Plafonnement de la déductibilité fiscale des intérêts intragroupe : quelle marge de manoeuvre pour y déroger ?
Publié par François Vignalou, Matthieu Bultel, cabinet Bignon Lebray le - mis à jour à
Pour une entreprise, recourir à du financement intragroupe ou à un endettement vis-à-vis de ses actionnaires plutôt qu'à un emprunt bancaire n'est pas toujours fiscalement neutre.
Compte tenu du taux d'intérêt plafond au-delà duquel les intérêts servis aux associés et entreprises liées ne sont plus déductibles en application des articles 39-1-3° et 212 I du CGI. Le point sur les contours de ce dispositif et ses modalités d'application en fonction des types de financement intragroupe.
Déductibles oui mais...
Les intérêts intragroupe ne sont en principe fiscalement déductibles que dans la limite d'un taux plafond fixé par la loi.
Le dispositif susvisé prévoit une double limite à la déductibilité fiscale des intérêts dus à des actionnaires ou entreprises liées : d'une part, elle est conditionnée à la libération de la totalité du capital social et, d'autre part, elle n'est possible que dans la limite d'un taux d'intérêt plafond légalement défini (ci-après le " taux limite "). Ce taux, révisé annuellement, est bas (1,18% au 31/12/2020) et en constante diminution depuis de nombreuses années.
Il existe toutefois une exception : les intérêts versés aux entreprises liées peuvent être déduits dans leur intégralité s'il peut être démontré que le taux d'intérêt appliqué correspond au taux que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements financiers indépendants dans des conditions analogues (exception dite du " taux de marché "). Pour l'application de cette exception, des liens de dépendances sont réputés exister entre des entreprises :
Les lourdes exigences du juge
S'affranchir de ce taux plafond et déduire l'intégralité des intérêts afférent à des prêts conclus avec des entreprises liées reste possible, à condition de satisfaire aux lourdes exigences du juge en matière de documentation.
Les intérêts dus à des entreprises liées en rémunération d'un prêt ou d'obligations ne sont pas nécessairement limités, mais le déplafonnement de la déductibilité fiscale reste une exception. La société débitrice qui souhaite s'en prévaloir supporte la charge de la preuve qui peut théoriquement être apportée par tous moyens. Cependant, la jurisprudence récente est très exigeante en la matière.
Si l'entreprise emprunteuse ne peut pas produire une offre de prêt bancaire concomitante et corroborant l'intérêt retenu sur le prêt intragroupe, la jurisprudence a admis qu'elle puisse fournir des études de taux, même réalisées postérieurement à la souscription du prêt, à condition qu'elles retiennent en guise de comparables des financements présentant des caractéristiques similaires à celui du prêt en cause et des entreprises présentant un profil de risque proche de celui de l'emprunteuse(1). Ella a également admis que les taux des marchés obligataires puissent servir de référentiel si les taux émanent d'entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables et sous réserve que ces emprunts constituent une alternative réaliste à un prêt intragroupe (2).
En revanche, sont rejetés par les tribunaux la production de données générales de revues financières(3) , d'attestations bancaires non liantes(4) , et plus généralement toutes simulations et études réalisées par des logiciels ou conseils tenant insuffisamment compte des caractéristiques du prêt ou de la situation de l'emprunteuse (5), à moins que ces éléments ne viennent corroborer d'autres éléments jugés probants (6).
L'administration fiscale a par ailleurs publié des fiches pratiques visant à expliciter à partir d'exemples les bonnes pratiques admises par ses services. On regrette que ces fiches ne soient toutefois pas complètement alignées sur l'état actuel de la jurisprudence.
Taux plafond des taux d'intérets
S'agissant plus spécifiquement des avances de trésorerie, il est en revanche recommandé d'appliquer des taux d'intérêts n'excédant pas le taux plafond.
A la différence des prêts, les avances de trésorerie consenties via un compte-courant ou dans le cadre d'un cash-pooling sont généralement consenties sans terme ni échéancier de remboursement, de sorte que le prêteur peut en exiger le remboursement à tout moment et sous de brefs délais.
Par ailleurs, ces fréquentes avances intragroupe n'ont pas réellement d'équivalent sur le marché bancaire, où les lignes de trésorerie sont, sauf exceptions, consenties à court terme sans possibilité pour le prêteur d'exiger un remboursement anticipé hormis dans des situations contractuellement définies.
Ainsi, il est opportun d'appliquer à ces financements des taux très faibles, en indexant par exemple les taux d'intérêts prévus par les conventions de cash-pooling sur des taux interbancaires à court-terme (e.g. Euribor), et en veillant dans tous les cas à ne pas excéder le taux limite de l'article 39-1-3° du CGI. Par ailleurs, en présence d'une centralisation de la trésorerie, nous recommandons de veiller à ce que la rémunération de la société centralisatrice ne prenne pas la forme d'un intérêt complémentaire (sa déductibilité risquant d'en être affectée) mais plutôt celle d'une commission ou d'un honoraire.
Pour en savoir plus
François Vignalou est avocat associé du cabinet Bignon Lebray et est responsable du département droit fiscal.
Matthieu Bultel est avocat du cabinet Bignon Lebray au sein du département droit fiscal.
(1)(CE, 18/03/2019 n°411189 " SNC Siblu ")
(2)(Avis CE, 10/07/2019 n°429426 et CE, 10/12/2020 n° 428522 " WB Ambassador ")
3) (CE, SNC Siblu)
(5) (CAA Paris, 4/11/2014 n°14PA00814)
(5) (CAA Paris, 10/03/2020 n°18PA00608 " Apex Tool " ; CAA Paris, 23/09/2020 n°20PA0058 " Willink ", CAA Paris, 10/12/2020 n°18PA02715 " Paule Ka Holding ")
(6)(CAA Paris, 22/10/2020 n°18PA01026 " Studialis ")