Les vertus du congé sabbatique
Publié par Eve Mennesson le | Mis à jour le
Afin d'attirer et retenir les talents, les employeurs se montrent inventifs. Plusieurs entreprises ont ainsi donné un second souffle au congé sabbatique en le rémunérant ou en l'allongeant.
Le congé sabbatique permet aux salariés de suspendre leur contrat de travail afin de réaliser un projet personnel. Un dispositif qui existe depuis longtemps mais que de nombreuses entreprises sont en train de remettre au goût du jour en offrant par exemple de le rémunérer. L'objectif étant avant tout de retenir les talents.
Offrir une pause
Ainsi, chez Mazars, le « Mazars Break » permet aux salariés présents au sein du groupe depuis au moins 5 ans de bénéficier d'un congé de trois mois rémunéré à 50% de la rémunération totale. « En maintenant la rémunération par rapport au dispositif de congé sabbatique classique on permet aux salariés de réellement en bénéficier. Nous offrons du temps à nos salariés, ce qui est une denrée rare », indique Julie Récalde, directrice développement RH et expérience collaborateur chez Mazars. L'ancienneté de 5 ans n'a pas été choisie au hasard : c'est un moment charnière dans une carrière, on accède à un poste de manager et on peut alors décider de changer d'entreprise. Avec le « Mazars Break », le groupe espère retenir les salariés en leur offrant la possibilité de recharger leurs batteries.
C'est aussi dans l'objectif de travailler l'engagement des collaborateurs et donc leur rétention qu'Accenture a mis en place le « congé priorité personnelle » il y a un an et demi. « Nous offrons aux salariés qui ont au moins 5 ans d'ancienneté de faire une pause dans leur parcours de carrière pendant 3 mois, rémunéré à 50% », décrit Sandie Dahmani, directrice Innovation RH chez Accenture. Le projet est libre et les collaborateurs peuvent donc se former à la peinture, se préparer à une compétition sportive, voyager en van ou prendre part à un projet familial. « Nous répondons au besoin de nos collaborateurs de faire une pause tout en leur permettant de revenir dans le monde professionnel d'Accenture. A leur retour, les collaborateurs sont ressourcés, enrichis, motivés », rapporte Sandie Dahmani.
Grégoire Beaurain, consultant en recrutement, spécialisé dans la finance d'entreprise pense que le congé sabbatique peut en effet être un outil intéressant en termes de rétention des talents. « On constate une guerre des talents. Attirer les candidats est important mais aussi retenir les talents. En ce sens, le congé sabbatique peut être intéressant : après avoir pris du temps pour lui, le salarié se sent redevable, se donne à fond et reste encore quelques années », analyse-t-il. Ce n'est pourtant pas pour des questions de rétention qu'Orange, qui ne connaît pas un turnover élevé, propose à ses collaborateurs le « congé respiration ».
Rémunéré (70% du salaire), il octroie le droit aux salariés, qui sont depuis au moins 10 ans au sein de l'entreprise et depuis au moins un an au même poste, de s'absenter de l'entreprise pendant 3 à 12 mois afin de s'engager auprès d'une association, d'une plus petite structure ou de suivre une formation sans rapport avec son activité professionnelle. « Il est légitime qu'un salarié ait envie de découvrir autre chose sans pour autant avoir envie de quitter l'entreprise. Le « congé respiration » donne l'occasion aux salariés de recharger leurs batteries », raconte Emmanuelle Bedouet, directrice des itinéraires professionnels pour le groupe et à l'initiative du congé respiration. Elle constate également que les salariés reviennent avec de nouvelles idées, voire de nouvelles compétences.
Approche globale
Selon Grégoire Beaurain, en revanche, un tel outil n'est pas adapté aux PME, qui ont davantage de difficultés à remplacer la personne absente, mais aussi pour une question de culture. Fanny Bachelet, associée EY Consulting, considère elle aussi qu'il faut pouvoir financer un tel dispositif mais aussi répondre à des contraintes d'organisation du travail et de facing client. Pourtant, Artur'in, une PME de 150 collaborateurs qui propose une solution de marketing en ligne, a mis en place un congé sabbatique rémunéré en janvier dernier : les salariés de l'entreprise peuvent partir pendant deux mois avec maintien de salaire en contrepartie d'un engagement sur un an. « Au bout d'un cycle de 3/4 ans, les salariés ont envie de se consacrer à une autre expérience et choisissent souvent de quitter l'entreprise dans laquelle ils se trouvent. Nous avons voulu que cette pause soit possible chez nous afin d'ensuite réenchaîner chez nous sur un nouveau cycle de 3/4 ans. C'est une mesure de rétention », explique Daphné Vauclin-de Calbiac, DRH d'Artur'in.
Cette mesure n'est pas isolée : depuis janvier dernier, les salariés de l'entreprise ont également la possibilité de s'absenter, tout en étant rémunérés, pour s'occuper de leurs enfants malades ou qui font face à des problèmes de garde, mais aussi pour mener des missions de bénévolat ; ils peuvent également se former à titre personnel en plaçant une partie des heures de formation sur leur temps de travail. « Nous souhaitons être une entreprise qui prend en compte la vie personnelle. D'où cette approche globale qui doit également s'accompagner de mesures en termes de management », ajoute Daphné Vauclin-de Calbiac.
Pour Fanny Bachelet ces dispositifs s'inscrivent non seulement dans le sujet de la rétention du talent mais traduisent aussi un changement dans l'organisation du travail, instaurant davantage de flexibilité. « Le fait de mener sa carrière dans la même entreprise pendant 40 ans a disparu, les carrières sont davantage morcelées. Pour accompagner ce morcellement des carrières, les entreprises mettent à disposition des salariés des dispositifs qui les incitent à rester en interne mais tout en vivant d'autres choses ailleurs », observe-t-elle. Elle note que certaines entreprises aident leurs salariés à monter leur propre structure - c'est le cas d'Orange - ou embauche leurs propres salariés mais sous le statut de freelance. Chez Mazars, une charte de multiactivité a été rédigée afin de permettre aux collaborateurs d'avoir une activité en parallèle, s'ils le souhaitent. « Cela dénote un changement de paradigme sur la manière dont ont aborde le travail », juge Fanny Bachelet.
Comme chez Artur'in, le congé sabbatique s'inscrit dans la plupart des entreprises dans un panel de différentes mesures. Ainsi, chez Accenture sont également proposés aux salariés le télétravail à la carte (il est possible de télétravailler 5 jours ou zéro) et la possibilité de condenser le temps de travail sur 4 jours. Chez Mazars, les collaborateurs peuvent ne travailler que 4/5 tout en étant payé à plein temps au retour d'un congé maternité et le congé paternité ou second parent a été allongé.
De tels dispositifs en faveur d'un meilleur équilibre vie professionnelle/vie personnelle sont prisés des candidats aujourd'hui. Fanny Bachelet estime en effet qu'il faut désormais réfléchir de manière globale : le télétravail, le congé sabbatique, la semaine de quatre jours... mais aussi des congés de formation, créer de la mobilité interne. C'est en revoyant complètement l'organisation et le rapport au travail qu'on attirera et retiendra les talents.