Guilhem Bremond, l'avocat du retournement des entreprises
Qu'est-ce que le retournement d'entreprises ?
Le retournement d'entreprises est une pratique différente de la traditionnelle gestion de la faillite des entreprises. Elle conduit à se détacher de l'approche purement liquidative des sociétés en difficultés, au bénéfice d'un objectif de redressement. Le retournement, reposant sur l'idée que l'entreprise revêt une valeur économique, sociale ou encore technologique qui mérite d'être réservée, vise à arrêter la spirale négative et mettre en place une dynamique positive. Cela dépasse donc la simple sauvegarde et nécessite une conjonction de toutes les professions susceptibles d'intervenir aux côtés d'une entreprise en difficultés : avocats, administrateurs judiciaires qui agissent en tant que conciliateurs, experts-comptables, banquiers, fonds d'investissement, managers de crise, etc. C'est de ce élange d'expertises qu'est née l'Association pour le retournement des entreprises (ARE) en 2002, d'abord par besoin de disposer d'un forum puis pour développer et diffuser les bonnes pratiques. En ce sens, nous dispensons des formations et faisons de la mise en contact. Il s'agit davantage d'un rassemblement de praticiens «sélectionnés» que d'une association qui agit en tant que telle. Elle compte 160 membres sur tout le territoire.
A quel type d'entreprises s'adresse l'ARE ?
s'adresse prioritairement aux PME et ETI. Nous avons eu suffisamment d'activités sur ce type d'entreprises pour nous prétendre compétents. Les TPE sont hors champ et les grandes entreprises connaissent rarement, en nombre, des crises lourdes. En tant qu'avocat, je suis en général sollicité quand une procédure judiciaire devient nécessaire. J'interviens donc avant son ouverture et tout au long de celle-ci : il peut s'agir du mandat ad hoc ou de la conciliation, qui sont des procédures confidentielles, ou bien encore lors des réunions de banquiers, d'actionnaires ou d'investisseurs financiers. Notre intérêt à tous étant que l'activité se redresse, les protagonistes doivent répartir équitablement leurs efforts pour laisser le temps à la société de reprendre pied. Parfois ces négociations sont insuffisantes, et le redressement judiciaire devient inéluctable.
Quelles sont les premières mesures d'un retournement d'entreprise ?
D'abord, sécuriser le périmètre, c'est-à-dire d'éviter que la situation ne se dégrade définitivement. Puis il faut mettre en place des actions qui vont permettre à la société de repartir. Cela passe par des négociations financières comme l'étalement des dettes, des abandons de créances mais aussi par des restructurations opérationnelles : repositionner l'entreprise sur un nouveau marché, réinvestir ou chercher des fonds ou des nouveaux investisseurs. Sans oublier de repenser le management et l'organisation interne. Ces mesures peuvent paraître classiques, mais elles ont une direction, un but qui va au-delà de la limitation des frais : elles répondent à un nouveau projet d'entreprise. Nous n'apportons pas de solutions miracles, mais aidons le dirigeant à se détacher de ses réflexes de pure rentabilité pour adopter des raisonnements cash et des grilles de lecture adaptées à de potentiels nouveaux marchés.
Les dispositifs législatifs et réglementaires sont-ils adaptés à votre approche ?
Dans ce vaste champ qu'est l'entreprise, le législateur suit ce qui se fait sur le terrain et valide les pratiques des spécialistes que sont les avocats, tribunaux et conseils financiers. Ainsi, il a repris toutes les innovations que nous nous sommes appliqués à développer, pour pousser des solutions visant à relancer les entreprises. La dernière est la sauvegarde financière accélérée (SFA), inscrite dans la loi de régulation bancaire et financière. Certes les dispositifs légaux, tels que la sauvegarde, la conciliation ou le mandat ad hoc, sont des outils juridiques très utiles, mais ils n'insufflent en rien une dynamique économique. Or, le retournement doit permettre au chef d'entreprise de surmonter les difficultés auxquelles, par construction, il n'était pas préparé.
Quels impacts de la crise constatez-vous dans votre pratique ?
