International, cap ou pas cap ?
Publié par Eve Mennesson le | Mis à jour le
Après l'arrêt des activités internationales dû à la pandémie, les entreprises françaises ont repris leur développement à l'étranger malgré les incertitudes économiques et géopolitiques. Mais si le développement international des entreprises tricolores se poursuit, il emprunte d'autres chemins entre digitalisation et structuration.
Crise du Covid, guerre en Ukraine, instabilité monétaire, tensions géo-politiques entre la Chine et les Etats-Unis... Le monde économique mondial semble plus que jamais en proie à l'incertitude, ce qui ne plaide pas en faveur du développement international des entreprises. Pourtant, selon la 2e édition du Bilan Export de la Team France Export (décembre 2021), 70% des PME et ETI envisagent une hausse de leur chiffre d'affaires à l'export dans les trois prochaines années. Ainsi, en ce début d'année 2022, Bpifrance rapporte une hausse de 80% de ses financements du développement à l'international. Les entreprises françaises ne se laissent donc pas abattre par la morosité du contexte international. Même si des évolutions ont lieu dans leur façon de s'internationaliser et que la prudence doit encore plus être de mise avant de se lancer à l'étranger.
Croissance, compétitivité et innovation
Si la crise du Covid a mis un coup d'arrêt aux exportations (en juin 2020, le baromètre Kantar/Business France révélait que plus d'une PME/ETI sur deux déclarait avoir dû interrompre ou reporter ses projets d'exportations), elle a aussi permis une prise de conscience de l'importance de l'international. C'est en effet la crise sanitaire qui a accéléré l'internationalisation de la société Activ'Inside, qui développe des ingrédients destinés aux compléments alimentaires : « Du jour au lendemain, il était devenu compliqué de nous déplacer pour aller voir nos clients et distributeurs à l'autre bout du monde. Ce qui rendait difficile l'animation d'un réseau », raconte Kevin Lagranderie, responsable administratif et financier de l'entreprise. Ainsi, début 2022, un bureau de représentation a été ouvert en Thaïlande.
Il n'est donc pas question pour les entreprises de stopper leur développement à l'international, bien au contraire. Pour Pedro Novo, directeur exécutif de Bpifrance en charge de l'export, il est même plus que jamais le moment de se renforcer à l'étranger : « Cela permet de diversifier les risques en étant moins dépendant des enjeux domestiques et régionaux et d'aller chercher la croissance là où elle est ». Le Bilan Export de la Team France Export le dit bien : l'export demeure perçu par les PME et ETI comme un moyen d'accroître leur chiffre d'affaire (87%) et leur compétitivité (79%). Mais aussi d'améliorer l'innovation (67%). « L'international est un enjeu clé de compétitivité. Et ce, pas uniquement par la conquête de nouveaux marchés mais parce que l'international permet aux entreprises de s'enrichir : arrivée au comité de direction de nouvelles visions, veille sur des produits et des services qui n'existent pas en France, etc... », souligne Fanny Letier, co-fondatrice de Geneo Capital Entrepreneur.
Digitalisation et décarbonation
Les avantages apportés par l'international restent donc incontestables, malgré le contexte économique, sanitaire et politique. Pour autant, les entreprises ne se développent pas à l'étranger comme en 2019. Le Bilan Export de la Team France Export révèle que le développement international passe davantage par une consolidation des acquis : 66% des PME/ETI exportatrices veulent d'abord consolider leur position et seulement 32% envisagent d'aller sur de nouveaux marchés. François Lamotte, directeur associé Altios France, conseil en développement international, remarque en effet moins d'opportunisme mais plus de structuration.
Le rapport de la Team France Export note aussi l'importance de la digitalisation dans l'internationalisation des entreprises. « Les nouvelles technologies ont facilité l'internationalisation puisqu'elles permettent de dialoguer avec des personnes à l'autre bout du monde », constate Marylène Bonny-Grandil, avocate associée chez TGS. Une évolution qui est en accord avec un autre mouvement : le souhait des entreprises d'adopter une internationalisation décarbonée. « De nouvelles stratégies se mettent en place : on voyage moins, on préfère l'économie des services plutôt que celle du commerce de biens sourcés dans des pays lointains, etc... », observe Pedro Novo. Cette internationalisation décarbonée, associée à des difficultés d'approvisionnement et à la hausse du coût du fret, incite aussi les entreprises à se développer à l'international non plus pour produire plus loin et moins cher mais pour chercher de nouveaux marchés.
