Spécial Financium 2019 : Faut-il anticiper sur la prochaine crise financière ?
Publié par Camille George le - mis à jour à
" Comment allier sens et complexité " était le thème choisi du Financium 2019 et ce n'est pas un hasard. Dans un monde globalisé où chaque pièce de l'échiquier peut subir les conséquences des mouvements des autres, faire des projections sur l'avenir, même proche, devient un véritable casse-tête.
Le contexte économique mondial est sous tension. Ce n'est pas une nouveauté. Le problème est qu'aujourd'hui tout va très vite. Un épiphénomène à un endroit de la planète peut avoir des répercussions à des milliers de kilomètres de là. Au sein de la sphère économico financière, la crainte d'un effet papillon n'a jamais été aussi forte. "Le monde est devenu un grand village, illustre Bruno de Laigue, directeur financier et président du réseau des dirigeants financiers (DFCG). Tout se sait très vite, ce qui se passe au fin fond de contrées lointaines se sait en temps réel à l'autre bout du monde."
Les signaux négatifs s'accumulent
L'écho des tensions politico-économiques d'un pays est de plus en plus fortes au plan international. Les entreprises de toutes tailles, présentent ou non à l'international, peuvent en subir les effets. C'est le cas avec les tensions commerciales entre les blocs Etats-Unis/ Chine. "Ces tensions ont des conséquences pour tous les pays du monde. Les décisions américaines, on l'a vu avec l'Iran peuvent avoir des conséquences fâcheuses pour les entreprises françaises. Ainsi, Peugeot qui avait ouvert une nouvelle usine en Iran, a été contraint de se retirer eu égard à la décision de boycotte des Américains", relate Bruno de Laigue.
Mais cela ne se résume pas à ces deux grandes puissances. Au Moyen-Orient, en Afrique, en Russie, en Amérique Latine et bien sûr en Europe, le contexte mondial est devenu extrêmement complexe. Cela est dû au fait que "les enjeux économiques, politiques et sociétaux s'imbriquent alors même que les pays sont d'une manière ou d'une autre étroitement liés," reconnaît le président de la DFCG. Comprendre les enjeux mondiaux permet de mieux appréhender l'écosystème et, in fine, de donner du sens à son métier, à sa place dans l'entreprise. Être prêt à relever les défis induits par les évolutions de notre monde, voilà ce à quoi doit faire face le directeur financier.
Une crise inédite se profile
Et le premier défi sera sans doute d'affronter une nouvelle crise financière mondiale. Depuis deux ans tous les éléments sont réunis pour qu'une nouvelle crise financière ait lieu, reconnaît René Ricol, figure emblématique du monde
"La capacité de l'Europe à se réorganiser pour peser dans les décisions économiques et politiques de demain sera déterminante pour nos entreprises."
Bruno de Laigue, président de la DFCG.
des affaires, co-fondateur du cabinet Ricol et Lasteyrie et spécialiste de l'évaluation financière. " Il existe deux types de crise financière : la crise du surinvestissement liée à un secteur ou une zone géographique, ce qui crée un incident de croissance dans le développement de l'activité économique. Et la crise purement financière, comme en 2008 et 1929, qui touche d'abord le secteur bancaire. " En effet, faire de l'argent sur de l'argent ne peut être qu'utopique. " 2+2 de font pas 5 et ne le feront jamais ", assène René Ricol.
Malheureusement, force est de constater que les marchés ont renoué avec leurs travers passés fondés sur la spéculation et la manipulation boursière. " Lorsqu'on voit dans les opérations d'acquisition les multiples d'Ebitda enregistrés alors qu'à l'inverse les délais de paiement se dégradent, on ne peut que craindre le pire. Il y a à mon sens plus d'argent que le monde ne peut en gérer. L'endettement excessif sur les acquisitions est démesuré et déraisonnable ", déplore René Ricol.
Mais la prochaine crise financière sera différente d'après l'expert qui prévoit une combinaison des deux formes de crise précitées. Selon René Ricol si une crise arrive elle touchera moins les banques (qui se sont soumises à des contrôles et des règles de sécurité plus draconiennes) que les épargnants. " A mon avis les épargnants seront en première ligne, parce qu'aujourd'hui les placements se font sur des fonds mixtes euros/unités de compte, parce qu'il y aura aussi des pertes sur le private equity, parce que les sociétés seront obligées de provisionner des actifs qu'elles auront acheté trop cher, parce que des fonds ne pourront plus rembourser des dettes d'acquisition de sociétés. Ce sera donc une crise mixte, plus dangereuse car elle touchera à la fois à l'activité économique et à l'épargne."
...Et pourtant le status quo s'éternise
Mais pour que crise il y ait, il faut un élément déclencheur. Or, pour le moment il n'y en a pas. Les entreprises comme les organisations financières sont dans une situation de "statu quo" désagréable. Les risques ont beau être identifiés, impossible de prédire quel sera le phénomène déclencheur. Cela peut être tout, sur n'importe quoi : panique boursière, chute d'un fonds majeur, rupture d'un pays en incapacité de rembourser sa dette, dérèglement climatique... " La déclencheur de la crise de 2008 était la perte de confiance envers Leman Brothers. Je serais étonné que les Etats-Unis fassent deux fois la même erreur, estime René Ricol. A l'heure actuelle tous les acteurs économiques et politiques sont extrêmement vigilants ", note-t-il.
Le Daf, ce pilote de haute volée
Dans cette période trouble, le rôle du Daf est clé puisque son action est au service du développement de l'entreprise. Il doit à la fois penser développement tout en évaluant les risques. Notamment le
" Plus que jamais, une entreprise, a fortiori une PME, doit être prudente, adapter sa vitesse de croissance et consolider ses bases avec des capitaux propres. "
René Ricol, homme d'affaires, expert financier.
risque en cas de retournement des tests d'" impairment " pourraient l'amener à déprécier des valeurs, des acquisitions. Être à la fois dans l'action et dans la prudence et la prévision. On l'a vu le Daf agit dans un environnement de plus en plus complexe d'un point de vue macro-économique mais aussi micro-économique notamment au niveau des standards comptables toujours plus complexes à lire et analyser. " On a de plus en plus de mal à se faire une idée précise de la situation économique d'une entreprise à un instant T. C'est pourquoi le directeur financier ne doit pas hésiter pour ses tableaux de suivi et son approche de la gestion de l'entreprise à revenir un ensemble d'éléments basiques : la trésorerie, les investissements, l'Ebitda. " En somme, il doit raisonner en termes de cash-flow et de risques sur cash-flow.
Autre conseil de celui qui a affronté deux crises financières dans sa carrière : s'interroger en permanence sur le meilleur choix entre croissance exogène lourde d'un côté et le couple croissance endogène et acquisition de compétences en interne soit par recrutement soit par l'achat de savoir-faire dans des start-up par exemple. Enfin pour René Ricol, il importe d'avoir une vision globale long terme. " Plus tôt on amorce les virages mieux on se porte. Il ne faut pas hésiter à réduire ses résultats d'une année pour soutenir ses développements futurs. " Être dans la gestion dans le temps long autant que dans l'opérationnel, arriver à traduire cette complexité multiple en règles simples, c'est toute la complexité et la richesse du métier de directeur financier.