Directions financières : 5 enjeux de 2024 passés au crible
Publié par Christina DIEGO le - mis à jour à
Les fonctions financières des entreprises ont connu une année 2024 riche en rebondissement : entre la nouvelle directive CSRD, le décalage de la réforme de la facturation électronique, le pilotage de la performance de l'entreprise, les enjeux d'IA et de cybersécurité toujours prégnants, quelles leçons peut-on tirer de ces grands défis qui ont marqué l'année pour les Daf ? Eclairages avec Laurent Morel, associé consulting Finance chez PwC France et Maghreb, expert des sujets de transformation des directions financières.
1- La réforme de la facturation électronique
Plusieurs études indiquent que les entreprises (ETI et PME) ne sont pas encore prêtes pour l'échéance de la réforme de la facture électronique. Quels sont les freins majeurs que l'entreprise rencontrent, notamment au niveau des directions financières ?
« Il y a deux grands sujets. Le premier, pour lequel il est nécessaire de bien se préparer et d'anticiper, c'est l'analyse des flux et notamment le flux sortant de la facturation client qui a été moins digitalisé dans les entreprises que le flux entrant de factures fournisseurs », nous indique Laurent Morel, associé chez PwC. C'est un des chantiers qui nécessite un gros travail pour « savoir où sont les points de difficultés et comment digitaliser les factures pour récupérer la donnée en conformité avec la réglementation ». Deuxième sujet selon l'expert, la facturation électronique se complexifie sur les cas particuliers. « Le champ d'application de la facturation électronique est très large, et les difficultés sont souvent d'avantage sur les flux atypiques que sur les flux courants de l'entreprise » et il faut les analyser en amont. Ce sont des sujets importants pour plusieurs raisons. Pour l'entreprise, « c'est un moyen de remettre de l'ordre dans ces processus et notamment ceux de facturation client. Ce qui peut avoir une vraie valeur. », souligne-t-il. Et également , « c'est aussi un moyen de remettre sous contrôle les cas atypiques». Il y a un effet de « vrai retour sur investissement » à aller chercher.
« L'année 2025 sera donc cruciale », précise Laurent Morel. Outre le fait de choisir la bonne plateforme, il faut faire ce travail d'identification de tous les flux qui doivent rentrer dans le cadre de la réforme, et mener les travaux en interne pour que tout soit fluide. « Je trouve d'ailleurs l'échéance à la fois suffisamment lointaine pour laisser le temps de faire des choses et suffisamment proche pour ne pas se dire qu'on le fera plus tard ».
2- La nouvelle directive CSRD
Aujourd'hui, un certain nombre de grandes entreprises semblent prêtes pour l'échéance de janvier 2025 et la publication du rapport extra-financier rendant compte de la double-matérialité dans le cadre de la CSRD. Mais alors quels changements cela impliquent pour le Daf ?
Le principal objectif du déploiement de la directive européenne est de rendre compte à la fois du développement durable et de la finance. « L'un ne doit pas s'opposer à l'autre, mais on ne peut pas faire l'un sans l'autre », insiste Laurent Morel. Et les directions financières ont un vrai rôle à jouer selon lui. « La première étape, la double-matérialité, permet de revisiter les grands enjeux stratégiques de l'entreprise et ses impacts, en prenant en compte les impacts financiers et extra-financiers », ajoute-t-il. Pour le Daf, « c'est un moment où financier et sustainability se sont parlé et ont travaillé ensemble pour répondre à cette exigence », note Laurent Morel. Une conséquence très positive pour lui.
Ensuite, il y a eu une deuxième phase, plus rugueuse, de la déclinaison de la CSRD avec l'ensemble des Kpi's pour laquelle le cabinet PwC a d'ailleurs accompagné de nombreuses entreprises. « Il y a eu un moment un peu suspendu quand les directions financières ont vu l'ampleur des éléments à fournir et des questionnements ont émergé, du « pourquoi » à « dans quel intérêt ». En effet, je pense qu'il est important de donner du sens à la CSRD en expliquant qu'elle redonne une nouvelle vision stratégique à l'entreprise », précise-t-il.
Un troisième effet réside dans le fait que pour la CSRD, « il y a une vocation d'arriver au même niveau d'auditabilité que dans la finance ». De ce fait, il y a une exigence de la fiabilité des données, des processus qui les supportent et leur mode de contrôle pour que tout soit comparable. « C'est ce qui représente clairement le plus gros effort », précise l'expert.
