Matthieu Lagesse (Renault Trucks France): « Comment la direction financière accompagne la transition du groupe vers l'électrification »
Publié par Stéphanie Gallo Triouleyre le - mis à jour à
A 45 ans, Matthieu Lagesse est le nouveau directeur financier de Renault Trucks France. Dans cette nouvelle fonction, il sera au coeur des enjeux de transformation de Renault Trucks vers la décarbonation. Il nous livre sa feuille de route.
Vous avez endossé en novembre dernier cette nouvelle casquette de DAF de Renault Trucks France (9.400 salariés ; 70.000 véhicules vendus en 2023) mais vous connaissiez déjà bien le groupe puisque vous avez été contrôleur de gestion de Volvo Trucks France, puis responsable du contrôle de gestion de Renault Trucks France et enfin DAF au sein de la direction « Véhicules d'occasion et circularité » de Renault Trucks France. Les défis que doit relever le groupe ne sont donc pas vraiment nouveaux pour vous ?
C'est vrai et faux à la fois car la Direction Véhicules d'occasion vers laquelle j'étais parti ces dernières années porte ses propres enjeux et ses propres défis financiers. Et dans ce laps de temps, ces quelques années à peine, ceux de Renault Trucks France, et du marché en lui-même, ont évolué très fortement. Je dois donc réapprendre ces nouvelles priorités. Pour résumer le bouleversement le plus important que connait notre activité : il y a cinq ans, nous commencions juste à parler d'électrification, aujourd'hui, il s'agit du sujet numéro 1. Pour le groupe et donc pour moi.
L'électrification représente un enjeu technologique pour les équipes R&D, un enjeu commercial pour les équipes de vente, un enjeu industriel pour les équipes de production. Et donc aussi un enjeu financier pour la direction financière ?
Oui, indéniablement car cette électrification bouleverse le modèle économique. Comment on modélise ce nouveau schéma, comment on le sécurise financièrement, comment on établit notre prévision etc. Aujourd'hui, le modèle économique, appuyé sur les véhicules thermiques, est bien établi. Nous savons globalement combien nous vendons nos véhicules neufs, combien nous gagnons sur ces ventes, puis sur la maintenance des véhicules. Avec l'électrique, les modèles sont à construire.
De quels modèles parlez-vous exactement ?
Demain, c'est-à-dire quasiment aujourd'hui en réalité puisque la transition électrique est enclenchée, nous allons vendre des véhicules dont le prix est significativement plus élevé. Les implications sont nombreuses : est-ce que nous devons rester sur un système patrimonial, est-ce que nous devons nous orienter vers du locatif ? Et donc, dans ce cas, quel est l'impact sur notre BFR, notre immobilisation de cash ? Il faut aussi étudier la question de la maintenance de ces nouveaux véhicules électriques sous un angle économique car elle est très différente de celle d'un véhicule thermique. Et donc quel est l'impact financier, qu'il soit positif ou négatif d'ailleurs. Nous devons aussi regarder quelles sont les conséquences pour nos distributeurs externes et internes. Autre sujet : quelle sera la valeur résiduelle de ces véhicules dans cinq ou dix ans.
Sur tous ces sujets, nous réalisons beaucoup de modélisations afin d'évaluer au mieux les risques. Depuis un et demi, de très nombreux schémas ont été élaborés, par itération. Ce n'est pas facile car le marché est encore petit d'une part par rapport au diesel et au biocarburant et, d'autre part, parce que nous ne pouvons pas, ou très peu, nous appuyer sur l'expérience de nos concurrents puisque nous détenons 75% du marché du camion électrique. Mais progressivement, nous avançons, le chemin s'éclaircit petit à petit.
Ces sujets engagent toute l'entreprise et l'ensemble du management dans cette transformation. Vous, en tant que DAF, sur quels sujets intervenez-vous plus particulièrement et dans quelle mesure pouvez-vous apporter des réponses aux interrogations liées à la transition vers l'électrique ?
Ma prédécesseure avait déjà commencé le travail. Ce travail de modélisation relève très exactement de ma fonction. Pour cela, nous devons comprendre l'ensemble des sujets. Cela passe par une coordination avec les équipes commerciales, mais aussi avec les directions fiscales, les directions juridiques, et avec notre captive financière qui aura un rôle majeur pour développer avec nous des modèles de financement pour nos clients mais aussi pour nos distributeurs. Nous l'avons renforcée récemment car nous voulons financer beaucoup plus de véhicules.
Sur ce point d'ailleurs, je n'hésite pas à aller à la rencontre des clients grands comptes et de leurs directeurs financiers pour construire des offres de financement, viables pour eux et pour nous en termes de trésorerie. Je le fais maintenant, car nous sommes en phase de construction, mais je pense que je continuerai de le faire à l'avenir. Pour moi, cela fait partie de mon job.
Ce travail nécessite-t-il de nouvelles compétences dans votre équipe ?
De manière générale, l'électrification va forcément créer de nouveaux métiers. Dans la fonction finance, pas forcément puisque la modélisation, nous savons déjà faire. Ceci étant dit, au-delà de cette transition électrique, la fonction finance de Renault Trucks France évolue avec les diverses transformations technologiques, comme c'est le cas dans toutes les entreprises.