Depuis trois ans, l'association publie les indicateurs de la crise, de façon trimestrielle. Nous nous appuyons sur un institut de sondage, OpinionWay, pour suivre l'activité de nos membres. Les enseignements que nous en tirons diffèrent des statistiques traditionnelles sur la défaillance d'entreprises. Sur les 50 à 60 000 faillites recensées chaque année, 90 % se traduisent par des liquidations, mais ces chiffres bruts ne filtrent pas en fonction de la taille de l'entreprise. Or, la plupart concernent les commerçants, les entreprises individuelles ou unipersonnelles. De nos études sur les entreprises de plus de 50 salariés, nous tirons plusieurs enseignements. Premièrement, nous observons une certaine inertie, au bon sens du terme, ce qui conduit, au final, à la survie pour 75 % d'entre elles. Ensuite, nous constatons un décalage entre la récession et le retournement de cycles. En effet, l'été dernier et au troisième trimestre 2011, l'ARE a connu une très faible activité. Ce n'est que sur le quatrième trimestre que le retournement a pris une ampleur plus importante. Enfin, les statistiques montrent une stabilité des défaillances dans le volume.
A quoi vous attendez-vous dans un avenir proche ?
A une vague de restructurations sur les mois qui viennent, car nombre d'entreprises ayant survécu à la crise économique de 2008-2009 tablaient sur une reprise en 2011-2012, laquelle fait défaut. Ces sociétés, qui étaient à bout de souffle, n'ont aujourd'hui plus de quoi durer. A l'époque, faute de visibilité, les dettes financières ont fait l'objet d'aménagement sans être traitées dans le fond. Bref, les problèmes ont été repoussés. Ce qui n'a pas été une mauvaise chose : si les banques n'avaient pas accepté de reporter leurs dettes et les fonds d'investissement d'injecter du cash, le système aurait explosé et abouti à des liquidations pures et simples. L'action publique a porté aussi les entreprises en ce sens, avec des remises de délai sur les dettes sociales et fiscales et le renforcement d'Oséo. Aujourd'hui, il faut traiter les difficultés dans la durée, d'autant que la reprise n'est qu'une hypothèse.»
BIO EXPRESS
1990 : Diplômé de l'Essec.
1993 : Avocat au sein du cabinet Sonier, où il est associé.
1999 : Il prend la responsabilité du pôle investissement nouvelles technologies du groupe Arnault.
2002 : Guilhem Bremond rejoint le cabinet Veil Jourde comme associé, à la tête du département entreprises en difficultés. Avec Nicolas de Germay, il fonde l'Association pour le retournement des entreprises (ARE), dont il est jusqu'en 2011 le secrétaire général.
2006 : Il crée sa structure, le cabinet Bremond & Associés, spécialisé en droit des affaires.
2012 : Il est élu président de l'ARE pour deux ans.
CAS PRATIQUE. Mecachrome échappe au dépôt de bilan en se recentrant sur son coeur d'activité
L'un des leaders mondiaux de la mécanique de précision, Mecachrome, s'est vu décerner le prix Ulysse créé en 2011 par l'Association pour le retournement des entreprises (ARE). « Malgré sa position stratégique dans la conception, l'usinage, et l'assemblage de pièces d'aéronautique et d'automobile, ce groupe mondial, qui emploie près de 1 800 personnes, a frôlé le dépôt de bilan », rappelle son secrétaire général, Philippe Blandin. En cause, un gouffre financier - dont le montant est toujours confidentiel engendré par une politique d'investissement massif, pendant dix ans, autour de la croissance externe et de programmes effectués en risk sharing. Un retard d'exécution de programme de l'A400M (avion militaire), des développements sur fonds propres de produits maison et le renouvellement d'une grande partie du parc machines ont achevé la fragilisation de l'entreprise dans le contexte de crise économique en 2008. La dette (composée d'obligations, de crédits et de prêts seniors) est devenue insupportable, malgré une introduction en Bourse en 2007. Deux procédures de sauvegarde ont alors été initiées, l'une au Canada pour le siège, l'autre en France. Avec le retournement, « les gros moyens ont été pris pour venir au secours de l'entreprise : sortie de la cote, rachat par un pool d'actionnaires, PSE, formation, soutien des collectivités locales, facilités de trésorerie », résume Philippe Blandin. Et côté métier, Mecachrome s'est recentrée sur son coeur d'activité : l'usinage.
Une résilience réussie qui a permis à la société de retrouver l'équilibre dès la fin 2009.