Gérard Rameix au secours des entreprises en difficulté
Le ralentissement que connaît la croissance depuis l'automne 2008 a imposé une situation de trésorerie tendue à nombre de sociétés. Grâce à la Médiation du crédit, la plupart ont surmonté leurs difficultés. Gérard Rameix, Médiateur du crédit aux entreprises, évoque l'effet positif d'une éventuelle accession des PME et ETI au financement par le marché boursier.
Quel bilan faites-vous de l'action de la Médiation du crédit, créée il y a trois ans?
La Médiation, créée en novembre 2008 par Nicolas Sarkozy, a reçu pour mission de ne laisser aucune entreprise seule face à ses difficultés de financement. Depuis sa création, elle a reçu plus de 34000 dossiers et en a accepté près de 28000, traités avec un taux de succès supérieur à 60 %. Le dispositif est parvenu à conforter ou sauver environ 265000 emplois. De tels résultats sont considérables, d'autant que la Médiation repose sur une structure légère: elle s'appuie sur des moyens préexistants, c'est-à-dire sur les services de la Banque de France, soit actuellement une quarantaine d'équivalents temps plein (ETP) issus, pour la plupart, des équipes chargées des relations avec les entreprises au sein des services départementaux de la Banque de France, et au niveau national sur une équipe d'une quinzaine de personnes.
Pourquoi un tel succès? Comment les banques ont-elles intégré le dispositif?
Même si elle ne dispose ni d'un pouvoir de décision dans les dossiers ni d'une force coercitive, la Médiation bénéficie d'un positionnement favorable puisque les deux médiateurs, René Ricol puis moi-même, ont été nommés par le président de la République. Une charte de la Médiation du crédit a été signée entre l'Etat, représenté par Christine Lagarde, alors ministre de l'Economie et des Finances, et la Fédération Bancaire Française qui représente l'ensemble des banques. Par cette charte, les établissements de crédit se sont engagés à réexaminer leurs décisions de refus d'accorder de nouveaux financements ou de renouveler des lignes existantes, dès lors qu'un dossier est porté à leur connaissance par le Médiateur, et à faire les meilleurs efforts en vue d'une solution. La simple saisine de la Médiation gèle la situation, en termes de crédit, lorsqu'il s'agit de concours déjà existants. Cela permet au Médiateur de réunir autour d'une table les banques et l'entreprise concernée, et de proposer une solution. Parfois, il arrive que l'une ou l'autre des parties n'accepte pas le schéma proposé. Mais dans l'ensemble, le travail d'analyse et de discussion porte ses fruits et fait preuve de son efficacité. Parfois la seule évocation d'un recours à la Médiation du crédit suffit pour que les banques reprennent le chemin des négociations. Certaines banques ont aussi fait évoluer leurs procédures: ainsi, dans quelques établissements de crédit, quand, auparavant, un chargé d'affaires pouvait décider seul de refuser un concours à une TPE ou PME, aujourd'hui, l'aval d'un supérieur hiérarchique est nécessaire, ce qui limite des décisions de refus trop hâtives.
A SAVOIR
QUAND ET COMMENT SAISIR LA MEDIATION DU CREDIT?
- Attention: la Médiation ne peut pas être saisie de problèmes juridiques, relatifs par exemple au montage d'une convention de crédit ou à des erreurs dans le calcul des intérêts de retard. Par ailleurs, les entreprises en liquidation judiciaire ne sont en principe pas éligibles à la Médiation.
- Le médiateur départemental entre en contact avec l'entreprise dans les 48 heures suivant la saisie du dossier rempli par l'entreprise sur le site www.mediateurducredit.fr, qualifie le dossier de médiation et définit un schéma d'action avec l'entreprise.
- Les établissements financiers sont informés de l'ouverture de la médiation et disposent de 5 jours ouvrés pour revoir leur position. A l'issue de ce délai, si la situation n'a pas évolué, le médiateur contacte les partenaires financiers pour résoudre les difficultés.
En général, deux à trois mois sont nécessaires jusqu'à l'issue de la médiation, qui aboutit avec succès dans plus de 60 % des cas. Dans le cas des dossiers complexes, cette durée peut aller jusqu'à six mois environ. Dans ce cas, le médiateur obtient généralement des partenaires financiers un «crédit-relais» qui permet d'attendre l'issue de la négociation.
Pour en savoir plus: www.mediateurducredit.fr
BIO EXPRESS
Gérard Rameix, 59 ans, conseiller-maître à la Cour des comptes et ancien élève de l'ENA (Promotion Pierre Mendès France), a été nommé Médiateur national du crédit aux entreprises par décret du président de la République en septembre 2009.
De formation juridique et économique, il a auparavant été, de 1993 à 1997, directeur de la Caisse nationale d'assurance-maladie des travailleurs salariés et, de 1997 à 2009, directeur général de la Commission des opérations de bourse puis secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (AM F).
