIRE SERAIT QUE LE REPRENEUR SE RETROUVE UN JOUR DEVANT NOUS »
Sur quels critères fondez-vous votre décision?
Notre mission est de choisir la meilleure option parmi les dossiers présentés, en nous fondant sur trois critères: le prix, le nombre d'emplois repris, et la capacité du repreneur à relancer l'entreprise et à la faire durer. Nous étudions donc les offres avant l'audience et, généralement, les candidats qui retiennent notre attention sont ceux qui connaissent déjà le secteur d'activité. Le pire serait que le repreneur ne se retrouve à nouveau devant nous quelques années plus tard. Un candidat peut considérer qu'il a un bon produit, un bon projet, de bons salariés, mais ce n'est pas suffisant. Il doit s'assurer que l'affaire sera rentable et capable de faire face à ses échéances à court, moyen et long termes.
Y a-t-il des affaires plus «évidentes»?
Non, mais certains secteurs sont plus «délicats» que d'autres: c'est le cas des fonds de commerce sans réelle spécialisation ou d'entreprises issues de secteurs en difficulté. Ce sont des dossiers qui nécessitent plus de temps de réflexion. Il y a aussi des affaires qui engendrent des interrogations. Par exemple, si nous ne connaissons pas, ou mal, l'investisseur. Certains secteurs d'activité exigent de vraies connaissances techniques (comme l'équipement automobile); d'autres sont stratégiques pour notre économie... Il faut étudier tous ces paramètres pour trancher.
A quel moment s'arrête le rôle du tribunal dans ces dossiers?
Au moment de l'énoncé du verdict. Ce que souhaite le tribunal, c'est anticiper les difficultés afin d'éviter le pire, c'est-à-dire la liquidation, dont l'impact humain est terrible. C'est pourquoi de nouvelles procédures de prévention ont vu le jour, comme le mandat ad hoc et la sauvegarde. Mais les entreprises y ont recours souvent trop tard.
La reprise est effective, comment réussir l'intégration
L'affaire est emportée, les choses sérieuses commencent. Le DAF va devoir restaurer la santé financière de l'entreprise et regagner la confiance de ses équipes et de ses partenaires. Une course de fond s'engage.
Le tribunal vient de vous attribuer le dossier pour lequel vous vous êtes tant battu: ce n'est que le début d'une partie serrée, où rien n'est gagné à l'avance. François Gaudry, président du cabinet Atome Conseil, spécialisé en transmission d'entreprises, le constate chaque jour sur le terrain: «Les cessions d'entreprises en redressement judiciaire ont lieu dans la douleur. Arracher le dossier à la barre est déjà une épreuve. Et une fois que votre candidature l'a emporté, le transfert est brutal. » Le DAF arrive du jour au lendemain dans une entreprise où tout est à reconstruire: pendant que le directeur général remobilise les troupes et reconquiert la confiance, le DAF négocie avec les organismes financiers, trouve des subventions, remet de l'ordre dans l'organisation. En première ligne aux côtés des dirigeants, son rôle est crucial dans la mise en oeuvre du plan de redressement: il sera la vigie des indicateurs chiffrés et le gardien de la trésorerie.
PRENDRE LES MESURES ECONOMIQUES QUI S'IMPOSENT
«Pas de reprise réussie sans un directeur financier chevronné!», atteste Nadine Veldung, associée chez DC Advisory Partners, banque d'affaires, qui met en relation investisseurs et entreprises à la recherche de financements. Le DAF doit donc s'attendre à être totalement absorbé, pendant au moins un an, le temps de mettre en place les premières mesures de redressement. Pour cela, «pas de recette miracle», selon Nadine Veldung, mais une organisation millimétrée.
«Dès le premier jour, chacun doit avoir une vision très précise de ce qu'il doit faire, faute de quoi les choses peuvent prendre très rapidement mauvaise tournure», prévient Yahya Daraaoui, President Managing Director d'Alix Partners. Les difficultés économiques de l'entreprise ont été identifiées pendant toute la période de préparation du dossier. Maintenant vient le temps du plan de redressement. Généralement fondé sur des réductions de coûts, ce plan prévoit des baisses de charges salariales, la suspension de certaines prestations dont l'entreprise doit apprendre à se passer, voire la cession d'un site ou de certaines activités.