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Se donner du temps
Reste à prendre les dispositions nécessaires pour se développer à l'international de façon optimale. Car si l'internationalisation des entreprises n'est pas stoppée, les points d'attention existent toujours. Voire se sont renforcés, compte tenue de l'incertitude ambiante. David Brault, associé Objectif Cash, relève notamment la difficulté actuelle de trouver les bons partenaires. « Il faut demander des garanties. Et la meilleure des garanties est d'apprendre à se connaître, d'y aller petit à petit. La confiance, c'est du temps », recommande-t-il. Le développement à l'international exige en effet de prendre son temps. « Attaquer un pays, c'est comme recréer une entreprise de toute pièce car tout est différent : le management, l'environnement concurrentiel, réglementaire, culturel... », décrit Fanny Letier.
Pedro Novo conseille de toujours se dire que l'implantation à l'international va durer deux fois plus de temps que prévu et coûter deux fois plus cher que prévu. « C'est la règle d'or : s'internationaliser prend du temps et des moyens. Mais rapporte ensuite énormément tant financièrement qu'en termes de capital humain et de marque employeur », précise-t-il. Alix Bibolé-Gardner, responsable projets développement international au sein de l'Institut Régional des Chefs d'Entreprise PACA, invite donc à mesurer la capacité financière de l'entreprise. « Le ROI ne va pas arriver tout de suite : entre les démarches pour trouver un partenaire, les premières commandes, la livraison des produits et les premiers paiements, il peut se passer 18 à 24 mois », met-elle en garde. Bruno Bouygues, président de Gys, dit même mettre entre 6 et 8 ans pour mettre une filiale étrangère à l'équilibre. « C'est une erreur de penser qu'il ne faut que 2, 3 ans : il faut prévoir suffisamment de trésorerie pour tenir bien plus longtemps », conseille-t-il.
Autre élément de prudence : ne pas prendre ses décisions à l'international en se basant sur la culture française mais en comprenant les spécificités culturelles locales. Des spécificités qui touchent notamment le monde des affaires. « Il n'existe pas de LME en Grande-Bretagne ou en Italie : les clients peuvent payer à 90 jours. En Allemagne, il y a une forte culture de l'escompte. Ce sont des petits détails qui nécessitent de s'acculturer pour ne pas imposer les conditions françaises car cela ne fonctionne pas », rapporte Bruno Bouygues.
Accompagnement et structuration
Ce qui veut dire que du temps doit être consacré à comprendre le pays dans son ensemble. Cela peut passer par des renseignements pris via des lectures, son réseau... Mais cette interculturalité nécessite surtout un bon accompagnement qui peut passer par des partenaires locaux trouvés grâce à son réseau ou par des organismes tels que Bpifrance : la banque publique d'investissement propose un accélérateur consacré à l'international, un programme d'accompagnement individuel et collectif sur 18 mois qui permet de fixer ses priorités, de consolider son développement à l'export...
C'est d'ailleurs pour être bien accompagnée que le groupe Ragni a décidé de faire entrer à son capital Bpifrance et AfricInvest. « Nous n'avions pas besoin de lever des fonds mais d'être accompagnés au niveau stratégique, de nous structurer », indique Jean Christophe Ragni, directeur général et directeur export de l'entreprise, précisant qu'une Daf a récemment été embauchée pour justement permettre cette structuration. Une structuration qui offre la possibilité de mieux anticiper : il ne suffit pas de s'implanter dans un pays, il s'agit aussi de s'y développer en comprenant le marché, ce qu'il désire et d'innover à son intention. « Beaucoup d'entreprises viennent nous voir car elles se retrouvent prises au piège du succès : elles ont voulu tester, mettre un pied dans le pays sans trop y aller, témoigne Marine Perrot, avocate associé chez TGS. " Il faut être optimiste et ne pas uniquement se demander quoi faire en cas d'échec mais aussi anticiper le succès ".
Ce qui veut dire qu'il faut mettre le bon cadre tout de suite, un cadre qui permet ensuite de se développer sereinement. Marine Perrot donne l'exemple des prix de transfert et recommande de ne pas attendre d'être au-dessus des seuils pour que tout soit bien formalisé. Cette formalisation passe aussi par une structuration RH : « On ne peut pas gérer l'international à distance depuis le siège social. Il faut une équipe sur place », recommande François Lamotte. Un élément qui n'est pas facilité par les tensions actuelles en termes de recrutement. Ce qui nécessite là encore du temps, de l'argent et de l'accompagnement : les trois mots clés d'un bon développement à l'international.