Daf dans le secteur public , qu'est-ce que ça change ?
Publié par Florian Langlois le - mis à jour à
Si les missions premières des directeurs financiers du secteur public sont les mêmes que celles d'un Daf en entreprise, des spécificités de la fonction publique rendent leur quotidien différent.
Le directeur financier se trouve très vite confronté à des enjeux divers, selon qu'il travaille dans une PME, une ETI ou un grand groupe, dans une entreprise cotée ou sous LBO. Une autre catégorie de Daf existe et présente quelques différences avec les CFO en entreprise : ce sont les directeurs financiers dans la fonction publique.
Leur première spécificité vient du fait d' « allier réglementaire, poli tique et service rendu à la population » , constate Sandra Bezut, Daf de Syvadec, un syndicat de valorisation des déchets en Corse, qui a fait l'ensemble de sa carrière dans la fonction publique. Nous devons faire attention aux aspirations des élus et veiller au respect de la réglementation pour sécuriser leurs actions, sans perdre de vue le service rendu, parce que nos actions ont un impact direct sur la population. Elle reconnaît aussi avoir plus un rôle de conseil que de décisionnaire. « J'ai l'impression que les Daf dans le privé ont beaucoup plus d'autonomie. On leur donne un volet d'intervention et ils sont arbitres. De notre côté, nous pouvons être force de proposition, mais l'arbitrage reviendra toujours à la direction générale et aux élus. »
Les directeurs financiers du secteur public sont aussi particulièrement vigilants sur la gestion de leurs budgets. « Chaque fois que les comptes sont clôturés, un document nommé compte administratif va être produit par la direction financière. Ce document permet de mesurer le budget utilisé dans l'année. Notre comptable, le Trésor public, produit de son côté le même document, étant donné qu'il possède l'intégralité de nos transactions. Il faut ensuite que les sommes affichées correspondent » détaille Marc Poulain, ancien directeur financier des villes de Fontenay-le-Fleury et de Saint-Cyr-l'École.
Une plus grande part de juridique
Parmi les autres points différenciants, des lenteurs administratives plus marquées dans le public que dans le privé, comme en témoigne un Daf sous couvert d'anonymat qui, après avoir connu le secteur privé pendant près de 20 ans, a rejoint un établissement public en 2019. « Concernant les achats, tant pour la réalisation de travaux que pour des prestations de services, le code des marchés publics impose un certain nombre de règles et de procédures à respecter. Par rapport à ce qui peut être fait dans le privé, cela peut être vécu comme une contrainte. Ces procédures ayant tendance à allonger les cycles de décisions. »
De manière globale, les directeurs financiers observent une part plus importante du juridique dans leurs métiers, avec ce qu'ils appellent des délibérations. « Notre budget annuel est voté par le conseil municipal et donc les élus. Pour que ces derniers votent le budget proposé par les services, il faut une délibération. C'est un document juridique qui atteste de tout ce qui a été décidé et tranché dans le cadre de ces réunions. C'est ce qui permet de valider toutes les décisions. Une fois votées, ces délibérations sont ensuite soumises à l'autorisation de la préfecture qui, en tant que contrôle de légalité, va vérifier et contrôler que le formalisme a bien été respecté » détaille Marc Poulain. Sandra Bezut avoue posséder également une grande part de juridique dans son périmètre. « Je gère la partie juridique, la partie des assemblés et toute la gouvernance du syndicat. Cela signifie que je m'occupe, entre autres, des montages avant de faire ces délibérations comptables, je vérifie leur faisabilité. »
Un gros sujet de digitalisation
Cela peut varier d'une organisation à une autre, mais il est possible de noter un léger retard de numérisation au sein des directions financières dans la fonction publique, malgré la mise en place de Chorus Pro pour la dématérialisation des factures depuis plusieurs années. « Des progrès ont été réalisés avec la création de passerelles numériques, notamment avec la préfecture. Mais tout le monde ne le fait pas. Des communes font encore signer des parapheurs papier et des fonctionnaires prennent leur voiture pour aller déposer les éléments à la préfecture » constate Marc Poulain.
Au sein de son syndicat, Sandra Bezut travaille d'arrache-pied sur la digitalision de ses process. « L'ensemble de notre processus de facturation est dématérialisé depuis 2017. Au niveau RH, nous allons avoir l'obligation de délivrer les bulletins de salaire de manière dématérialisée. À côté de ça, toutes nos informations sont gérées avec l'open data. On essaie vraiment de tout numériser et de tout garder dans un centre de ressources. » Le challenge de numérisation et de modernisation de la fonction finance peut être un moteur pour passer du privé au public. « Je souhaitais moderniser la direction financière et ainsi avoir une Daf plus dynamique et plus proche des autres directions, comme ce qui peut être fait dans une entreprise privée. Il est vrai que certaines entreprises ou certains établissements qui dépendent de l'État peuvent avoir pris un peu de retard sur ces sujets » relate un Daf d'un établissement public. Il prend notamment l'exemple des processus d'achat ou de gestion des notes de frais qui étaient uniquement papiers. « Il y avait des documents qui circulaient de direction en direction, puis qui remontaient à la direction générale pour signature, ce qui entraînait une perte de temps et d'efficacité. Désormais, tout est digitalisé, les circuits de signature sont gérés directement dans notre ERP. Autre exemple, nous sommes en train de numériser l'ensemble du processus de relance clients. » De la même manière, ce Daf a mis l'accent sur le pilotage de la performance de son organisation. « J'ai été surpris par le peu d'indicateurs opérationnels disponibles et suivis. Nous avons donc travaillé avec les différents services pour identifier et suivre les indicateurs pertinents. L'objectif est d'avoir un suivi régulier de l'activité des différents services au regard de leurs objectifs beaucoup plus précis au sein des ventes. Notre volonté était aussi d'anticiper au maximum, d'identifier et de mettre en oeuvre si besoin les plans d'action nécessaires afin de respecter la trajectoire définie, d'atteindre les objectifs fixés. »
Un métier qui recrute
La pénurie de talents que rencontrent les financiers aujourd'hui touche aussi la fonction publique. Ainsi, le recrutement de Daf dans la fonction publique est souvent très délicat. « Les postes de financiers ou de comptables en collectivité sont très difficiles à pourvoir. Il y a beaucoup d'offres et les équipes sont incomplètes dans plusieurs collectivités. Il y a potentiellement, pour les Daf du privé intéressés, des postes à prendre dans le public » développe Marc Poulain. Ce changement conduira sans doute à une perte de salaire, mais sera intéressant sur bien des points. « Il y a une multitude de nouvelles choses à apprendre (normes comptables, instances...). Nous gérons des budgets importants, de plusieurs dizaines de millions d'euros. On se sent, enfin, vraiment utile. Le mot "service" du service public prend tout son sens » conclut Marc Poulain.