Mais la priorité du DAF est avant tout de sécuriser le cash: «Une société ne meurt que d'une chose: l'absence de trésorerie», confirme Yahya Daraaoui. Pour éviter d'en manquer en cours de mois, le DAF va devoir affiner les prévisions qu'il a préparées en phase de diagnostic. Un exercice sans filet dont dépend la survie de l'entreprise à peine renaissante. Pour commencer, le DAF va reprendre les négociations avec ses partenaires commerciaux: les fournisseurs, notamment, ont pris l'habitude d'exiger un règlement à la livraison de peur de ne pas être payés; les clients, quant à eux, ont profité de la situation pour retarder leurs échéances... Au DAF de rétablir des délais de paiement convenables pour oxygéner sa trésorerie. A lui aussi d'associer les banques pour rétablir de bonnes relations, démarches qu'il aura entamées, de préférence, durant la phase de diagnostic. Sans oublier l'ingrédient-clé du succès: un plan de financement détaillé. Yahya Daraaoui conseille de mettre immédiatement en place un «13 week cash flow», plan de trésorerie sur treize semaines, hérité du Chapter 11, procédure relevant du droit des faillites américain. Bien entendu, ce plan est réactualisé au moins toutes les semaines, et ce, pendant toute la durée du plan de redressement: soit entre deux et trois ans. Nul besoin d'un logiciel ultra-sophistiqué pour y parvenir: un simple fichier Excel peut suffire. Sur ce point, le président d'Alix Partners constate la «différence de culture» entre les DAF anglo-saxons, habitués à réactualiser ces plans régulièrement, et les Français, qui se contentent souvent d'une vision trimestrielle. Pourtant, une telle discipline est indispensable pour ne pas risquer de se trouver de nouveau à court de liquidités de façon imprévue.
DES REINS SOLIDES POUR ENCAISSER LES MAUVAISES SURPRISES
«Disposer d'un fonds de roulement de l'ordre de 10 % du chiffre d'affaires, pour faire face aux imprévus, semble prudent», estime, pour sa part, François Gaudry. Car, malgré toute la vigilance déployée avant une reprise, certains détails échappent au repreneur et au tribunal dans l'urgence d'un plan de cession. François Gaudry évoque ainsi le cas d'un plan de continuation, suivi d'une cession, dans lequel le repreneur a découvert qu'une des créances remboursables sur neuf ans, selon le jugement du tribunal ayant arrêté le plan, devait en réalité être réglée immédiatement.
Autre cas fréquent: le repreneur ne prévoit pas de reprendre certains salariés protégés (notamment le représentant élu des salariés, des délégués du personnel ou des membres du comité d'entreprise); or, si l'accord de l'inspecteur du travail n'a pas été obtenu, il peut se trouver contraint de les conserver, ce qui augmentera ses charges fixes futures non budgétées. L'expert conseille également d'être vigilant sur les travaux en cours à la date de cession. Leur produit va-t-il revenir à l'administrateur judiciaire ou à l'acquéreur? S'il n'a pas été attentif à ce point, le repreneur peut se retrouver avec une trésorerie nulle dès le départ. Or, certains repreneurs n'ont pas forcément l'assise financière nécessaire: car lorsque seulement un ou deux dossiers se sont présentés, le tribunal n'a pas eu l'embarras du choix pour tenter malgré tout de sauvegarder une partie des emplois.
Enfin, dans une période où toutes les énergies doivent être mobilisées, l'aspect humain est essentiel. «Ne négligez jamais l'opportunité d'associer l'ancien dirigeant à la reprise, en tant que salarié ou partenaire», suggère François Gaudry. Repérés dès la phase de diagnostic, les hommes-clés, de préférence des professionnels ayant l'expérience du retournement, vous aideront à traverser les turbulences. A commencer par le DAF, qui après un an de travail acharné, abordera une année de bascule, soit vers la rechute, soit vers la croissance... en attendant de pouvoir commencer à respirer, au bout de trois ans environ. Yves Lelièvre, président du tribunal de commerce de Nanterre, conclut malgré tout sur une note optimiste: « La majorité des reprises à la barre sont couronnées de succès. Cela tient à la quantité de précautions mises en oeuvre pour préparer ces dossiers. »
Les conseils de HERVE GARABEDIAN, fondateur du pôle finance de Marianne Experts
« ASSUREZ-VOUS DU SOUTIEN DE VOTRE BANQUIER»
Comment convaincre une banque de vous suivre, aussi bien pour vous apporter les fonds nécessaires au financement de la reprise, que pour vous soutenir durant la phase délicate du redressement? « Le fil conducteur du banquier, c'est le risque», avertit Hervé Garabedian, fondateur du pôle finance de Marianne Experts. Selon ce spécialiste de la réduction des frais bancaires, la clé d'une relation de confiance réside dans une analyse partagée de la situation, à travers une information transparente. «En phase de redressement, votre banquier aura toujours un retard d'information. Prévoyez donc de le rencontrer régulièrement et mettez-vous d'accord sur le format d'un reporting que vous lui adresserez à une fréquence adaptée: tous les mois au départ, puis trimestriellement, jusqu'au moment où l'entreprise sera en vitesse de croisière. »
Gardez également à l'esprit que la relation bancaire se joue à plusieurs niveaux: votre chargé de clientèle rapporte en interne à la direction des risques, qui prend le pas en cas de dérapage. «Anticipez donc les besoins d'information de votre banquier, tout en veillant à ce que la relation ne verse pas dans le registre de la surveillance; son côté chronophage risque également de vous détourner de vos objectifs de terrain, prioritaires. » Aussi, Hervé Garabedian recommande-t-il de savoir faire contrepoids face à la banque: « Vous lui confiez des flux et la sollicitez sur de nombreux aspects de financement à court terme. En phase de rétablissement, peut-être lui demanderez-vous un crédit important. Vous devez donc veiller à vous présenter non pas comme un demandeur de crédit, mais comme un apporteur d'affaires. »
Cas pratique: Pascal Varin et Titagarh remettent AFR sur les rails
Pascal Varin a repris Arbel Fauvet Rail en juillet 2010 en s'adossant à l'un des plus importants fabricants indiens de wagons, Titagarh. Près d'un an après la décision du tribunal de commerce de Paris de confier l'entreprise au tandem franco-indien, retour sur un feuilleton à rebondissements.