En mars 2010, le p-dg de la Société Générale, Frédéric Oudéa, avait proposé que le dispositif de la Médiation soit mis en sommeil. Une telle décision aurait-elle été judicieuse?
Cette possibilité a été évoquée huit mois avant la fin de la première convention, qui définissait le cadre de l'institution de la Médiation pour les années 2009 et 2010. Rappelons que la Médiation a été créée au lendemain de la chute de Lehman Brothers, dans une période extrêmement difficile pour les entreprises et les banques. Début 2010, lorsque Frédéric Oudéa s'est interrogé sur la nécessité de reconduire la convention, la situation du crédit bancaire était en voie d'amélioration. Néanmoins, la CGPME et l'UPA ont souligné l'utilité du dispositif, qui a été reconduit fin 2010 pour une durée de deux ans, donc jusqu'à fin 2012. Si la situation économique s'est améliorée entre 2010 et début 2011, avec un nombre mensuel de dossiers divisé par trois par rapport au pic de la crise financière, nous constatons depuis juillet 2011 une nouvelle détérioration déclenchée par la crise des dettes souveraines. Concrètement, la Médiation a observé une recrudescence du nombre de saisines: depuis septembre 2011, entre 400 et 500 dossiers sont déposés chaque mois. Ce niveau reste cependant très inférieur à celui de 2009, qui était d'environ 1200.
Quelle est la typologie des entreprises qui vous sollicitent? Et à quel genre de difficultés sont-elles confrontées?
Leur typologie reflète la segmentation du tissu économique français. Le dispositif, ouvert à toutes les entreprises, a été utilisé massivement par des TPE et petites PME qui y trouvent des compétences dont elles ne disposent pas en interne. Près de 96 % des dossiers concernent des entreprises de moins de 50 salariés, et environ 60 % des dossiers traités font apparaître un besoin de financement inférieur à 50000 euros. Actuellement, beaucoup d'entreprises souffrent du ralentissement de la croissance et connaissent une situation de trésorerie tendue. Elles auraient besoin de financer leur BFR et s'apprêtent, par exemple, à demander une augmentation de leur découvert ou de leur crédit de trésorerie, alors que les banques auraient plutôt tendance à les réduire. Dans d'autres cas, les entreprises ont recours à la Médiation quand elles ne sont pas parvenues à obtenir un crédit pour financer un investissement ou une acquisition. Au plan national, toujours en lien avec nos réseaux locaux, nous traitons les dossiers concernant les entreprises de plus de 100 salariés et notamment quelques dossiers d'entreprises sous LBO, qui ont connu des montages trop tendus et se trouvent confrontées au retournement de la conjoncture. Dans tous les cas de figure, nous encourageons les entreprises à solliciter la Médiation dès que leur situation financière commence à se détériorer: souvent, les chefs d'entreprise sont trop optimistes, espèrent que la situation va s'arranger. Ils craignent aussi de nuire à leur image en recourant à la Médiation, alors que notre démarche est strictement confidentielle et entièrement gratuite.
POUR ALLER + LOIN
LES PISTES DU RAPPORT GIAMI-RAMEIX POUR AMELIORER LE FINANCEMENT DES PME-ETI PAR LES MARCHES FINANCIERS
Le rapport sur le financement des entreprises par le marché, rédigé par Gérard Rameix et Thierry Giami, a été publié en février 2012. Commandé par Bercy, il s'attache à déterminer les raisons pour lesquelles les PME et ETI manifestent une perte de confiance par rapport aux marchés financiers: le total de la capitalisation boursière des 574 PME-ETI cotées représente ainsi moins que la capitalisation de la première grande valeur française. «La conséquence pour l'entreprise de marché (NYSE Euronext, NDLR) est que le financement des PME-ETI, s'il fait partie de son activité, n'est pas stratégique», pointe le rapport. Deux voies d'action sont donc envisagées, dont la création d'une bourse des PME-ETI. Filiale de NYSE Euronext dans laquelle la Caisse des Dépôts et Consignations aurait une participation minoritaire, elle permettrait, selon le rapport, de regrouper les marchés PME-ETI existants et de refonder une politique active à l'égard de ces entreprises. L'autre solution, qui fait grincer des dents NYSE Euronext, serait de permettre l'entrée d'un concurrent sur le marché des valeurs moyennes et intermédiaires. Le LSEG (London Stock Exchange Group), fort du succès de l'Ai M -Alternative Investments Market-londonien, dédié aux PME internationales en croissance, a ainsi exprimé son intérêt. De son côté, NYSE Euronext, à l'issue de la première réunion de son Comité d'orientation stratégique dédié aux PME-ETI, a indiqué les priorités de son programme de travail, dont les conclusions seront présentées lors des Journées de Paris Europlace en juillet 2012.
