Les management fees : une source inépuisable de redressements
Publié par Serge Lambert, Valentin Lescroart, Cabinet Fidal le - mis à jour à
La lecture de la jurisprudence en matière de prix de transfert fournit un bon aperçu des sources de litiges avec l'administration. Les services administratifs rendus par une société d'un groupe à d'autres sociétés étrangères du groupe demeurent une cause récurrente de redressement.
Dans un arrêt récent(1), une Cour Administrative d'Appel a validé le redressement opéré par l'administration qui avait estimé que les management fees payés par une entreprise française à une société étrangère du même groupe n'étaient pas déductibles. Cette décision s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence sur ce sujet. La Cour rappelle les obligations tant du contribuable que de l'administration et nous donne ainsi l'occasion de revenir sur les bonnes pratiques en la matière.
Retour sur l'arrêt : pourquoi la déductibilité des management fees est ici refusée
Au cours d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause les paiements effectués par une société française à une société étrangère au motif que ces paiements n'auraient eu aucune contrepartie.
Le juge de l'impôt a confirmé cette position en rappelant que de simples factures, sans autre élément matériel de preuve, ne suffisent pas à démontrer que la prestation était réelle. L'existence d'une convention de prestations de services entre les deux sociétés n'a pas non plus été jugée comme un élément déterminant.
Ainsi, dans le contexte de ses investigations, l'administration recherchera si les services facturés ont bien été rendus en pratique. Si le principe demeure que la charge de la preuve pèse sur l'administration, dans l'affaire citée ci-avant, la Cour a bien pris soin de relever que le contribuable n'avait fourni aucun élément de nature à permettre à l'administration d'opérer son contrôle et de justifier l'exécution réelle des prestations au bénéfice de la société française.
Un sujet de vérification récurrent et bien maîtrisé par l'administration
Dans un contexte international, l'administration fonde ses redressements sur deux articles du code général des impôts, l'article 39 et l'article 57. Si ces deux articles ne suivent pas le même régime probatoire, on constate toutefois des rapprochements.
En pratique, et de façon simplificatrice, selon qu'elle remettra en cause l'existence même de la prestation ou son quantum, la charge de prouver l'anormalité reviendra toujours à l'administration mais, dans le second cas elle devra se livrer à une démonstration plus avancée.
Elle peut démontrer que la société française n'a reçu aucune contrepartie au paiement des management fees. Dans ce cas, le contribuable devra apporter des éléments pour combattre la présomption que l'administration aura fait naître. Cette situation, qui correspond au cas du présent arrêt, est très restrictive : dès lors que la société française reçoit une contrepartie à son versement, même faible, l'avantage par nature disparaît et ne peut être qu'un avantage par comparaison. Il a ainsi été jugé par le Conseil d'Etat que le fait pour une société de payer un forfait global pour un ensemble de services dont certains lui bénéficiaient et d'autres non, ne permettait pas, à défaut de pouvoir identifier quelle part du montant forfaitaire correspondait à quel service, de caractériser un avantage par nature et donc non déductible de son revenu.(2)
Le cas d'une surfacturation du service est plus difficile à établir pour l'administration comme le montre la jurisprudence : elle doit dans ce cas démontrer que la société française a payé trop cher pour les services dont elle a bénéficié, et ce par comparaison avec ce qu'aurait accepté de payer une société indépendante du prestataire dans des circonstances comparables. Pour pouvoir procéder à un redressement, elle doit par ailleurs déterminer le montant de cet écart.
Les bonnes pratiques pour arrêter et protéger sa politique de management fees
Quelques éléments tirés de la jurisprudence et de l'expérience des contrôles fiscaux peuvent être mis en exergue :
Rechercher la réalité de la contrepartie
il est essentiel de pouvoir étayer l'existence des services payés. L'arrêt mentionne plusieurs choses qui auraient pu constituer des éléments à décharge pour le contribuable comme " par exemple, des agendas, des comptes rendus de réunion, des actes juridiques relatifs à la gestion et à l'administration des filiales concernées ou plus généralement tout autre document relatif aux prestations en cause, qui serait de nature à justifier de leur exécution réelle. (...)". Cette liste n'est pas exhaustive et l'on peut imaginer d'autres éléments au cas par cas qui constitueraient des justificatifs.
Vérifier l'intérêt du service pour le bénéficiaire
Il faut également s'assurer que le service apporte une valeur ajoutée à la filiale qui l'acquiert et qu'il ne fait pas double emploi avec les fonctions qu'elle porte ou les services qu'elle achèterait auprès de tiers voire même d'autres sociétés de son Groupe.
Attribuer la bonne valeur au service
Même quand la prestation facturée a un intérêt avéré pour son bénéficiaire, l'administration peut en contester la valeur. Deux facteurs déterminent ce montant : la base de coûts inhérente aux prestations et la marge qui lui est appliquée. Il convient de rappeler que l'administration est fondée à réclamer le détail du calcul de la facturation. Si le même service est rendu par une entité centrale à plusieurs entités du Groupe, la question des clefs d'allocation peut également être un sujet de débat avec l'administration.
Il est utile de réaliser un tel audit de sa propre initiative et non pour la première fois dans le contexte de la demande d'un vérificateur. À cet égard, il est aussi important d'obtenir des réponses aux questions ci-avant que de recueillir les justificatifs qui pourront être présentés au vérificateur. La documentation des prix de transfert, dont la rédaction s'impose à certaines sociétés, et est recommandée aux autres, peut être l'occasion de présenter ces informations.
Enfin, ce qui a été dit ci-avant vaut également dans le cas d'un prestataire français car l'administration française voudra alors s'assurer que le montant facturé est suffisant, et son homologue étrangère qu'il n'est pas exagéré.
Les management fees restent donc un sujet sur lequel, comme le rappelle ce récent arrêt, il convient de rester vigilant à tout point de vue.
Valentin Lescroart, avocat associé, cabinet Fidal
[1] Cour administrative d'appel, Versailles, 3e chambre, 28 Janvier 2020 - n° 18VE00059, 18VE02329, SAS Groupe LAGASSE EUROPE
[2] Conseil d'Etat, 8e-3ech. 25-6-2018 n° 407232, SARL Property Investment Holding France