Pour les entreprises de la vague 2, l'échéance est au 1er janvier 2026. « Pour une ETI, la double-matérialité est tout aussi stratégique que pour les grands groupes, mais le nombre de sujets matériels est généralement moins nombreux que pour un grand groupe, sauf si vous êtes dans des cas spécifiques. Ces ETI ont en conséquence moins de Kpis et d'indicateurs à produire », détaille Laurent Morel. Certaines ETI peuvent avoir une centaine de Kpis quantitatifs à produire alors qu'une grande entreprise est à 300 voire 400 indicateurs. Encore une fois, l'expert insiste sur la valeur ajoutée de faire ce travail d'identification de l'impact. « La CSRD est un moyen de montrer la valeur de l'entreprise sur une dimension développement durable, et in fine sur la valeur même de l'entreprise. Les Daf peuvent l'intégrer aussi bien dans les performances de l'entreprise que dans les décisions de gestion. »
3-Le pilotage de la performance de l'entreprise
Dans l'étude sur « Quelles seront les priorités du Daf en 2025 » du cabinet PwC de novembre dernier, le pilotage de la performance de l'entreprise repasse en numéro 1 pour 2025. Qu'est-ce que cela implique en termes d'outils dans l'entreprise ? La fonction métier financière va-t-elle évoluer ou est-ce une adaptation à une période de turbulences qui s'annoncent ?
Le fait que le pilotage de la performance revienne en numéro 1 démontre la dimension incertaine et les profondes mutations dans l'environnement économique. « Les directions financières avaient beaucoup "appris" durant la période COVID, notamment à travailler avec une vision beaucoup plus agile du pilotage de la performance : scénarisation des budgets, amplification des rolling forecast », nous explique Lauret Morel. Beaucoup d'entreprises ont d'ailleurs modifié leurs outils et leurs méthodes pour répondre à ces besoins d'agilités. « Nous voyons également deux autres tendances de fonds sur le sujet : la première est comment l'IA peut être une aide à la prévision et la seconde comment prendre en compte plus largement les dimensions RSE dans la vision du pilotage de la performance globale, financière et extra-financière ? », détaille-t-il. Pour lui, ces tendances sont un enrichissement des métiers des directions financières.
4- L'IA et les risques cyber
L'IA et les risques cyber sont déjà bien présents depuis ces dernières années dans le spectre des points d'attention des DAF, faut-il s'attendre à un renforcement des risques ou au contraire à un relâchement ?
« Oui, les risques cyber ont été dans le top des risques identifiés des fonctions financières cette année et le seront en 2025 », explique Laurent Morel. Il y a eu une prise de conscience que le risque cyber peut concerner toute entreprise, petite ou grande, ce qui a eu comme conséquence de le rendre hautement prioritaire pour les directions financières. « D'ailleurs, ces dernières sont concernées à deux titres. D'une part parce que comme n'importe quelle fonction d'entreprise, le Daf est exposé à des risques cyber en tant que tel ; et c'est une fonction qui est depuis longtemps très digitalisée d'autre part », indique l'expert. Les directions financières fonctionnent avec beaucoup d'automatisation, de publications « mais aussi parce qu'elles détiennent le cash, c'est un organe absolument vital d'une entreprise ». Il estime que les directions financières seront toujours concernées, car même si ce sont d'autres fonctions d'entreprise qui subissent un risque cyber, « il y a des impacts financiers qui sont à prendre en compte, tant en préventif qu'en curatif. »
L'IA est un autre sujet d'intérêt pour les directions financières. « Pour les directions financières qui ont déjà les outils, la question est de savoir comment l'IA s'intègre dans les process », explique-t-il. L'expert évoque un point d'attention : la notion de passage à l'échelle entre les différents métiers dans une même équipe vis-à-vis de l'IA.
Ensuite, la direction financière est structurellement basée sur le normatif, les règles, etc. Et l'IA générative est quant à elle un modèle probabiliste, avec des notions de traçabilité et de reproductibilité à démontrer. C'est très positif pour certaines choses comme de la pré-analyse, du pré-commentaire qui permettent d'accélérer le travail d'un contrôleur de gestion ou d'une personne qui va rédiger une analyse financière. Pour d'autres choses, cela sera beaucoup moins compatible avec ce qu'on attend d'une direction financière. « Est-ce que l'IA va évoluer ? Sans doute puisque quand on voit les pas réalisés en un an, c'est manifeste. Est-ce que ça va être un miracle technologique ? Je n'y crois pas non plus parce que je pense que fondamentalement c'est l'organisation qui va bouger. Il s'agit d'une aide pour ces évolutions et c'est plutôt cette évolution qu'il faut aller chercher », analyse Laurent Morel.
5-RSE : le sujet de l'ultra-local émerge
Dans l'étude des priorités des DAF pour 2025, le cabinet PwC a mis en évidence une tendance pour 2025 : la projection des Daf dans un monde « ultra-local ». Laurent Morel souligne « J'ai eu des débats absolument passionnants entre les mouvements macro-politiques qui émergent, les sujets de pression sur les chaînes d'approvisionnement, la résilience qui doit exister, tout cela donne une forme de pression à mon sens assez importante sur la capacité à réfléchir son business dans du multi-local ». Pour l'expert, les sujets du costing, d'analyse du coût de revient, de vision de la manière dont on détermine le pricing vont revenir sur le devant de la scène pour les directions financières.