Pour en savoir plus: le rapport est consultable sur le site de la Médiation du crédit:
http://www.mediateurducredit.fr/site/Actualites/
Publication-du-Rapport-sur-le-financement-des-pme-eti-par-le-marche-financier
Quelles solutions la Médiation propose-t-elle?
Elles varient au cas par cas et sont trouvées grâce au dialogue avec les partenaires financiers de l'entreprise. Cela peut déboucher sur le maintien total ou partiel du financement initialement refusé; sur une augmentation de la durée des crédits accordés, pour éviter que l'entreprise ait constamment besoin de négocier; sur la mise en place de garanties pour sécuriser les crédits; ou encore sur des recommandations d'optimisation du BFR en jouant, par exemple, sur les délais de paiement clients et fournisseurs. Dans le cas des LBO, il est souvent nécessaire de restructurer les dettes, de négocier des différés d'amortissement, voire d'obtenir des investisseurs qu'ils réinjectent des fonds propres, ou des banquiers qu'ils consentent des abandons de dettes... La Médiation, au-delà sa participation pour trouver une solution rapide auprès des partenaires financiers, accompagne les entreprises et agit comme un conseil, transitoire et gracieux. Nous discutons avec les chefs d'entreprise et envisageons toutes les solutions qui peuvent permettre d'améliorer leur gestion financière: recours à des cabinets d'audit, opportunité d'accroître les fonds propres, cession d'actifs, crédit-bail...
Vous évoquez le risque de tensions en matière de crédit bancaire, or cette forme de financement est prépondérante pour les entreprises hexagonales. Comment améliorer l'accès au financement des PME/ETI par les marchés?
Les contraintes de Bâle 3 qui s'imposent aux banques ont été inspirées par la tradition anglo-saxonne, dans laquelle le financement des entreprises par le marché est plus important qu'en France. D'ores et déjà, les banques, qui ont anticipé ces contraintes, sont vigilantes quant à l'utilisation de leurs fonds propres. Même si l'on n'assiste pas à un phénomène de tarissement du crédit, puisque sur la dernière année le taux de progression du crédit bancaire reste supérieur à celui du PIB, des inquiétudes sur l'avenir se font d'ores et déjà ressentir. Compte tenu de ces nouvelles règles, il faut donc s'attendre à ce que le financement par les marchés prenne une part grandissante. Il est donc souhaitable de créer un marché actions dynamique pour les PME et ET I, et de rendre des solutions obligataires accessibles aux entreprises de taille moyenne ou intermédiaire dont la signature est susceptible d'attirer les investisseurs. C'est l'objet du rapport sur le financement des PME-ETI par le marché financier, que j'ai rédigé avec le président de l'Observatoire du financement des entreprises par le marché, Thierry Giami, à la demande du ministre de l'Economie et des Finances. Le rapport évoque de nombreuses pistes d'amélioration, parmi lesquelles l'allégement des contraintes administratives liées à la cotation en Bourse, la réduction du coût de la cotation, ou encore la nécessité de créer une filière d'analyse et d'investissement dédiée aux PME-ETI.
Le rapport épingle aussi le manque d'intérêt de NYSE Euronext pour ce segment de marché... Mais le manque d'engouement ne vient-il pas également des PME-ETI elles-mêmes, qui font preuve d'une certaine méfiance vis-à-vis des marchés financiers?
Les PME, et notamment les entreprises familiales, éprouvent fréquemment des réticences quant à la cotation en Bourse: elles redoutent l'ouverture du capital à un tiers et sa possible dilution, ressentent une déconnexion entre la valeur boursière et la valeur économique de l'entreprise... Il n'en reste pas moins que le financement des PME-ETI n'a pas été stratégique pour NYSE Euronext au cours des dernières années, et qu'un choc de confiance est nécessaire pour que les petites et moyennes entreprises disposent d'un accompagnement spécifique à leurs besoins. C'est pourquoi nous envisageons deux pistes: soit la filialisation de l'activité de NYSE Euronext dédiée aux valeurs moyennes, disposant d'une structure de management à même de mieux répondre aux besoins de ce type d'entreprises, soit l'ouverture à la concurrence de ce marché. Car il est urgent d'agir afin d'améliorer l'accès à ce type de financement pour les PME-ETI.
A NOTER
LA MEDIATION DU CREDIT EN CHIFFRES
Selon les chiffres arrêtés au 29 février 2012 par la Médiation, le dispositif a contribué à:
- conforter 15379 sociétés de toutes tailles dans leur activité;
- débloquer 3,7 milliards d'euros hors écrasement des dettes;
- préserver 266 336 emplois en France.
Sur les dossiers à fort enjeu sur l'emploi, les équipes nationales de la Médiation interviennent généralement en appui des équipes locales.