Electrification, l'industrie automobile « made in France » joue son va-tout
Publié par Jean-Philippe Arrouet le | Mis à jour le
En imposant la fin du moteur thermique en 2035 au nom de la transition écologique, l'Union européenne a pris le risque d'une redistribution des cartes dans le secteur automobile. Pour les industriels français, la réussite de cette mutation est déterminante.
N'est-on pas en train de scier la branche sur laquelle nous sommes assis ? La question taraude l'industrie automobile européenne engagée dans la transition énergétique. « Aucune autre industrie n'a une telle promesse de zéro émission en 2035. L'Europe va très vite », analyse Aurélien Duthoit, analyste sectoriel et spécialiste de ce marché au sein de Allianz Trade, leader mondial de l'assurance-crédit.
Trop vite peut-être si l'on considère que les constructeurs français bénéficiaient d'un avantage compétitif lié à leur maîtrise technique des motorisations thermiques. Les « Euro 7 », attendues en 2025, s'annoncent comme des championnes des émissions de CO2 mais quel sera leur impact sur un marché qui tourne le dos au thermique ? « La part de marché du diesel était de 67 % en 2013. Elle n'est plus que de 12 % en 2023 et la chute va très vite », observe Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme filière automobile (PFA) qui rassemble les constructeurs, les équipementiers et les sous-traitants français. Avec l'avènement des modèles électriques, toute la chaîne de valeur se recompose : produire ces véhicules nécessite des batteries dont les cellules consomment des métaux rares. Ainsi, le lithium, le cobalt, le nickel ou encore le graphite prennent le pas sur l'acier, l'aluminium, le plastique ou le cuivre, dans la liste des composants stratégiques. Dans un contexte marqué de surcroît par un ralentissement de la demande, l'industrie entre en zone de turbulences.
Maîtriser une nouvelle chaîne de valeur
« La transition énergétique est une fenêtre d'opportunités pour développer des outils de production nationaux. Il y a beaucoup d'annonces autour de gigafactories de batteries et de mines de lithium or c'est la Chine qui domine», analyse Simon Lacoume, économiste en charge notamment du secteur automobile au sein de Coface, un des spécialistes de la mesure des risques. Cette concurrence asiatique s'exerce sur l'offre de véhicules électriques comme l'a montrée la démonstration de force du dernier Mondial de l'automobile, mais aussi en amont sur la maîtrise des composants et des batteries. « Le premier investisseur en capacité de production de batterie est la Chine même si tous les véhicules électriques n'y sont pas assemblés », souligne Aurélien Duthoit.
La dépendance à la Chine est d'autant plus forte que certains constructeurs européens et américains s'y sont même implantés. « Deux des trois véhicules électriques les plus vendus en France viennent de Chine », ajoute cet expert. Par conséquent, les constructeurs français font face à un double défi : faire basculer leur outil productif pour fabriquer des véhicules électriques et se positionner en amont sur la chaîne de valeur. Autrement dit, être présents dans la production de batteries et jusque dans l'approvisionnement en métaux rares. « La valeur ajoutée va se transférer sur la motorisation électrique et les batteries au lithium », confirme Simon Lacoume.
L'enjeu des gigafactory
Les Européens mettent les bouchées doubles pour rattraper leur retard sur les Chinois, les Coréens mais aussi les Américains comme Tesla. L'Union européenne distribue des milliards d'euros au titre de « projets importants d'intérêt européen commun » (PIIEC). En 2019, 3,2 Mds€ d'aides européennes ont financé l'« Airbus des batteries », un projet associant sept Etats, dont la France, autour de la maîtrise de la chaîne de la valeur des batteries, depuis les matières premières jusqu'au recyclage. En 2021, l'Union européenne a débloqué 2,9 Mds€ pour 12 Etats associés dans un projet d'innovation dans les batteries. L'idée est de remonter le plus en amont possible de la chaîne de valeur pour des raisons stratégiques car plus de 60 % du lithium raffiné provient de Chine.
En octobre 2022, Imerys, un des leaders français de l'industrie minière, a annoncé un projet d'extraction de lithium dans l'Allier. De quoi produire 700 000 véhicules électriques par an à partir de 2028. En ce qui concerne les batteries, Renault Group s'est associé à Verkor une start-up made in France qui est à l'origine de la première gigafactory qui débutera sa production à Dunkerque en 2025. Une deuxième implantation est déjà envisagée à Bourbourg, dans le Nord. Pour sa part, le Losange mise sur Envision. Certes, l'entreprise est chinoise mais elle implantera une gigafactory à Douai, là où sont produites des voitures électriques (Mégane et futures, R5 et R4). Quant aux semi-conducteurs, le groupe s'est allié à STMicroelectronics pour moins dépendre de l'Asie. Du côté de Stellantis, le site de Douvrin a été choisi pour accueillir la première gigafactory de batteries construite avec ACC (Automotive cells company), Saft (filiale de TotalEnergies) et Mercedes.
Des usines mais moins d'emplois
« Les constructeurs français réadaptent des sites existants alors que les Chinois font des sites ex-nihilo », observe Aurélien Duthoit. Ainsi, Stellantis reconvertit son usine de Metz-Tremery pour fabriquer des véhicules électriques alors que Renault a choisi celle de Cléon en Seine-Maritime. Celle de Flins est devenue « Refactory », un site tourné vers l'économie circulaire dont la conversion d'utilitaires thermiques en électriques.
Cependant, ces relocalisations risquent de rencontrer une limite. « Il faudra trouver des positionnements nouveaux dans des secteurs en croissance. Cependant, nous sommes dans une crise de l'énergie or ces activités consomment de l'énergie ce qui handicape l'Europe où son coût est particulièrement élevé », pointe Marc Mortureux. Elle est quatre fois moins chère aux USA où les constructeurs sont protégés dans leur transition énergétique par l'IRA (inflation reduction act) qui referme le marché automobile à leur avantage. Par ailleurs, en novembre dernier, Jim Farley, le PDG de Ford a lâché une « bombe » en confiant que les véhicules électriques nécessitaient 40 % de main d'oeuvre en moins par rapport au thermique. Par conséquent, la relocalisation des capacités de production devra encore surmonter des obstacles avant de s'affirmer comme un succès : être compétitive économiquement et suffisamment robuste pour passer le trou d'air d'un marché automobile qui se contracte, sans compter les turbulences sociales qui ne manqueront pas de se produire, y compris dans le scénario économique le plus favorable.