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Comment faire une offre de prix en période d'inflation

Publié par Michel Noiry, président d'Origa Consulting le - mis à jour à

Peu de dirigeants s'en souviennent mais, en période d'hyper inflation, un des principaux obstacles consiste à intégrer le délai entre le devis et la commande. L'analyse en composantes principales permet de modéliser coûts et marge. C'est également une opportunité pour repenser les processus afin d'optimiser les coûts.

Tout est mouvant en période d'inflation. Au temps des certitudes succède celui de l'anticipation. Dans ce contexte, l'établissement des prix de vente devient un travail d'équilibriste pour les entreprises qui doivent conserver leurs marges sans sortir du marché. Celles-ci ne sont pas, cependant, totalement démunies et disposent de leviers qu'elles avaient perdu l'habitude d'actionner. Les plus agiles, les plus visionnaires, celles qui anticipent le mieux, pourraient même tirer parti de la situation pour améliorer leurs résultats.

Une inflation bientôt à deux chiffres

Ces derniers mois, la flambée du coût des intrants a entraîné des hausses de prix qui ne cessent de battre des records. Tirée par les prix de l'énergie et de l'alimentaire, l'inflation se diffuse dans une grande partie de l'économie, certains secteurs étant plus touchés que d'autres. En rythme annuel, l'inflation en France atteint 5,6 % en septembre 2022, selon les données provisoires de l'Insee. Ce constat risquant de s'accentuer dans les mois à venir.

En effet, les hausses résultent des tensions sur l'énergie et des perturbations générées par la guerre d'Ukraine mais aussi de facteurs sous-jacents qui désorganisent la supply chain depuis 2020. A la différence des fonctions administratives qui s'accommodent apparemment bien du télétravail, les unités de production ont souffert des absences du personnel sur les chaînes et dans les entrepôts. Les stocks se sont vidés créant des phénomènes de pénurie. On constate des augmentations des coûts dans de nombreux secteurs comme les transports internationaux (jusqu'à +500 %), les matières premières (+30 %), les composants électroniques (de +30% à +50%) et même la papeterie et les articles de bureau (+10%). Ceci sur fond de reprise de la demande. Dans ce contexte, les ruptures d'approvisionnement en Chine et les inconnues sur les approvisionnements de gaz en Europe ont enclenché un processus difficile à arrêter. Il faut s'attendre à voir refleurir un taux d'inflation à deux chiffres que l'on n'avait pas connu depuis plus de quarante ans dans les économies occidentales.

Une situation qui rappelle les années 70-80

Qui se souvient encore, de la gestion en période d'hyper inflation ? Pourtant l'époque n'est pas si lointaine où, entre 1974 et 1983, le taux d'inflation annuel moyen s'est élevé en France à 11,25% avec des poussées à plus de 13%. Soit un doublement du niveau moyen des prix en 10 ans et une augmentation des rémunérations ou une perte de pouvoir d'achat équivalente. Le taux d'inflation retombant sensiblement au-dessous de 10% à compter de 1984.


Dans ce contexte, où rien n'est écrit, où le niveau des prix peut flamber dans un secteur et rester inchangé dans d'autres, les entreprises doivent apprendre à louvoyer et à anticiper.

Le casse-tête des devis en période d'hyper inflation

Adieu la période de stabilité où tous les paramètres étant connus au moment de faire une offre de prix, il était relativement facile d'anticiper le niveau de marge au moment d'établir un devis.

En période d'hyper inflation, doublée de pénuries ponctuelles et d'une visibilité nulle à 6 mois, tout devient complexe. En effet, entre le moment où est établi un devis ou une offre à un marché public et celui où le client passe effectivement commande, il faut compter, suivant les secteurs, entre 3 et 6 mois. A ce délai s'ajoute le temps de réalisation de la prestation qui, là encore peut varier, de quelques jours pour une livraison d'articles stockés à plusieurs mois pour la réalisation d'un chantier ou d'une prestation. En prenant l'exemple d'une offre de prix où la marge attendue était initialement de 25% celle-ci peut diminuer de plus de la moitié, voire devenir négative, du simple fait de l'action des facteurs inflationnistes sans qu'il soit possible de revoir le prix proposé ni de faire jouer les clauses d'indexation qui ne s'appliquent qu'ultérieurement dans la vie du marché.


Par prudence, on pourrait être tenté d'appliquer un taux moyen sur le devis initial de façon à se prémunir de l'inflation à venir. Le risque étant alors soit d'être en deçà de la réalité, soit de ne plus être compétitif. En réalité, le taux prévisionnel d'inflation entre le devis et la commande est le plus souvent ignoré pour constater, ensuite, que le marché est peu ou pas rentable.

La méthode pour établir les prix en période d'hyper inflation

Une bonne approche pour anticiper l'inflation dans les offres commerciales, sans risquer de sortir du marché, consiste à :

  • Segmenter le prix de vente en composantes principales (variables décorrélées les unes des autres). Celles-ci sont au nombre de trois dans l'exemple présenté ci-avant (Fournitures, Transport, Main d'oeuvre) mais leur nombre est généralement plus élevé. Il n'est pas nécessaire, cependant, d'aller dans l'ultime détail de chaque référence, l'objectif étant simplement de former des sous-ensembles homogènes qui évoluent de la même façon.
  • Étudier l'évolution des coûts de chaque sous-ensemble pour identifier les paramètres qui influent sur les prix (parité de l'Euro, coût du fret, cours de certains métaux ou de certains composants, etc.).
  • Anticiper, catégorie par catégorie, l'évolution des prix pour les 3 à 6 mois à venir. Une question intéressante concerne, notamment, les salaires et les charges sociales qui n'ont pas encore beaucoup été affectés mais où un effet de rattrapage devrait immanquablement se produire.
  • Construire un modèle qui permette de simuler la variation prévisionnelle des coûts selon la période considérée pour déterminer le prix de vente proposé et la marge.
  • Pour rester compétitive, tous les concurrents n'ayant pas forcément une approche aussi prudente, l'entreprise dispose également de plusieurs alternatives. La plus évidente, consiste à établir des offres avec une très courte validité ou en excluant les constituants susceptibles de varier le plus - ceux-ci étant directement pris en charge par le client. Cette méthode porte cependant en elle ses limites car elle suppose un degré élevé de transparence entre fournisseurs et clients. Une autre alternative pouvant consister, dans la mesure où l'entreprise en a les moyens, à faire des achats de précaution et à stocker pour figer le coût des fournitures. La meilleure approche reste cependant pour l'entreprise de profiter de la période actuelle, où les cartes sont largement rebattues, pour faire une « analyse de la valeur » de ses offres de services, afin de rechercher des sources d'économies et de diminuer ses coûts de revient.

    Paradoxalement, une période d'hyper inflation peut ainsi constituer une opportunité pour les entreprises les plus agiles qui peuvent capitaliser sur la nécessité d'affiner leurs offres, pour se poser des questions de fond, n'hésitant pas à revisiter leur business model et à repenser leurs processus afin d'optimiser leurs coûts et éviter ainsi une partie des augmentations de prix.

    Pour en savoir plus

    Michel Noiry est président d'Origa Consulting, cabinet de Conseil en Stratégie - Finance. Entrepreneur & Consultant, il pilote le développement de PME et d'ETI dans plusieurs secteurs comme le BTP, la distribution, l'informatique, les télécommunications, les assurances, l'hôtellerie, etc. Il a également une expérience en tant qu'administrateur indépendant à l'international.