PROLOGUE
10 février 2009: Arbel Fauvet Rail (AFR), dernier fabricant français de wagons de fret en France, est placé en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Paris. AFR emploie alors 285 salariés.
ACTEI
15 décembre 2009: le tribunal avalise le plan de redressement présenté par Maxime Laurent, dirigeant de l'entreprise, mais début 2010, le plan ne tient pas ses promesses, et l'effectif de l'entreprise tombe à 226.
ACTE II
5 mai 2010: le tribunal prononce la résolution du plan de redressement. AFR est placé en liquidation judiciaire avec poursuite d'activité jusqu'au 15 juin. L'administrateur judiciaire, Me Charles Gorins, lance alors un mailing afin de trouver des repreneurs. Deux candidats se présentent: Pascal Varin, homme d'affaires français qui a travaillé des années durant dans l'industrie ferroviaire ; et un groupe indien, Titagarh, l'un des plus importants fabricants de wagons dans son pays. Le besoin en fonds de roulement nécessaire à la reprise est évalué à 15 millions d'euros. L'Indien dispose du financement, le Français possède une excellente connaissance du marché.
ACTE III
Maître Gorins rapproche les avocats des deux candidats à la reprise. Titagarh et Pascal Varin s'associent dans ce projet. Le premier détiendra 90 % des parts. Vient alors l'heure de préparer le dossier. «Nous avons retravaillé l'offre produits grâce à une évaluation précise de ce que le marché pouvait accepter en termes de prix», explique Hubert de Contenson, directeur financier d'AFR-Titagarh.
ACTE IV
7 juillet 2010: jour de l'audience. Aucune offre ne fait concurrence au tandem franco-indien. AFR-Titagarh est née.
ACTEV
AFR-Titagarh ne redémarre réellement qu'à la fin du mois d'août. Sur 226 salariés que comptait l'entreprise, 80 réintègrent l'équipe. «Il a fallu remettre en état l'outil de production, relate Pascal Varin. Puis le gros challenge a été de restaurer la crédibilité de l'entreprise sur le marché, de reconquérir les banques et les fournisseurs, de rechercher de nouveaux partenaires financiers, bref, de restaurer les liens qui n'existaient plus. » Pascal Varin et Hubert de Contenson travaillent main dans la main. Leurs missions: « Maîtriser les comptes d'exploitation pour limiter au maximum les dépenses, réajuster le business plan par rapport aux prévisions, procéder à un reporting mensuel, mettre en place un plan de trésorerie, travailler avec les partenaires bancaires, trouver des aides et des subventions et reconstituer le liant d'une équipe traumatisée par les épreuves passées... », précise le nouveau dirigeant.
EPILOGUE
Avril 2011: un an s'est écoulé... « Notre carnet de commandes de 100 wagons céréaliers, de wagons-citernes et de conteneurs-citernes constitue un bon socle de reprise», explique Hubert de Contenson. Et 24 salariés de la précédente équipe ont été repris, faisant grimper l'effectif à 104 personnes. Aujourd'hui, les anciens clients d'AFR connaissent le projet du tandem franco-indien, et Pascal Varin compte déjà sur leurs futures commandes. Prochaine étape: AFR-Titagarh entend élargir son portefeuille et prospecter l'Europe et l'Afrique.
Des commandes de wagons céréaliers, de wagons-citernes et de conteneurs-citernes ont relancé l'activité de la société.
REPERES
Raison sociale: Titagarh Wagons AFR
Forme juridique: SA
Dirigeants: Jagdish Chowdhary, 71 ans (président du conseil d'administration) et Pascal Varin, 47 ans (dg)
Effectif: 104 salariés
CA 2010: NC