Retour sur... les reprises d'entreprises par leurs dirigeants
Publié par Eve Mennesson le - mis à jour à
En pleine crise sanitaire, une ordonnance a permis temporairement aux dirigeants de reprendre leur propre entreprise à la barre du tribunal. Une possibilité qui a fait couler beaucoup d'encre mais qui a permis de sauver des entreprises.
Fallait-il supprimer l'ordonnance du 20 mai 2020 qui permettait aux dirigeants de reprendre les actifs de leur propre entreprise à la barre du tribunal, sans requête préalable auprès du parquet ? Ce dispositif a en effet fait couler beaucoup d'encre mais a également permis de sauver de nombreuses entreprises et une partie de leurs emplois. Citons quelques dossiers emblématiques : Phildar, Orchestra, Alinéa, Ymagis, etc... Autant d'entreprises qui n'auraient peut-être pas trouvé repreneurs sans cette ordonnance, ou dans de moins bonnes conditions.
Ce dispositif a pris fin le 31 décembre 2020. Faudra-t-il le réactiver lorsque notre pays sera touché par une vague de défaillances d'entreprises ?
Des offres de qualité
"Dans le régime juridique français, la reprise d'une entreprise par son dirigeant a été longtemps absolument impossible. Les raisons étaient d'ordre moral : un dirigeant qui avait accumulé des dettes et ne payait pas ses créanciers était présumé fautif et ne devait pas être en mesure d'effacer ses dettes et de licencier en reprenant sa propre entreprise " à la barre ". Si la possibilité en a été ultérieurement donnée, c'est pour assurer la continuité de l'activité et surtout la sauvegarde de l'emploi, en particulier lorsqu'il n'existait pas en pratique de solutions alternatives à part la liquidation ", affirme Arnaud Moussatoff, associé du cabinet Brown Rudnick.
En effet, la crise ayant frappé de plein fouet notre pays, il était à craindre que certaines entreprises ne trouvent pas de repreneur, les acquéreurs potentiels étant eux-aussi en difficulté. L'ordonnance du 20 mai permettait de contourner ces difficultés. "Ce dispositif peut aussi avoir un effet positif sur la qualité des offres en mettant en concurrence différents repreneurs", pointe Arnaud Moussatoff.
Pierre-Alain Bouhenic, associé du cabinet cabinet Brown Rudnick, pense par ailleurs que ce dispositif a pu voir le jour dans la mesure où, dans l'essentiel des défaillances qui se produisent aujourd'hui, les dirigeants ne sont pas à incriminer.
Offre la mieux-disante retenue
Il demeure cependant un malaise face à cette mesure qui semble donner aux dirigeants d'entreprise la possibilité d'orchestrer la défaillance de leur propre entreprise dans l'objectif d'ensuite la reprendre à la barre du tribunal. Arnaud Moussatoff insiste sur le fait que la simplification temporaire du dispositif n'est pas un blanc seing qui est donné au dirigeant : "La reprise par le dirigeant ne doit en aucun cas être pour lui l'occasion d'effacer les dettes et de réduire ses effectifs. La demande est examinée par le tribunal en présence du parquet qui doit s'assurer qu'il n'y a pas de fraude", rapporte l'avocat qui souligne qu'un plan de continuation sera toujours privilégié à un plan de cession.
Il a également été reproché un problème d'équité vis-à-vis de l'accès aux informations pour constituer son dossier de reprise, une certaine bienveillance également à l'égard du dirigeant. Ce que réfute Pierre-Alain Bouhenic : "Le dossier de reprise du dirigeant qui vient se positionner n'est pas privilégié mais doit être étudié comme celui de tout autre acteur économique. C'est une approche pragmatique en période de crise qui consiste, face au peu d'offres présentées lors de reprises, à ne pas écarter une solution de reprise optimale pour l'entreprise, ses salariés et partenaires". Et d'ajouter : "C'est la meilleure solution qui est retenue, c'est-à-dire celle la mieux-disante par rapport aux critères légaux et en particulier qui permet au maximum de préserver l'emploi".
Besoins en moyens financiers
Les deux avocats ont accompagné le dirigeant d'Ymagis dans la reprise de sa société à la barre du tribunal. Si son offre a été acceptée c'est, selon Arnaud Moussatoff, parce qu'il bénéficiait d'un soutien fort de ses salariés. "C'est un élément qui est regardé avec attention en temps de crise", précise-t-il.
C'est en effet un élément important, tant les difficultés ne prennent pas fin avec la reprise. Il s'agit ensuite de faire repartir l'entreprise, la rendre de nouveau rentable. Et ce n'est pas une mince affaire ! "Lorsque l'on reprend une entreprise il faut des moyens financiers importants pour relancer la machine, à plus forte raison lorsque le débiteur laisse des dettes impayées importantes vis-à-vis des créanciers institutionnels que sont les banques, et qu'il sera en conséquence difficile de continuer avec elles. Il faut donc chercher des financements alternatifs", explique Arnaud Moussatoff.
Nous verrons dans quelques mois, lorsque l'économie repartira, comment s'en sortent ces entreprises reprises par leurs propres dirigeants et si la mesure mérite d'être rendue pérenne.