Financements : comment convaincre les banquiers ?
Publié par Eve Mennesson le | Mis à jour le
Remontée des taux, durcissement des accords de crédit... Après le « quoi qu'il en coûte » de la crise du Covid et les emprunts à taux négatifs, les entreprises entrent dans une nouvelle ère en termes de financement. Un webinaire co-organisé par Agicap et Finance & Stratégie a donné des pistes pour convaincre les partenaires bancaires d'octroyer des crédits.
Comment adapter les partenariats bancaires à la nouvelle donne de financement ? C'est la question à laquelle ont répondu Jean-Marc Tariant, auteur d'ouvrages sur les relations bancaires et fondateur de Finance & Stratégie, cabinet conseil spécialisé en ingénierie financière, financement et cession/acquisition d'entreprises, et Philippe Cheron, directeur général d'Agicap France, solution de pilotage de trésorerie, lors d'un webinaire sur le sujet. Au menu, dossier solide et transparent, multibancarisation et relation de proximité.
Construire des scénarios prudents
Premier conseil, de Jean-Marc Tariant : constituer un dossier solide. « Il ne faut pas se contenter d'un prévisionnel mais livrer un dossier de 20/25 pages qui met en musique différents scénarios qui s'appuient sur des données économiques et une visions stratégique », recommande-t-il. Il déplore que, trop souvent, les entreprises ne proposent qu'un prévisionnel unique, trop optimiste et qui n'explique pas les besoins de financements.
L'optimisme n'est en effet pas l'état d'esprit des partenaires banquiers : il faut donc préférer des scénarios prudents. « Il n'y a pas de place pour le risque au sein des banques. Le banquier n'est pas un capital risqueur, il n'a pas de vision de plus value », souligne Jean-Marc Tariant. Il s'agit donc de présenter différents scénarios qui soient raisonnables.
Prévoir large en termes de financement de trésorerie
D'autant plus qu'un trop grand optimisme peut se retourner contre l'entreprise. « En termes de financement de trésorerie, il vaut mieux être prudent, voire pessimiste. Il n'y a en effet rien de pire que de devoir refaire une demande de financement quelques mois plus tard », insiste Philippe Cheron. Il invite donc à prévoir large, quitte à placer l'argent dont on ne se sert pas. En effet, si emprunter coûte plus cher, il y a également davantage de possibilités de placement.
Pour le directeur général d'Agicap France, se montrer prudent est également le témoignage d'une certaine maturité auprès des banques. « Cela montre qu'on connait les hypothèses structurantes de son métier », pense-t-il. Et d'ajouter : « Quand un banquier analyse un dossier, s'il le trouve trop optimiste, il va le downsizer de lui-même. Donc autant avoir un discours d'honnêteté et de transparence à travers différents scénarios ».
Théâtraliser la demande
Une fois le dossier monté, il s'agit de théâtraliser la demande. Pour Jean-Marc Tariant, le rendez-vous bancaire doit se faire dans l'entreprise. « On invite les partenaires bancaires à venir dans l'entreprise dans le cadre d'une réunion sur la demande de financement. Cela permet de faire visiter l'entreprise, de faire un rappel de son historique, de son actionnariat, de stratégie avant de présenter sa demande de financement », décrit-il.
Etre dans ses murs permet de mener la danse. Ainsi, le dossier ne doit pas être envoyé en amont de la réunion mais donné au cours de cette réunion. Au risque, sinon, de ne se retrouver qu'à répondre aux questions du banquier, qui reprend la main sur le rendez-vous. Il sera alors plus difficile de présenter sa stratégie et surtout de poser ses conditions.
A savoir également : un banquier prête de l'argent non pas à une entreprise mais à des personnes, une équipe. Une réunion de ce type permet de présenter physiquement l'ensemble de l'équipe : une telle rencontre est bénéfique pour créer un lien de proximité, utile à l'obtention du prêt mais aussi aux relations futures.
Lors de ces réunions, il faut bien évidemment négocier pour obtenir les meilleures conditions possibles. Jean-Marc Tariant pense d'ailleurs qu'un client qui ne négocie pas peut inquiéter les banques qui s'imaginent qu'il ne négocie pas non plus avec ses fournisseurs ou ses clients... « Par ailleurs, il faut comparer les frais de service : le rapport peut aller de un à huit selon les banques », ajoute-t-il. Cependant, ces négociations ne doivent pas non plus mettre le partenaire bancaire dans une situation compliquée : l'entreprise et la banque doivent être gagnantes sur la durée, afin de s'assurer d'une relation équilibrée et l'octroi de prêts futurs.
Opter pour la multibancarisation
Ce rendez-vous de demande de financement doit être l'occasion de rencontrer plusieurs banquiers, et notamment des prospects. En effet, la multibancarisation est préférable pour obtenir des financements. « Etre monobanque est risqué, estime Jean-Marc Tariant. On dépend du bon vouloir d'un seul interlocuteur ». Un interlocuteur qui, de plus, peut changer : si ce changement a lieu à un moment où l'entreprise rencontre des difficultés, la relation solide qui a pu se construire par le passé ne sert plus à rien.
Diversifier ses banques permet non seulement de répartir ses demandes de financements mais aussi d'accéder plus facilement aux financements. « Un banquier regarde trois choses : le marché, le projet et l'équipe qui porte le projet. S'il croit en l'équipe, qu'il y a un marché et que la stratégie est bonne, il a envie d'y aller. Si en plus d'autres banques y vont, que l'Etat accompagne avec des subventions... Il a vraiment envie de suivre », rapporte Jean-Marc Tariant.
Autre avantage à la multibancarisation : avoir accès à différentes sortes de banques avec des comportements différents, qui suivront ou non selon les projets. Ainsi, il est bien d'avoir dans son pool bancaire des banques mutualistes, des banques régionales, des banques internationales... Elles ne réagiront pas toutes de la même façon.
Entretenir la relation
La période à laquelle on fait sa demande de financement est également importante. Jean-Marc Tariant raconte en effet que les banquiers sont moins regardants durant le premier trimestre de l'année civile. « Les banquiers ont des objectifs annuels qu'ils ont envie de réaliser dès le début d'année, afin d'avancer. Janvier, février, mars représentent donc la meilleure période pour récolter du crédit. Les entreprises viennent avec un bilan frais, ce qui facilite les choses », explique-t-il.
Enfin, une fois le financement accordé, il s'agit d'entretenir sa relation avec ses partenaires bancaires, afin de pouvoir obtenir d'autres demandes de financement à l'avenir. Jean-Marc Tariant invite ainsi à répartir les encours et les flux proportionnellement au risque pris par l'établissement bancaire afin de garantir un lien de confiance.
La confiance s'entretient aussi en tenant au courant l'entreprise de l'évolution de l'entreprise. Jean-Marc Tariant recommande de rencontrer ses banquiers deux fois par an au minimum et ce physiquement pour entretenir le lien d'individu à individu. « En-dehors de ces rencontres, ne pas hésiter à informer ses partenaires si les scénarios doivent changer, que les prévisions évoluent différemment... et de présenter de nouvelles solutions. Il serait dommageable qu'ils s'en rendent compte ultérieurement par eux-mêmes », indique le fondateur de Finance & Stratégie. Il rappelle en effet que le mot « crédit » vient du latin « credo » qui veut dire « confiance ».